DÉCOLONISATION ET SOUVERAINETÉ – HIER APRÈS-MIDI À HAMBOURG : Chagos : arrêt cinglant et sans ambiguïté aux prétentions de Londres par ricochet

  • La Chambre spéciale de l’ITLOS balaie d’un revers de la main les cinq objections préliminaires des Maldives aux réclamations de Maurice pour la délimitation de la frontière maritime au nord de l’archipel

Le Royaume-Uni, qui fait encore fi de la résolution 73/295 de l’Assemblée générale des Nations unies du 22 mai 2019 lui enjoignant de mettre fin sans condition à l’occupation illégale de l’archipel des Chagos, a essuyé un arrêt cinglant et sans ambiguïté à ses prétentions de colonisateur. Et c’est par ricochet que ce nouveau revers juridique et international a été administré à Londres. La Chambre spéciale – constituée au regard du différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), présidée par le juge Jin-Hyun Paik, à la tête d’un Bench de neuf juges –, a rejeté catégoriquement les cinq exceptions (objections) préliminaires logées par l’archipel des Maldives pour contrer les réclamations de Maurice devant le Tribunal International sous la Convention des Droits de la Mer. Pendant un peu plus d’une heure, après les formalités d’usage, le président de la Chambre spéciale a procédé à une analyse systématique des objections des Maldives avant de les rejeter sans aucune autre forme de procès. De ce fait, la Chambre spéciale réaffirme « qu’elle a compétence pour statuer sur le différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre les parties dans l’océan Indien et que la demande présentée par Maurice à cet égard est recevable ». Elle estime « opportun de réserver cette question pour examen et décision au stade de la procédure sur le fond dans la mesure où elle n’a pas encore été pleinement débattue par les parties ».

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Avant d’entrer dans le vif du sujet et de ses Pronouncements, la Chambre spéciale de l’ITLOS a passé en revue l’ensemble de la correspondance et des réunions qui ont eu lieu entre les parties à propos de la délimitation maritime. Elle a fait allusion aux décisions d’autres juridictions internationales, à savoir la sentence arbitrale du 18 mars 2015 entre Maurice et le Royaume-Uni concernant l’aire marine protégée des Chagos et l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice de La Haye du 25 février 2019 sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (« l’avis consultatif sur les Chagos ») de même que la résolution 73/295 de l’Assemblée générale des Nations unies du 22 mai 2019.

Le président de la Chambre spéciale de l’ITLOS a décortiqué une à une les cinq exceptions préliminaires des Maldives, notamment par rapport à la compétence de la Chambre spéciale et à la recevabilité des demandes de Maurice.

La première exception préliminaire :
la tierce partie indispensable

Commentant l’argument des Maldives à l’effet que « le Royaume-Uni est une tierce partie indispensable à la présente instance », le jugement d’hier note d’emblée que « si un différend existe concernant la souveraineté sur l’archipel des Chagos, le Royaume-Uni peut être considéré comme une partie indispensable et le principe de l’Or monétaire fera obstacle à ce que la Chambre spéciale exerce sa compétence » (paragraphe 99). Elle note aussi que, « en revanche, si ce différend a été réglé en faveur de Maurice, le Royaume-Uni ne peut être considéré comme une partie indispensable et le principe de l’Or monétaire ne s’appliquera pas ».

Après analyse des faits, la Chambre spéciale, rejetant cette première objection, estime que, « quels que soient les intérêts que le Royaume-Uni pourrait encore avoir relativement à l’archipel des Chagos, ils ne feraient pas de lui un État titulaire d’intérêts juridiques suffisants qui serait affecté par la délimitation de la frontière maritime autour de l’archipel des Chagos, et encore moins une tierce partie indispensable ». La Chambre spéciale conclut que « le Royaume-Uni n’est pas une partie indispensable à la présente instance ».

Passant à la deuxième exception préliminaire, notamment que la Chambre spéciale n’a pas compétence pour statuer sur la question contestée de la souveraineté sur l’archipel des Chagos, cette instance internationale fait ressortir que « les demandes de Maurice se fondent sur la prémisse qu’elle a souveraineté sur l’archipel des Chagos et qu’elle est de ce fait l’État dont les côtes sont adjacentes ou font face à celles des Maldives au sens de l’article 74, paragraphe 1, et de l’article 83, paragraphe 1, de la Convention et l’État concerné au sens du paragraphe 3 des mêmes articles ».

Poursuivant, le juge Jin-Hyun Paik ajoute que « les parties divergent toutefois sur la validité de la prémisse selon laquelle Maurice a la souveraineté sur l’archipel des Chagos ». De ce fait, « [l]e statut juridique de l’archipel des Chagos est […] au cœur du désaccord qui oppose les Parties au sujet de la deuxième exception préliminaire ».

À ce titre, la Chambre spéciale maintient que « Maurice peut être considérée comme l’État côtier en ce qui concerne l’archipel des Chagos aux fins de la délimitation d’une frontière maritime, même avant le parachèvement du processus de décolonisation de Maurice ». De l’avis de la Chambre spéciale, « considérer Maurice comme tel est en accord avec les conclusions formulées dans la sentence arbitrale relative aux Chagos et, en particulier, avec celles formulées dans l’avis consultatif sur les Chagos auxquelles l’Assemblée générale a donné suite par sa résolution 73/295 ».

« Au vu des circonstances de l’affaire dont elle est saisie, la Chambre spéciale conclut que Maurice peut être considérée comme l’État dont la côte est adjacente ou fait face aux Maldives au sens de l’article 74, paragraphe 1, et de l’article 83, paragraphe 1, de la Convention et comme l’État concerné au sens du paragraphe 3 des mêmes articles », déclare le président de la séance lors de lecture de l’arrêt en rejetant cette demande des Maldives.

Sur la question cruciale du statut juridique de l’archipel des Chagos, la Chambre spéciale de l’ITLOS commente les conclusions de la sentence arbitrale relative aux Chagos à savoir que « si le tribunal arbitral a reconnu l’existence d’un différend entre le Royaume-Uni et Maurice relatif à la souveraineté sur l’archipel des Chagos, il s’est néanmoins déclaré incompétent pour connaître dudit différend ». En revanche, la Chambre spéciale constate que le tribunal arbitral a reconnu, « sans préjudice de la question de la souveraineté, que Maurice avait certains droits relativement à l’archipel des Chagos, y compris des droits de pêche, le droit à sa restitution une fois qu’il ne serait plus nécessaire à des fins de défense et le droit de bénéficier de toute découverte minière ou pétrolière ». De l’avis de la Chambre spéciale, cela « démontre que, abstraction faite de la question de la souveraineté, l’archipel des Chagos relève d’un régime spécial dont Maurice tire certains droits maritimes ».

En ce qui concerne l’Advisory Opinion de la Cour internationale de Justice de La Haye du 25 février 2019, la Chambre spéciale déclare que « les conclusions formulées par la CIJ dans l’avis consultatif sur les Chagos quant aux questions relatives à la décolonisation de Maurice ont un effet juridique et des implications claires sur le statut juridique de l’archipel des Chagos » et qu’« en continuant de revendiquer la souveraineté sur l’archipel, le Royaume-Uni va à l’encontre desdites conclusions ».

Toujours à ce même chapitre, la Chambre spéciale se permet de tirer un carton rouge contre le Royaume-Uni pour non-respect de la résolution 73/295 de l’Assemblée générale des Nations unies. « Le fait que le délai fixé par l’Assemblée générale se soit écoulé sans que le Royaume-Uni satisfasse cette exigence vient conforter la Chambre spéciale dans sa conclusion que la revendication de souveraineté sur l’archipel des Chagos va à l’encontre des conclusions faisant autorité formulées dans l’avis consultatif », fait-il encore comprendre.

Dans la troisième exception préliminaire, les Maldives font valoir que Maurice et les Maldives n’ont pas mené les négociations prescrites par les articles 74 et 83 de la Convention, ni ne sauraient les mener de manière constructive, ce qui prive la Chambre de sa compétence. Analysant les différentes étapes et procédures engagées entre Port-Louis et Malé au cours de ces dix dernières années au moins, la Chambre spéciale relève, « sur la base des pièces qui lui sont soumises, que Maurice a tenté à plusieurs occasions d’engager des négociations avec les Maldives sur la délimitation des espaces chevauchants des zones économiques exclusives et des plateaux continentaux qu’elles revendiquent », tandis que les Maldives « ont la plupart du temps refusé à négocier avec Maurice ».
Il est question du principe établi que, « toutes les fois qu’ils ne parviennent pas à un accord, les États concernés sont non seulement fondés à avoir recours aux procédures prévues à la partie XV de la Convention, comme le prévoit le paragraphe 2 commun aux articles 74 et 83, mais même tenus d’y recourir ». Ainsi, la Chambre spéciale n’a aucune difficulté à conclure donc qu’il a été satisfait à l’obligation résultant de l’article 74, paragraphe 1, et de l’article 83, paragraphe 1, de la Convention ».

Rejetant la prétention des Maldives selon laquelle il n’y a pas, ni ne saurait y avoir, de différend entre Maurice et les Maldives concernant leur frontière maritime et, en l’absence d’un tel différend, la Chambre spéciale n’a pas compétence, la Chambre spéciale s’appuie sur le fait « qu’il résulte de la législation des parties qu’il y a chevauchement de leurs revendications respectives à une zone économique exclusive dans la zone concernée ». Cette instance relève aussi le fait que le 26 juillet 2010, les Maldives ont soumis des informations à la Commission des limites du plateau continental (la « CLPC ») et conclut « qu’il y a chevauchement entre la revendication par les Maldives d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins et la revendication d’une zone économique exclusive par Maurice dans la zone concernée ».

Un autre élément soutenant la thèse qu’il existe bel et bien un différend entre Maurice et les Maldives portant sur la délimitation de la frontière maritime au nord des Chagos porte sur la note diplomatique du 24 mars 2011 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies. Ainsi, Maurice avait protesté formellement contre la demande des Maldives auprès de la CLPC. Cet élément pousse le président de la Chambre à soutenir qu’« au vu de cette protestation, la Chambre spéciale constate que les Parties ont des positions nettement opposées et que la revendication des Maldives se heurte à l’opposition manifeste de Maurice. Les différends de délimitation maritime ne se limitent pas à un désaccord sur l’emplacement effectif de la frontière maritime mais peuvent prendre d’autres formes et naître dans diverses autres situations ».

Quant à l’objection des Maldives au sujet d’abus de procédure de Maurice, l’arrêt du 28 janvier 2021 réaffirme que « la Chambre spéciale ne considère donc pas que les demandes de Maurice sont constitutives d’un abus de procédure ».


Le PM : « L’Angleterre ne peut revendiquer aucun droit sur l’archipel »

« C’est un développement extrêmement important. C’est un jugement historique en faveur de la population mauricienne, y compris nos compatriotes d’origine chagossienne qui apprécieront. L’ITLOS devait décider s’il avait juridiction à aller de l’avant avec l’affaire que Maurice avait déposée contre les Maldives sous la convention des Nations unies sur les droits de la mer pour la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays.
« Presque à l’unanimité, l’ITLOS a rejeté les objections préliminaires soulevées par les Maldives et qui étaient principalement basées sur l’argument qu’il y a toujours un litige sur les Chagos et que l’Angleterre devait être partie prenante de cette affaire. L’ITLOS confirme la conclusion de la Cour internationale de justice selon laquelle les Chagos font partie du territoire de Maurice et que l’Angleterre ne peut revendiquer aucun droit sur l’archipel. On a également fait ressortir qu’avec l’Advisory Opinion du 5 février 2019, l’on ne peut pas dire qu’il y a litige sur le statut légal des Chagos.

« À présent, Maurice ira de l’avant avec cette affaire pour que l’ITLOS procède avec la délimitation du territoire maritime avec les Maldives sur la base que nous sommes un État souverain. Ce jugement représente une étape importante pour compléter la décolonisation de Maurice. Ce jugement redonne espoir à nos compatriotes d’origine chagossienne qu’ils pourront retourner sur leurs lieux de naissance.

« L’Angleterre ne peut continuer de clamer sa souveraineté sur les Chagos parce que l’ITLOS statue aussi que la décolonisation et la souveraineté sont indissociables. Il est regrettable que l’Angleterre, qui clame être respectueuse des droits de l’homme et des institutions internationales, refuse de respecter l’Advisory Opinion de la CIJ et la résolution 73/295 des Nations unies. L’Angleterre sera, à partir du 1er février, à la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies. On a annoncé que le nouveau président mettra l’accent sur les droits de l’homme. Je lance un appel à l’Angleterre pour qu’elle donne effet à l’Advisory Opinion et à la résolution 73/295 et qu’elle se range conformément à ses obligations aux droits internationaux durant ce mandat. »


Olivier Bancoult : « Une défaite pour l’Angleterre, qui se cache derrière les Maldives »

« Je suis très content et satisfait de ce développement. J’ai toujours cru dans ce combat. Après la Cour internationale de Justice, voilà que l’ITLOS nous a donnés vainqueur de cette première manche en rejetant les arguments et les objections préliminaires des Maldives. Nous savons tous que derrière les Maldives se cache le Royaume-Uni. L’Angleterre tente par tous les moyens de renverser à la fois l’Advisory Opinion de la CIJ, mais aussi la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.

« Quand vous êtes sur le chemin de la justice et de la vérité, il ne faut pas avoir peur. S’il y a un contentieux entre Maurice et les Maldives, on aurait dû avoir des discussions bilatérales, comme cela a été le cas avec les Seychelles. Mais les Maldives n’ont pas choisi cette voie et ont préféré se ranger du côté des Britanniques. L’on comprend mieux désormais le vote des Maldives contre Maurice aux Nations unies.

« Quant à nous, nous allons continuer à mettre la pression sur ce dossier de retour sur les Chagos. Ce n’est pas une défaite pour les Maldives, mais pour l’Angleterre. Les Anglais n’ont aucunement l’intention de respecter les droits internationaux et de se plier aux institutions internationales. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on met l’accent sur l’unité dans ce combat, car le piège, c’est la division. Les Britanniques tentent de diviser la communauté chagossienne à travers divers moyens, notamment financiers. On a vu récemment deux diplômées issues de la communauté, ce qui démontre que les enfants du peuple chagossien ont la capacité de réussir. Ces enfants ont brillé sans le moindre soutien des Britanniques. Jamais ils n’ont pensé comment venir en aide à ces enfants. Nous restons concentrés sur nos batailles légales avec, notamment, un recours à la Cour européenne envisagée. »


Me Robin Mardemootoo : « Une propulsion de la réclamation de Maurice »

« C’est un énorme pas en avant pour Maurice dans sa quête pour récupérer les Chagos de l’occupation illégale des Anglais. Maurice, en tant que pays souverain et propriétaire des Chagos, veut que les frontières entre les Chagos et les Maldives soient clarifiées, et c’est dans cette optique que le 19 juin 2001, Maurice s’était embarquée dans un exercice de définition de ses frontières.

« Les Maldives avaient immédiatement répliqué que Maurice n’avait aucun droit sur les Chagos et que, donc, elle n’avait aucun droit de soulever la question des frontières. Cette question est restée en suspens pendant plusieurs années. Aussitôt que la CIJ avait émis son avis sur la question des Chagos, le 25 février 2019, Maurice avait relancé la question, mais les Maldives n’ont pas réagi. Les Maldives se sont toutefois rangées du côté des Anglais et quatre autres pays qui ont voté contre la résolution des Nations Unies, demandant aux Anglais de quitter les Chagos.

« L’ITLOS, après avoir considéré le droit international, déclare que la présence des Anglais à ce litige n’est pas nécessaire, car ils n’ont aucun droit sur les Chagos et que leur occupation des Chagos est illégale.

C’est un “ruling” qui a force obligatoire et qui propulse la réclamation de Maurice sur les Chagos et met les Anglais dans une situation encore plus difficile. Je ne peux que féliciter l’équipe de Maurice, qui a abattu un travail colossal, et toute la nation mauricienne leur doit reconnaissance et gratitude pour l’excellent travail accompli. Les efforts pour la récupération des Chagos et le repeuplement de ces îles, commencés en concret par Olivier Bancoult et le Chagos Refugees Group, donnent des résultats aujourd’hui. Vous avez ceux qui ne font que donner des leçons par de grands discours intellectuels et qui se résument souvent par une capitulation que Maurice ne va jamais récupérer les Chagos, et vous avez aussi ceux qui travaillent dans l’ombre tous les jours et en silence. »

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