Dr Vasantrao Gujadhur, ex-directeur de la Santé : « Pei dan siklonn klass 4 ! »

  • « Impératif d’imposer le Total Lockdown au plus vite ! »
  • « Il est urgent de renforcer ces mesures avec un couvre-feu nocturne, de 19h à 5h. Ce n’est qu’ainsi que nous allons bloquer la propagation du virus »

« La situation est extrêmement alarmante ! » L’ancien directeur du ministère de la Santé, le Dr Vasantrao Gujadhur, est catégorique : « Nous sommes passés des trois premiers cas positifs, le week-end dernier, et donc en moins d’une semaine, au seuil symbolique des 100 cas ! C’est une situation terriblement sérieuse et complexe. » Avec son franc-parler qu’on lui connaît, le Dr Vasantrao Gujadhur rappelle « l’urgence d’une réaction positive et nationale » face à cette deuxième vague. Pour lui, il n’y a qu’une solution : le Total Lockdown, appuyé par un couvre-feu nocturne. 

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 Votre regard sur la deuxième vague de COVID-19 qui nous frappe de plein fouet ?

Le week-end dernier, on découvrait les trois premiers cas positifs locaux. Ces cas étaient concentrés au sein d’une compagnie importatrice de fruits et légumes. On a évoqué un premier “cluster”. Puis est venu un deuxième “cluster”, avec une jeune femme qui avait organisé un “khatam” chez elle, et où elle avait reçu plus de 250 personnes. Parallèlement, on a découvert un troisième “cluster” dans un établissement scolaire secondaire à Curepipe… En moins d’une semaine, nous sommes passés de trois cas positifs à… plus de 100 ! C’est extrêmement alarmant ! C’est très, très sérieux. On ne doit pas laisser la place à l’amateurisme ou l’erreur. Le gouvernement a très bien réagi en renforçant le confinement dans les circonscriptions 15, 16 et 17. Mais en même temps, nous avons eu de nouveaux cas à Flacq, Ecroignard, Triolet, Mahébourg. Dans tous les coins de Maurice, nous enregistrons des malades. Aucune région n’est à l’abri ! Il faut tout mettre en œuvre pour stopper cela.

 Quels sont vos conseils et recommandations face à l’urgence actuelle, tant à l’égard de nos politiques que de la population ?

La décision a été prise de boucler les circonscriptions 15, 16 et 17. Mais ce n’est pas assez. Il faut une politique de “zéro tolérance” ! Le Total Lockdown demeure la solution la plus indiquée. Fermer le pays complètement : plus de supermarchés, plus de boutiques, plus de stations-service… Limiter au maximum la circulation des personnes. Sauf, bien entendu, ceux engagés dans les services essentiels, comme les hôpitaux et cliniques, la police, les pompiers. Et à ce “Total Lockdown”, il faudra ajouter un couvre-feu nocturne, effectif de 19h à 5h. C’est cette prévention radicale, mais essentielle, pour un certain moment évidemment, qui permettra de contrôler l’épidémie.Dans le même souffle, je suggère au gouvernement d’être très prudent dans l’allocation des WAP. Napa donn agos, a drwat kouma dernye fwa ! Il faut que ce soient des cas “genuine” de personnes qui, vraiment, vont travailler et œuvrent dans un secteur essentiel qui bénéficient du WAP. En ce qui concerne la population, je dirai qu’il faut absolument, dès maintenant, encourager le Work From Home à tous les niveaux possibles. Nous devons garder en tête que nous sommes passés par un premier confinement qui a durement éprouvé le pays économiquement. Cette deuxième vague sera encore plus pénible. Donc, il s’agit de ne pas pénaliser la production, sous aucun prétexte. Mais tout en respectant les mesures sanitaires.

 Quelle est votre lecture, avec la centaine de cas positifs avérés en peu de jours, comparativement à la première vague de 2020 ? 

Hélas, la barre symbolique des 100 cas a été franchie. Nou pei dan siklonn klass 4 ! Ce qui est différent de 2020, c’est qu’entre le temps où nous avons eu le patient zéro et les deux autres premiers patients, le gouvernement avait imposé le lockdown immédiatement, et des consignes avaient été données. Cette fois, quand on a recensé les premiers cas du premier “cluster”, aucune consigne n’a suivi… Avec pour résultat que les gens ont continué de se rassembler. Voilà comment on se retrouve avec des gens qui, ignorant qu’ils sont porteurs du virus, ont des comportements à risques ! Si on avait interdit d’emblée des regroupements et la circulation, les gens n’auraient pas transmis le virus à cette vitesse.

 Comment l’augmentation rapide des nouveaux cas locaux impacte-t-elle notre système de santé ?

D’abord, inévitablement, plus le nombre de malades augmente, plus la pression sera forte sur notre système de santé. Plus le nombre augmente de manière exponentielle, et plus notre système de santé en ressentira les effets. Nous aurons besoin de plus de médecins, de plus d’infirmiers, de plus de lits, de plus de médicaments, de plus d’ambulances, de plus de chauffeurs… Bref, plus de tout ! Il convient d’anticiper cet impact et de commencer à puiser dans les ressources humaines disponibles, à les former efficacement et à les préparer à ces éventualités. Parce qu’il ne faut pas oublier le facteur humain également : ces “frontliners”, qui sont là depuis la première vague, vont rapidement ressentir le Burn Out cette fois. Alors, il ne faut pas attendre.

 Ayant été vous-même au four et au moulin lors de la première vague, quels sont les points forts et les points faibles de notre système de santé, surtout face à cette pandémie ?

Je ne vais pas parler des points forts ou faibles. Notre système de santé a déjà connu des épidémies et nous en sommes toujours sortis gagnants. Je vous rappelle rapidement : 2017, le H1N1; 2018, la varicelle. Il y a eu également des épidémies de fièvre dengue. Même l’an dernier, en plein COVID-19, nous avions eu une épidémie de dengue. Et il y a quelques années, nous avions eu le chikungunya. À chaque fois, notre système de santé a été mis à rude épreuve, oui. Mais à chaque fois, nous en sommes sortis gagnants !

 De fait, que demanderiez-vous au gouvernement pour soutenir l’action des effectifs vraisemblablement débordés de la Santé dans la conjoncture ?

Nous avons justement notre unité de “Contact Tracing”, qui dispose de ressources et qui a le matériel et la communication. Ces moyens sont là. Et ils sont bien utilisés. Ce qu’il faut, et ce que j’espère, c’est que le gouvernement renforce ce département. Là, justement, avec ce qui nous attend, renfoncer cette unité nous aidera à contrer une épidémie massive. Et évidemment, les autorités et la population doivent “marye pike”. C’est notre chance de salut !

 Bien que n’étant plus au MOH, vous restez très actif sur le terrain. Quelles sont les principales préoccupations de ceux que vous rencontrez ?

Bann dimounn trakase ! Je suis présent sur le terrain, tous les jours. Les Mauriciens m’appellent de partout et me demandent des conseils. Les gens déplorent le manqué d’informations : le savoir scientifique, oui, mais dispensé dans un langage clair, accessible à tout un chacun, où le message percute directement le cerveau ! Fode pa pass par kat sime pou dir laverite. Les gens sont inquiets parce qu’ils n’ont pas accès à une information correcte, claire, précise, directe et franche.

Ensuite, il y a trop de “Fake News” qui circulent. Résultat : les gens sont dans une confusion totale ! Que doivent-ils faire ? Quelle décision prendre ? Et notez bien que chacun a son lot de soucis et d’angoisses à gérer : les examens pour les jeunes, la perte d’emploi, les ressources financières qui diminuent pour les adultes, les responsabilités à prendre… Tout cela s’accumule.

 Votre message aux Mauriciens en cette période difficile ? 

Comme je l’ai dit, il faut être fort dans la tête et le coeur. Ce n’est pas le moment de flancher. Nous devons être très vigilants envers nos vieilles personnes et nos enfants pour mieux les protéger. Et en même temps, les techniciens et autres qui s’occupent de notre santé et de tout ce qui va avec doivent eux aussi être très prudents. La moindre erreur peut être fatale et engendrer des répercussions fatales, voire catastrophiques. 

Nous sommes tous dans le même bateau : gouvernement, opposition, citoyens… Nous devons nous armer de patience et faire preuve de responsabilité, de solidarité et de discipline. Ensemble, nous sommes forts !

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