Economie : l’embellie du prix du sucre n’assure pas l’avenir

  • Nicolas Maigrot, CEO de Terra:  « Nous ne cherchons aucun avantage. Nous demandons simplement de pouvoir travailler comme toutes les autres industries exportatrices à Maurice »
  • Bagasse : « Qu’un “fair price” soit payé sur une base permanente »

À quelques semaines  de la présentation du budget, et après une année « catastrophique » pour le secteur sucrier, le Chief Executive Officer de Terra, Nicolas Maigrot, tire le signal d’alarme. L’effondrement du prix sur le marché international a mis le secteur dans une posture très difficile et la « petite embellie » prévue sur le marché mondial cette année ne sera pas suffisante pour permettre au secteur sucrier de renouer avec la profitabilité.

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Le patron de Terra s’appesantit sur le fait que le sucre reste extrêmement important pour Terra et pour Maurice. « Nous attendons du gouvernement d’avoir une vision à long terme. Nous avons eu des “one-off” cette année. On a commencé à payer la bagasse à un certain prix. »

Il demande au gouvernement deux choses : d’abord de reconnaître le secteur sucrier, car « on ne peut pas imaginer l’île Maurice sans canne demain », ensuite de payer la bagasse à son juste prix.

« Il faut nous donner les moyens d’être compétitifs. » Car, selon lui, aucun pays producteur de sucre au monde ne peut opérer sans filet de sécurité. Terra réclame aussi une certaine protection par rapport au sucre importé, mais surtout de permettre aux producteurs locaux de pouvoir travailler sur un “level playing field”.

Avec la fin des quotas, en vigueur depuis octobre 2017, les prix en Europe se sont rapprochés des cours mondiaux, ce qui a résulté en deux très mauvaises années. Les Européens ont produit trop de sucre et, aujourd’hui, ils limitent leur production.

Les prix de 2018 ne sont pas viables pour les producteurs du monde entier, du moins ceux qui exportent le sucre, et la plupart des groupes sucriers européens ont affiché des pertes, à l’instar de Sudzucker, qui a essuyé des pertes de 200 millions d’euros. Tereos a également affiché des pertes. Terra a enregistré des pertes de Rs 325 millions en 2018.

Dans ces conditions, le sucre reste-t-il viable à Maurice ? Le CEO de Terra répond que « dans les prochaines années, les prix seront meilleurs, mais pas assez pour soutenir l’industrie mauricienne ».

Par ailleurs, il faut aussi noter l’effet multiplicateur du secteur sucrier, argue-t-il : « C’est pour cela que dans tous les pays producteurs, il y a beaucoup d’aides aux planteurs et à l’industrie. Parce qu’ils ont compris à quel point l’effet multiplicateur du secteur est important pour l’économie, la société et l’environnement. »

Nicolas Maigrot ajoute « qu’il est temps que les autorités reconnaissent que la bagasse est une énergie verte ».

Il poursuit : « L’année dernière, il a déjà payé une prime à la bagasse, c’est très important. Nous demandons qu’un “fair price” soit payé sur une base permanente, sinon, ce sera très difficile d’avoir une visibilité, et on ne sait pas comment la bagasse sera payée dans les dix prochaines années. Nous espérons que le budget va résoudre ce problème car nous avons besoin d’un cadre dans lequel opérer pour devenir compétitif. »

Il plaide pour un “level playing field” pour le secteur sucrier.

« Nous ne cherchons aucun avantage. Nous demandons simplement de pouvoir travailler comme toutes les autres industries à Maurice. Malheureusement, aujourd’hui, le sucre est soumis à un environnement très difficile pour opérer et se restructurer. Nous voulons être comme les autres. Il faut aussi reconnaître la “green energy”. Pourquoi aller financer de l’énergie solaire alors que si on ne finance pas la bagasse, il y aura moins de canne et on ne pourra pas faire de l’énergie verte. Donc, gardons cette énergie verte plutôt que d’aller chercher d’autres énergies vertes ailleurs. »

Le sucre n’a jamais pu fonctionner sans filet de protection dans le monde entier, selon lui, et ce même dans les gros pays producteurs comme le Brésil. « Dès que les prix du sucre sont trop bas, les producteurs brésiliens peuvent “shifter” et faire de l’éthanol. Il y a toujours des avantages chez les autres producteurs, parce que le sucre a un effet multiplicateur important. Donc, il n’y a rien de mal à regarder le secteur sucrier comme un secteur où le gouvernement doit intervenir. Cela se fait dans tous les pays. »


Nicolas Maigrot : « Nous ne demandons pas des montagnes »

 

Vous demandez des filets de protection pour le secteur sucrier, comme c’est le cas, dites-vous, pour tous les producteurs sucriers au monde. Pourquoi ?

Nous avons énormément de contraintes et ces contraintes doivent être éliminées pour que nous soyons compétitifs dans le futur. Par exemple, les compagnies exportatrices bénéficient d’un tarif d’électricité bien moins cher que les autres. Ce sont des incitations pour employer des gens et développer un secteur. On ne demande pas de devenir l’enfant gâté de l’économie, mais de pouvoir opérer “at par” avec nos concurrents. Nous ne demandons pas des montagnes. Nous demandons de pouvoir faire ce que les autres exportateurs de textile et de poissons peuvent faire. En tant qu’exportateur, nous devrions bénéficier de la même agilité et flexibilité. Nous avons autant, si ce n’est plus, de problèmes que d’autres secteurs d’exportation et il faut trouver une solution. Un “level playing filed” est extrêmement important pour être compétitif. Les lois sont plus rigides pour le sucre en comparaison avec certains secteurs.

 Comment voyez-vous la démarche de Médine de fermer son usine ?

Chaque usine doit avoir une masse critique pour pouvoir travailler et la masse critique de Médine n’est plus là. À 30 000 ou 35 000 tonnes de sucre par an, cela coûte extrêmement cher de faire de la canne. Donc, c’est impossible de pouvoir être rentable, et ce même si les prix augmentent. Donc, Médine n’avait d’autre choix que de fermer. Je pense que le groupe a pris la bonne décision. D’ailleurs, le gouvernement l’a soutenu dans cette démarche. C’est une rationalisation. N’oublions pas qu’il y avait 200 ou 300 usines à l’époque et que ce nombre a baissé graduellement. Moins on a de cannes et plus il faudra rationaliser. Nous étions quatre usines, maintenant nous ne sommes plus que trois. À trois, nous avons aujourd’hui suffisamment de cannes pour les dix prochaines années… Hopefully ! Tout dépendra, je le répète, des décisions qui seront prises pour valoriser le secteur et faire en sorte que tout le monde puisse avoir un certain futur. Parce que si les planteurs ne voient pas d’avenir dans le sucre, la production de sucre baissera drastiquement et il faudra alors se poser d’autres questions.

Vous demandez un “level playing field” et un juste prix pour la bagasse. Vu le contexte politique actuel et la proximité des élections générales, vous pensez vraiment que le gouvernement sera réceptif à votre appel ?

Le gouvernement doit penser au pays avant tout. Et si le pays a besoin d’une source d’énergie fiable, le gouvernement sera ouvert pour des discussions. Aujourd’hui, le mix bagasse/charbon est de loin le moins cher et c’est une énergie extrêmement fiable. Je pense que le gouvernement a tout intérêt à travailler avec nous pour trouver une solution.

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