D’urgence sanitaire : « Maurice n’est encore qu’à l’étape du Survival Package »

Rama Sithanen : « Avec une contraction susceptible d’atteindre les 12%, 15% ou 20% du PIB, un Fair, Equitable and Effective Burden Sharing s’impose pour le Stimulus Package »

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L’ex-ministre des Finances soutient que les banques, avec des milliards de profits, et le Corporate Sector devront être en première ligne pour l’étape « Who Pays ? »

Un mois s’est écoulé déjà depuis l’imposition du Lockdown pour lutter contre la propagation du Virus Sans Frontières, et à deux semaines d’une mise en application du déconfinement en douceur, la crise économique semble prendre le pas de manière irrémédiable sur la dimension sanitaire. Il est vrai que dans des milieux avisés, il est jugé imprudent de croire que la pandémie de COVID-19 serait déjà sous contrôle avec les zéros successifs depuis la semaine dernière. Certes, dans la conjoncture, des préoccupations économiques – avec le spectre d’un taux de chômage de 17,5%, soit au-dessus de la barre des 65 000 sans-emploi, sans compter cette armée de Self-Employed en bordure de l’autoroute de l’économie en panne de croissance, hantent non seulement les couloirs du pouvoir politique mais aussi tous les ménages à Maurice. De quoi sera fait demain ? Who pays for what needs to be done in the circumstances ? L’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, et observateur averti de la scène économique et des affaires de ces 40 dernières années, balise pour Le Mauricien les grands paramètres d’intervention en ces temps caractérisés par l’incertitude avec un grand I.

D’entrée de jeu, Rama Sithanen fait comprendre que toute éventuelle sortie de l’impasse de la crise sanitaire transformée en récession économique sur la scène internationale, impose à Maurice trois étapes incontournables, notamment la mise en application d’un Survival Package pour aider les ménages, privés d’activités économiques, donc de revenus, devant observer le confinement ; puis le déconfinement, avec la reprise graduelle de l’économie, d’où l’urgence d’une Induced Economic Coma pour éviter à tout prix que le virus sanitaire muté en version économique n’affecte l’accès aux crédits, que ce soit sous forme d’Overdrafts, de liquidités et de devises étrangères, aux entrepreneurs dans cette phase transitoire dans le contexte du COVID-19 et finalement le Bounce-Back, une fois le virus maîtrisé avec une thérapie « safe et efficace », s’appuyant sur un ou plusieurs Stimulus Packages, l’économie mauricienne misant sur une réouverture raisonnable de ses marchés d’exportation de biens et services dans les meilleurs délais.
« Il ne faut pas se faire d’illusion. Maurice n’est encore qu’à ses premiers balbutiements du Survival Package pour les ménages. Le ministre des Finances a annoncé vendredi l’extension des deux Schemes pour venir en aide aux salariés du secteur formel et aux Self-Employed. Mais il reste encore à déterminer le coût exact de ce Survival Package, dépendant de la durée du confinement et les conditions du déconfinement, avec les secteurs susceptibles de se remettre sur les rails. Même de manière graduelle », soutient Rama Sithanen.

A titre d’indication, jusqu’à la fin de ce mois d’avril, le gouvernement prévoit une enveloppe de Rs 6,8 milliards pour assurer le paiement des salaires des employés du secteur formel et le versement d’une allocation aux Self-Employed. A ce montant, viennent se greffer des Schemes en faveur des entrepreneurs face à la crise avec un montant disponible de Rs 8,9 milliards, soit déjà presque Rs 16 milliards.

L’ancien ministre des Finances se refuse à jouer aux sorciers économiques au regard des prédictions.  « Quel sera le taux de contraction de la croissance économique à Maurice ? Difficile à dire. Ce taux pourrait aller de 12% à 15%, voire même 20% du PIB. La crise durera-t-elle pour combien de temps encore ? Un an ? Deux ans ? Ou trois ans ? Ce sont autant d’éléments que l’on peut inclure dans la catégorie des Unknoweable vu qu’à ce stade il n’y a aucune indication scientifique par rapport à la maîtrise du virus COVID-19 avec les risques potentiels de résurgence. Nous avons vu ce qui se passe à Singapour et au Japon », ajoute-t-il.

« As regards the Unknowns of the equation, we do face three. How deep will be the economic downturn? How sharp? And how long? We already know that it is going to be very deep. Saki nou pa kone How Deep encore. Mais quelle est la capacité de Maurice à rebondir ? Cette évolution post-confinement sera-t-elle en V-Shape, U-Shape ou L-Shape ? Pourquoi pas en W-Shape ? C’est l’avenir qui nous le dira », laisse échapper Rama Sithanen.

Dans l’immédiat, l’attention est braquée sur le scénario du déconfinement, qui ne pourra qu’être graduel. « La vérité de La Palice est que le secteur du tourisme est extrêmement affecté. With COVID-19, leisure, aviation and tourism are heavily incapacitated. L’on peut se demander si Air Mauritius n’est pas déjà en situation de banqueroute en attendant une injection de capitaux de son principal actionnaire. La reprise dans le tourisme, qui ne dépend pas de Maurice, n’est pas pour demain. Et maintenant les effets multiplicateurs de ce secteur, jusqu’à tout récemment avec un poids de 25% du PIB et de 25% au niveau de l’emploi… », lâche-t-il.

Survolant le secteur manufacturier, Rama Sithanen note que pour les exportations de textile, il faudra s’attendre à une guerre de prix avec la République populaire de Chine, qui dispose d’immenses stocks à écouler sur le marché international. « A cet effet, nous pouvons nous demander si nous n’allons pas assister à une répétition du match entre La Russie et l’Arabie saoudite et le prix du baril de pétrole en chute libre ? » dit-il en s’interrogeant sur les perspectives d’exportation de thon en conserve avec la situation actuellement en Grande-Bretagne. « All this is unprecedented », ne cesse-t-il de reprendre.

Et la question cruciale : What do we do ? A cela, Rama Sithanen met l’accent sur trois points : quelles mesures adoptées, le Timing de leur introduction et le dosage. « Au titre des mesures conventionnelles, nous sommes tentés de nous appuyer sur la politique budgétaire, l’arme fiscale, la politique monétaire et financière. Et au titre des dépenses publiques, le gouvernement signifiant son intention de réduire de train de vie des ministères de 17%, il faut retenir que quatre poches de dépenses publiques paraissent incompressibles, soit les budgets de la Sécurité sociale, de l’Education, de la Santé, et la dette publique. Il reste le budget de développement avec la nécessité d’un exercice de Budget Reprioratisation », concède-t-il.

De l’autre côté du Balance Sheet du gouvernement, l’ancien ministre des Finances rappelle la dure réalité des recettes en baisse vu le ralentissement dans le tourisme et le Global Business Sector, entre autres, alors que le flux des investissements, que ce soit en termes de FDI, sur le plan domestique, de Private Equity ou du domaine public, subira des tassements, sinon une baisse substantielle. « Du côté de la Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA), les perspectives ne sont guère brillantes avec le confinement depuis le 20 mars. La majorité des produits de consommation courante dans les boutiques et supermarchés n’est pas sujette à cette taxe, qui rapporte gros aux fonds publics », rappellera-t-il.

Pour assurer le financement du Survival Package, l’Economic Induced Coma du confinement et les Stimulus Packages à venir pour remettre l’économie sur les rails, Rama Sithanen s’appesantit sur l’importance du COVID-19 War Chest. « Il y a déjà eu les Rs 4 par litre de produits pétroliers. Puis, les milliards de profits du Central Electricity Board. Il faut voir également du côté de la State Trading Corporation.  Et les Rs 11 milliards des Rs 18 milliards puisées des Special Reserve Funds de la Banque de Maurice ? Le gouvernement se doit d’être transparent à ce sujet et venir dire si ces Rs 11 milliards sont toujours disponibles. Ce montant peut être versé dans ce War Chest », indique-t-il.

Cependant, ces contributions pourraient se révéler loin d’être suffisantes. Les autres options se présentent sous la forme d’une grande flexibilité au titre de la Fiscal Governance en laissant filer le déficit budgétaire de 3% à 6%, un recours à l’endettement public avec des négociations déjà engagées auprès du Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Agence française de développement (AFD). « Toutefois, le plus important est de s’assurer qu’au niveau de la Banque de Maurice, bizin ena ase likidite, akse à Overdraft pou evit enn kriz de likidite dan lekonomi », maintient-il.
D’où la proposition pour un dosage raisonnable des mesures de relance et d’un « Burden Sharing Fair, Equitable and Effective ». « Pa kapav dimounn pov, PME, Self-Employed, ti-mason, ti-kwafer fer sakrifis. Bann ki kapav bizin kontribie pou sarie sa fardo-la », prône-t-il en ajoutant que « gouvernma pa pou kapav fer tou tousel ».
Logiquement, quatre institutions à Maurice sont en mesure de constituer l’architecture et l’ossature de ce Burden Sharing (voir plus loin la proposition concrète). « Le gouvernement, la Banque de Maurice, les banques commerciales, qui n’ont cessé d’afficher des milliards de profits chaque année, le Corporate Sector, qui a versé des dividendes année après année à ses actionnaires, sont en mesure de participer à ce Burden Sharing. Le Corporate Sector ne peut tout avoir en cadeau et dispose de suffisamment d’Assets pour partager ce fardeau de COVID-19 dans un esprit de solidarité nationale », déclare-t-il sans mâcher ses mots.
Et pour conclure, comment ne pas être tenté de se rappeler cette strophe puisée de la pièce Henry IV, Part II, de William Shakespeare, notamment « uneasy lies the head that wears the crown » en entendant Rama Sithanen déclarer « in these circumtances, I have sympathy and empathy for the Prime Minister and the Minister of Finance »…

Un Recovery Fund avec un
potentiel de Rs 40 milliards

En complément à la proposition de Burden Sharing, Rama Sithanen se penche en faveur de la constitution d’un Recovery Fund, ou d’un COVID-19 Marshall Plan. Pour financer ce fonds, il prévoit cinq principaux souscripteurs, soit les quatre mentionnés plus loin, notamment le gouvernement, la Banque de Maurice, les banques commerciales, et le Corporate Sector, tout en y invitant les institutions internationales, dont le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque africaine de Développement et les Partners in Development de Maurice.
« Chacune de ces cinq parties pourrait se présenter à la porte de ce Recovery Fund avec une contribution de 50 millions de dollars US, soit un montant de $ 250 millions (Rs 10 milliards). Au terme d’un exercice de Leveraging sur le plan international, ce montant a le potentiel d’être quadruplé pour atteindre Rs 40 milliards », avance-t-il.
Dans le cadre de la gestion de Recovery Fund, Rama Sithanen propose la mise en place de cinq sous-comités pour encadrer la relance sectorielle, soit le sous-fonds pour le tourisme, l’aviation et les loisirs, un autre pour les exportations de biens et services et également la filière de l’ICT/BPO, un troisième pour l’industrie du bâtiment, le quatrième consacré au PME et aux petits entrepreneurs et le cinquième pour le volet crucial de la Food Security.

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