Enfants victimes et auteurs de violences : « Besoin crucial d’encadrement et de prise en charge »

— Mariam Gopaul (pédagogue et consultante) : « Il faut expliquer aux enfants qu’ils commettent des erreurs et pourquoi ce n’est pas bien, plutôt que de les punir »

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— Ibrahim Koodoruth (sociologue) : « La société et la famille ont échoué ! L’enfant est agressé partout par la violence »

— Rita Venkatasawmy : « Des études prouvent qu’incarcérer un enfant comporte des risques d’en faire des délinquants ! »

Les cas de violences impliquant des enfants et des mineurs, qu’ils en soient auteurs ou victimes, sont en hausse. L’évasion, il y a quelques jours, d’un groupe de mineurs incarcérés dans un centre de détention à Petite-Rivière avec comme élément majeur l’agression d’un policier, au même titre que ce mineur de 17 ans, aspiré dans le complot du meurtre de Devianee Bheekun contre la somme de Rs 2 000 ou encore ce garçon de sept ans, poussé par son père pour commettre un vol dans un complexe commercial, rappellent à quel point la jeunesse, outrageusement vulnérable, « manque cruellement de repères, et réclame attention, dialogue, écoute et encadrement », estime Mariam Gopaul, pédagogue et consultante. Le sociologue et chargé de cours à l’Université de Maurice, Ibrahim Koodoruth, blâme « l’inaction de la société, qu’il s’agisse des plateformes religieuses, la famille et les politiques. »

L’Ombudsperson for the Children, Rita Venkatasawmy, fait remarquer qu’incarcérer un enfant, ne serait-ce que pendant une brève période, équivaut à développer chez certains sujets des comportements déviants, les menant au crime et à la délinquance. « Des études ont été menées à cet effet. On ne doit pas parler de punition mais de réhabilitation. Et celle-ci doit être accompagnée d’un encadrement visant à rétablir le jeune sur son parcours. » Le sociologue et chargé de cours à l’Université de Maurice (UoM), Ibrahim Koodoruth, pour sa part, pointe le doigt vers « la société autant que la famille, qui ont échoué dans leurs missions ».

Mariam Gopaul et Rita Venkatasawmy sont sur la même longueur d’ondes. « C’est beaucoup trop facile et gratuit de faire porter le chapeau aux enfants dans tous les cas de figure ! » La première citée poursuit : « Parce que les enfants sont vulnérables et sans défense, nombre de personnes adoptent cette posture. C’est révoltant ! Combien s’attachent à reprendre des enfants, surtout ceux avec qui on a des soucis de comportements, pour leur expliquer qu’ils commettent une erreur, pourquoi c’est une erreur, et pourquoi il ne faut pas la répéter. » Au lieu de cela, estime Rita Venkatasawmy, « la société a davantage tendance à concentrer ses efforts sur des actions punitives et restrictives, comme les placer dans des institutions réformatrices. » Cependant, souligne cette dernière, des études prouvent que mettre un enfant, même pendant une brève période derrière des barreaux, est néfaste à leur épanouissement. « Plutôt que de les aider à prendre un nouveau départ, cette situation a davantage tendance à développer chez ces sujets des comportements les amenant à la délinquance et au crime. »

De fait, soutiennent d’une même voix ces deux femmes qui œuvrent beaucoup auprès des enfants, « il est primordial que ces enfants dont les comportements sont déviants aient droit à un encadrement adéquat, avec des thérapies d’accompagnement, de la prise en charge, des suivis, comprenant des activités et des rencontres avec des Ressource Persons, qui les aideront à sortir de leur condition, comprendre comment, pourquoi et où ils ont mal tourné, et comment faire pour changer la donne ».

Mariam Gopaul rappelle ce fait : « L’enfant est comme un cahier vierge : ses actions sont le reflet de ce qu’il voit. Et tant qu’on a des attitudes et des comportements négatifs devant lui, à ses yeux, ce sera normal et dans l’ordre des choses ! Ce qu’il faut, dans un premier temps, c’est que les adultes cessent d’avoir des comportements violents, qu’ils apprennent à contrôler et gérer leur bestialité devant leurs enfants. Parce qu’un enfant qui voit ses parents se disputer régulièrement et se comporter brutalement, qui entend des jurons tout le temps, qui les voit se tirailler systématiquement, qu’ils utilisent des couteaux et autres, pense que c’est là une chose normale et habituelle ! »

Elle relate un cas qui l’a marquée : « Nous avions affaire à un groupe d’enfants de six ou sept ans, qui évoluent dans un quartier chaud. Pour eux, des scènes quotidiennes comme des bagarres à coups de sabre, des effusions de sang, c’était la normalité ! Rien de plus banal ! » Le chargé de cours à l’Université de Maurice (UoM), le sociologue Ibrahim Koodoruth, étaye ces propos : « L’enfant, le jeune, est agressé de toutes parts. Il évolue dans une société où les violences sont omniprésentes : il y a celle du quartier, celle de la maison, celle de l’école, celle que renvoient les médias via des infos qui évoquent, la plupart du temps, les conflits armés, la guerre, les bagarres… Bref, la violence est partout ! Comment faire pour y échapper ? »

Cette « banalisation », soutiennent Mariam Gopaul et Ibrahim Koodoruth, « fait que l’enfant développe une culture de la violence ». Pourquoi ? « Parce que personne, aucun adulte ne l’arrête, pour lui dire que ce qu’il fait est mal ! Personne ne lui explique que ce n’est pas bien, qu’il faut qu’il change et qu’il ne doit plus agir de la sorte. » Au lieu de cela, note la consultante et pédagogue, « les autorités et diverses personnes responsables de remettre ces enfants sur les rails s’empressent de le corriger. Et de quelle manière ? Par la répression. Cela ne marchera jamais ! » Ibrahim Koodoruth précise, dans la foulée, que le dialogue a été rompu. « Vers qui l’enfant va se tourner pour comprendre et apprendre ? »

Mariam Gopaul rappelle que concernant des études menées, à Maurice et dans la région, dans le cadre de l’Observatoire des Droits des Enfants, « beaucoup de jeunes nous avaient confié qu’ils avaient énormément d’énergie à dépenser, mais que faute de bons moyens et média, ils ne savaient comment s’y prendre. » Et c’est effectivement, une réalité. « Nos jeunes ont plein d’adrénaline… qu’ils canalisent via des jeux violents. Parfois même des actes violents, hélas ! » Le sociologue Ibrahim Koodoruth abonde dans le même sens : « De nos jours, on n’a qu’à faire un survol des jeux auxquels les jeunes s’adonnent, en permanence ; tous sont caractérisés par énormément de violences. On tue, on frappe, on maltraite…» Au bout du compte, soutient le chargé de cours à l’UoM, les repères de ces jeunes ont changé. « S’ils ne parviennent pas à obtenir quelque chose qu’ils convoitent par des moyens décents, ils ont recours à la violence pour ce faire ! C’est ce qu’ils ont appris via leurs jeux : l’unique médium qui leur a inculqué quelque chose… » L’école, la société autant que la cellule familiale, retiennent Mme Gopaul et M. Koodoruth, « ont failli à leurs missions ! » Il faut, de ce fait, « une remise à niveau pour remettre les compteurs à zéro et repartir sur de nouvelles et bonnes bases solides ».

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Mariam Gopaul dénonce « des adultes sans scrupule qui utilisent des enfants »

L’ancienne représentante de l’Unicef à Maurice, Mariam Gopaul, est révoltée face « aux adultes, sans scrupule, qui utilisent des enfants pour commettre leurs forfaits ! » Elle dira ainsi : « Rien que durant ces dix derniers jours, on a eu ce père qui a poussé son fils à voler, dans un magasin ! On a appris, également, dans le cas du meurtre de Devianee Bheekun qu’un mineur avait été sollicité, contre paiement d’argent, pour tuer cette femme. C’est tout bonnement inacceptable ! » La consultante et pédagogue renvoie « au début des années 2000 : avec plusieurs partenaires œuvrant dans les secteurs touchant au développement des enfants, nous avions tiré la sonnette d’alarme pour dire qu’il y avait des parents et des adultes hélas ! qui ne se privaient pas de se servir des enfants, les leurs ou d’autres qui sont vulnérables, pour divers types de délits. » Et d’ajouter : « Dès cette époque, on avait prévenu que certains n’hésiteraient pas à utiliser des enfants dans le trafic de drogue. Et que s’est-il passé ? L’an dernier, on a eu le cas de ces deux enfants interceptés à l’aéroport, utilisés comme des mules ! » Et ce n’est pas tout, continue notre interlocutrice : « On avait aussi averti que certains enfants seraient la cible des trafiquants pour cacher dans leurs cartables et autres effets personnels les cargos de drogue. Ça aussi s’est révélé vrai ! » Mme Gopaul est indignée, parce qu’on avait dit de faire attention, qu’on devait réagir. « Mais personne ne nous a cru. Voilà le résultat, maintenant ! »

Ibrahim Koodoruth : « La société a échoué ! »

Pour le sociologue et chargé de cours à l’UoM, il est clair que la grande responsabilité incombe aux adultes. D’une part, les parents ont démissionné de leurs responsabilités envers leurs enfants. Et de l’autre, la société a échoué ! Il élabore : « Au sein de la cellule familiale, il n’y a plus d’écoute ni de dialogue ! Combien de parents se plaignent que leurs gosses rentrent de l’école et s’enferment dans leurs chambres, avec leurs ordinateurs ou téléphones et qu’ils n’en sortent que pour dire “je pars chez un ami” ou autre ? Mais à qui la faute si l’enfant est devenu ainsi antisocial ? Aux parents, évidemment, qui n’ont pas pris le temps de reprendre leurs enfants, leur expliquer que ceci n’est pas un comportement approprié. Que la famille est un espace où l’on parle, on écoute, on discute ensemble ! Pas chacun dans son coin. »

Le sociologue va plus loin : « Et quid de la société ! Quelle Ong, quel gouvernement, quels partenaires sociaux prennent l’engagement de lancer des programmes d’éducation qui prônent des valeurs, qui inculquent le bien et les principes de base, comme le respect, les bonnes manières ? Non, cela n’a pas cours. Parce que ce n’est pas un investissement qui rapporte des sous ! C’est cruel. »

Dans la même veine, conclut-il, les plateformes communes et religieuses ne remplissent pas non plus leurs rôles ! « Oui, elles inculquent les valeurs fondamentales que prônent les religions. Mais elles ne les transmettent pas dans la pratique ! C’est uniquement sur une base théorique et verbale que se fait cette transmission. Si on n’amène pas les gens dans leurs contextes réels à mettre en pratique les enseignements religieux, on a échoué dans la mission de faire de chacun un fidèle ! »

2020 : changer la donne !

La situation n’est pas désespérée, soutiennent Mariam Gopaul et Ibrahim Koodoruth. « Il y a des moyens de rectifier le tir, de ramener nos jeunes vers de bonnes pratiques et changer la donne », expliquent-ils d’une même voix. Le sociologue prône ainsi des programmes d’éducation et des structures qui mettent en avant les bonnes pratiques. « Attention ! Je ne parle pas là des “civic education classes” qui sont totalement déconnectées des réalités sociales, économiques et réelles de nos jeunes. » M. Koodoruth soutient qu’il faut de vrais programmes de remise à niveau pour ramener tout un chacun vers l’essentiel : l’essence des religions, les valeurs et principes de base, comme le respect, la tolérance, la paix, l’amitié, l’amour… « La qualité de l’éducation est primordiale ! », soutient Mariam Gopaul. « L’enfant, le jeune est telle une éponge, malléable, qui absorbe ce qu’on lui renvoie. Il convient, de ce fait, d’armer nos enseignants tout aussi bien car eux aussi sont terriblement largués quand ils sont face à l’univers en constante évolution de nos jeunes ! Il leur faut un bagage psychologique, entre autres, pour qu’ils puissent être à l’écoute, et discerner des signes chez leurs étudiants, par exemple. Afin de savoir comment les approcher et ouvrir le dialogue. »

L’enfant, continue la consultante et pédagogue, capte et réplique. « Nous sommes en 2020 : il est plus que grand temps de changer nos mauvaises habitudes et de mettre de l’ordre dans tout ça. De ce fait, nos adultes doivent commencer par mieux gérer leurs pulsions et colères. Être vigilant quant à leur langage et leurs gestes. La qualité de la vie, au sein de la cellule familiale et la société, doit être revue vers le haut, et non viser la médiocrité. »

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