EN CETTE PÉRIODE FESTIVE : Quand le cœur n’est pas à la fête au Marché Central

Le marché de Port-Louis n’a pas vraiment le coeur en fête en cette fin d’année. Depuis la période de confinement sanitaire, bon nombre de magasins, spécialisés dans la vente de produits artisanaux et de vêtements sont en effet restés fermés. La scène est plus particulièrement désolante au premier étage du marché, où les rideaux de fer des magasins sont baissés. Les deux escaliers roulants, menant au premier étage, ont même cessé de fonctionner. Cependant, ceux qui mènent à un magasin de vêtements sont, eux, toujours opérationnels.

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Au deuxième étage, il n’y a que des lampadaires qui sont toujours allumés, mais l’allée menant aux magasins est déserte, comme tel était le cas durant la période de confinement. Au rez-de-chaussée, plus particulièrement à l’aile droite, le constat est encore plus triste, car très peu de maraîchers, spécialisés dans la vente de produits artisanaux et de souvenirs, osent faire face à la morosité.

Indirajen Rengasasamy, qui opère à cet endroit depuis 25 ans, nous explique la situation. « On n’est pas a priori des maraîchers qui font partie du circuit touristique. On profite normalement du passage des touristes au marché central pour vendre nos produits. Maintenant, avec la fermeture des frontières, il n’y a pas de touristes. On se retrouve donc dans une mauvaise passe et on n’a pas les moyens de payer la location de ces magasins à la municipalité. Puisque celle-ci nous dit que, si on lève les rideaux de fer pour commencer à vendre à l’intérieur, il faudra payer Rs 2 800 par mois comme location », souligne-t-il. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les maraîchers ont choisi de vendre leurs produits devant leurs magasins. Il y a, selon lui, environ 163 maraîchers qui opèrent dans cette aile.

Indirajen Rengasasamy explique aussi : « Il est vrai que le gouvernement est en train de nous accorder une assistance financière de Rs 5 100, mais cela n’est pas suffisant pour vivre et les affaires vont mal ici. Vous pouvez voir beaucoup de monde à l’extérieur du marché, mais peu de Mauriciens viennent ici pour voir ou acheter nos produits, car il n’y a pas d’animation. » Il devait aussi souligner : « Le pire est à venir au début de l’année prochaine, car plusieurs pays européens sont entrés de nouveau en confinement sanitaire. Si laba pa bon, isi pou plis pa bon. En ce moment, un ou deux Mauriciens sont venus acheter nos produits, mais, passé la période de décembre, je ne crois pas que les Mauriciens vont venir ici. Batem nou pa pou fer. »

Ils soulignent de même avoir demandé à la municipalité l’autorisation d’opérer à côté des rues fréquentées de la capitale, mais telle n’a pas été accordée. « C’est la première fois qu’on subit ce genre de choc », souligne-t-il. Auparavant, toute cette aile était ouverte et attirait les gens, mais maintenant, les rideaux de fer sont fermés. Les magasins ont peur d’ouvrir leurs portes, de peur de ne pouvoir payer les frais de location. « Ils préfèrent donc rester à la maison », souligne Indirajen Rengasasamy.

Une autre maraîchère, qui opère tout juste à côté de lui, souligne que son magasin est resté fermé depuis sept à huit mois. « J’ai pris la relève ici depuis le décès de mon époux. On n’a jamais connu une telle situation. J’espère que la municipalité entend nos cris de cœur. On nous a fait savoir qu’à partir de l’année prochaine, travay pa travay, pou bizin pey lokasion. Je sais que, dans d’autres municipalités, tel n’est pas le cas. Je suis pensionnée et je dépends de ce magasin pour gagner ma vie et pour vivre », a-t-elle souligné.

D’autres locataires soulignent qu’ils préfèrent quand même venir ici tous les jours afin d’éviter le stress de rester à la maison et ne rien faire. « Olie al met lakord dan likou pandi, prefer vinn la pou sanz in pe latmosfer. Si nou res lakaz, nou bann prodwi pou abime », fait remarquer un maraîcher. Il devait aussi souligner que les inspecteurs de la municipalité viennent ici régulièrement pour voir si les magasins sont fermés. « S’ils sont ouverts, alors on doit payer la location. On tente d’éviter cela, car les affaires vont mal. Il est maintenant presque midi, et on n’a rien vendu depuis ce matin », souligne un autre maraîcher. Les maraîchers demandent ainsi au Lord-maire, Mahfooz Cadersaid, de venir sur place afin de faire un constat de la situation pour voir s’ils sont en mesure de travailler durant cette période festive.

Sanjay Bisnathsing, maraîcher depuis 60 ans au marché central

La morosité s’est aussi installée chez ceux spécialisés dans la vente de légumes et des fruits. Sanjay Bisnathsing, vendeur de concombres depuis une soixantaine d’années, explique que très peu de gens viennent au marché central pour faire des achats. Auparavant, dit-il, les gens venaient en grand nombre. « C’est la présence maintenant des supermarchés dans la capitale qui contribue grandement à diminuer nos clients. Il y a des gens qui préfèrent maintenant acheter des légumes et des fruits dans les supermarchés », explique ce maraîcher, qui a commencé à vendre des légumes depuis l’âge de 12 ans.

Âgé de 72 ans, Sanjay Bisnathsing souligne que c’est son fils qui lui donne un coup de main pour vendre ses légumes. « Je dois toutefois dire que c’est grâce à ce métier que j’ai pu faire ma vie. Je me suis marié et maintenant j’ai des petits-enfants. C’est au fait mon fils qui s’occupe de mon étal actuellement. Je préfère de temps en temps faire le déplacement ici, histoire de changer un peu d’air », a déclaré le maraîcher, originaire de Tranquebar. Il souligne aussi que le grand événement, qui l’a marqué durant sa carrière, est l’incendie qui avait ravagé le Bazar central. « C’était un 4 novembre, soit à la veille de la fête de Divali. On a dû travailler en dehors du bazar central pendant plusieurs mois, avant de venir s’installer dans le nouveau bâtiment. C’est sans doute mon plus mauvais souvenir. Toutes les marchandises avaient péri dans l’incendie. Même mes comptes pour les clients qui achètent à crédit sont partis en fumée. C’était un véritable cauchemar », ajoute-t-il.

Sanjay Bisnathsing indique aussi que les marchands ambulants ne causent pas de réel problème à son commerce et que c’est plutôt les grandes surfaces qui mènent une rude concurrence à notre égard. Auparavant, durant la période festive, il y avait de l’animation et la vente à l’encan se déroulait sur place. « Le bazar central grouillait de monde à partir 6h. Maintenant entre 7h et 8h, il n’y a plus personne », ajoute-t-il.

Kishore Beeharry, âgé de 56 ans, est un maraîcher particulier. Ce vendeur de fruits, détenteur d’un BSC en chimie et en biologie, travaille au bazar de Port-Louis depuis une cinquantaine d’années. « Auparavant, le bazar central était très animé. Il n’y avait même pas de place pour circuler durant la période festive. Les gens étaient aussi polis. Aujourd’hui, les gens sont plus éduqués, mais pena manier ! Regardez ce qui se passe dans le pays actuellement. Beaucoup de personnes âgées trouvent la mort bêtement. Zenes pe fini vie dimoun akoz kas ek ladrog », dit-il.

Il affirme lui aussi que c’est les grandes surfaces qui ont contribué à fragiliser la situation financière des maraîchers. Il poursuit : « Il y a aussi de petites foires qui ont poussé un peu partout et cela a un effet sur notre commerce. Auparavant, on ne savait pas que le père Noël était au fait notre père ou notre mère. On attendait un an pour avoir un cadeau. On ne consommait pas de viande régulièrement. Aujourd’hui, les gens mangent de la viande, du poulet presque tous les jours. Ki lane pou al fer aster ? »

Le maraîcher ajoute que « les gens préfèrent dépenser beaucoup d’argent dans les salons de coiffure. Mais lorsqu’ils viennent au bazar, ils trouvent que les légumes sont chers. Voilà la mentalité qui s’est installée. » Il trouve aussi que la gestion du bazar central « était mieux » auparavant. « C’est incroyable qu’au marché central de Port-Louis, il n’y a pas de poubelles. Que font ces conseillers municipaux ? Les toilettes publiques laissent à désirer. Auparavant, les inspecteurs municipaux parlaient avec respect aux maraîchers. Maintenant ce n’est plus le cas. Finn met lalinn devan nou kouma dir loto lor sime. Kot ti ena sa avan ? On ne doit pas dépasser cette ligne blanche pour vendre nos produits », fait-il remarquer.

Kishore Beeharry souligne aussi qu’il ne voit pas beaucoup de ministres au marché central. « Sa bizin kont lor ledwa sa. J’ai déjà vu cependant des politiciens comme Arvind Boolell, Anil Bachoo, Anil Gayan, Joe Lesjongard et, dans le passé, feu sir Seewoosagur Ramgoolam qui visitait assez souvent le bazar de Port-Louis », explique-t-il. Cet habitant de Port-Louis souligne qu’il a choisi de travailler comme maraîcher, car il n’a pas obtenu de débouchés dans le passé « en raison de mon franc-parler ».

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