ENQUÊTE JUDICIAIRE | Meurtre de Kaya Kistnen : Le Dr Sunnassee, médecin-légiste, cloué au pilori

Le Police Medical Officer admet avoir « fait une erreur » en concluant qu’il n’y avait pas de papier dans la main gauche serrée de la victime

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Le médecin, qui a pratiqué l’autopsie sur l’agent du MSM au No 8, n’est autre que le cousin germain de Jonathan Ramasamy, ex-directeur de la STC, et un parent éloigné de Vinaye Appanna.

Le Police Medical Officer, le Dr Ananda Sunnassee, qui avait pratiqué l’examen post-mortem de la dépouille calcinée de Soopramanien Kistnen, alias Kaya, l’agent du MSM à Quartier-Militaire/Moka (No 8), a subi un exercice de Strip Tease dans le box des témoins de l’enquête judiciaire se déroulant au tribunal de Moka. Lors de l’audition d’hier, il a été cloué au pilori et a dû admettre qu’il avait commis une erreur en niant qu’un morceau de papier était entre les mains de la victime. Il a été appelé à concéder qu’il est le cousin de l’ancien directeur général de la State Trading Corporation, Jonathan Ramasamy et un parent éloigné de Vinaye Appanna, un des témoins dans l’enquête judiciaire qui objecte à l’analyse de son ADN suite à un ordre de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth. Le médecin-légiste a également été pris à contre-pied par l’ancien Chief Police Medical Officer quant à la cause du décès, remettant en question la thèse d’œdème pulmonaire.  La séance d’hier a été consacrée, par ailleurs, aux conclusions du rapport d’autopsie et des controverses surgissant encore. Ainsi, la copie du rapport fournie par l’ASP Vikash Seebaruth contenait deux signatures alors que le rapport en possession du médecin légiste ne comportait que la sienne.

Le Dr Sunnassee a été confronté à une série de questions « dérangeantes » qu’il n’a pu éviter tout en ouvrant la voie à une mise en doute de ses conclusions de l’examen post-mortem. Déjà, lorsqu’il fut interrogé par le représentant du Bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Azam Neerooa, il fut mis devant les faits que le rapport d’autopsie fourni par l’assistant surintendant de police, Vikash Seebaruth, contenait deux signatures. Le Dr Sunnassee devait, lui-même, faire part d’une surprise.

Me Neerooa (AN) : Il y a deux signatures dans votre rapport médico-légal. Pourquoi cela ? L’autre signature est celle de qui ?

Le Dr Sunnassee (AS) : C’est la première fois que je vois cela.

AN : À qui est l’autre signature ?

AS : Au Dr Soodesh Kumar Gungadin.

AN : Pourquoi deux signatures ?

AS : Ce n’est pas dans la pratique.

AN : Dr Gungadin n’était pas présent lors de votre autopsie. Il n’a pas visité les lieux du crime. Il n’était pas présent lors de la finalisation du rapport, n’est-ce pas ?

AS : Non, il n’était pas présent.

AN : À moins que vous lui ayez demandé conseil et approbation. Cette signature est une marque de son approbation ?

AS : Non, le rapport médico-légal avait déjà été signé et transmis aux enquêteurs de la police. Et je tiens à préciser que le rapport en ma possession ne contient pas la signature du Dr Gungadin.

AN : Donc est-ce normal que dans une copie de votre rapport d’autopsie il y ait deux signatures ?

AS : Mon rapport est mon rapport ! Personne d’autre ne peut signer dessus.

Me Neerooa d’avancer alors que le rapport médico-légal d’autopsie a été « manipulé », ce qui s’apparente à un délit de falsification (forgery) de documents. Dr Sunnassee devait effectivement fournir une copie du rapport d’autopsie en sa possession qui contient uniquement sa signature.

Inhalation de fumée

Un autre aspect litigieux du rapport d’autopsie est que le Dr Sunnassee insiste sur le fait que Soopramanien Kistnen avait respiré de la fumée et des produits combustibles avec les flammes dans les champs de cannes à Telfair, Moka. La conséquence n’est autre que cette concentration de ‘5.2 %’ de monoxyde de carbone. Il fut une nouvelle fois rappelé à l’ordre que le taux de monoxyde carbone se mesure en ppm (parts per million) et non en pourcentage.

Le Dr Sunnassee est revenu sur le fait que c’est le Forensic Science Laborarory qui lui a soumis son rapport en considérant le taux de monoxyde de carbone en pourcentage, sans prendre en considération le taux de carboxyhémoglobine.  Il avance cependant que sa conclusion de la cause du décès, notamment l’œdème pulmonaire, « tient toujours la route ».

Il ajoute que le Dr Sunnassee qu’« avec le rapport du FSL, qui mentionne des particules noires dans le poumon et des substances de produits calcinés, j’ai pris sur moi-même pour conclure qu’il y avait de la suie d’incendie dans l’organisme de la victime. Ma cause du décès est ainsi tributaire de deux facteurs, l’inhalation de fumée et de particules calcinées ». Il a révélé avoir pratiqué 936 autopsies déjà mais 12 dans des cas de brûlures fatales.

Interrogé par la suite par Me Roshi Bhadain, le Dr Sunnassee est revenu sur le 19 octobre 2020, lorsqu’il avait pratiqué l’autopsie sur la dépouille de Kaya Kistnen. Le médecin légiste a fait part à la Cour qu’il avait démarré l’examen post-mortem de la victime vers 9h50 et a pris trois heures pour la compléter. Il avait quitté son bureau vers 16 h ce jour-là, après avoir pratiqué les trois autopsies attribuées et se déroulant à l’hôpital Jeetoo.

Il a expliqué avoir dû confirmer l’identité de Soopramanien Kistnen malgré le fait d’avoir obtenu le formulaire PF 57 de la police, avec le nom de Soopramanien Kistnen, que dans la nuit du 18 octobre 2020. Du fait qu’il n’avait pas contacté sa collègue, la Dr Shaila Prasad-Jankee, pour obtenir plus de détails concernant la scène du crime et la position du corps calciné, le Dr Sunnassee dira « nous ne travaillons pas de la sorte. Ce n’est pas tout le temps le médecin ayant fait le constat de la scène d’un crime qui pratique l’autopsie. J’ai obtenu des informations des limiers du SOCO, détails qui étaient satisfaisants pour que je puisse pratiquer l’autopsie. J’aurais éventuellement appelé la Dr Prasad-Jankee si j’avais besoin d’autres d’explications ».

Me Neerooa devait toutefois attirer l’attention de la Cour qu’aucun nom d’officiers du SOCO ne figure dans le rapport d’autopsie. Dr Sunnassee a répondu qu’il avait eu un Briefing avec des High Ranking Officers, responsables de l’enquête, avant l’autopsie, dont l’ASP Jankeeparsad Buchoo et la Women Police Inspector Raymond. Il ajoutera n’avoir jamais été informé d’un quelconque sac à dos ni des conclusions sur place le 18 octobre 2020 de la Dr Prasad-Jankee.

Décollement de la peau ou papier calciné ?

Par contre, le Dr Sunnassee a dû avouer « une erreur », après avoir pris conscience de l’avertissement de la magistrate, au sujet de ses propos tenus précédemment, concernant ce qui se trouverait dans une main serrée et rigide de la victime. Répondant aux questions de Me Bhadain, Dr Sunassee a indiqué que sur la base des photos obtenues, il avait conclu qu’il n’y avait pas de papier dans un poing serré de la victime mais que cela était dû à un décollement de la peau de la main en raison du feu. La magistrate est alors intervenue, suivie de Me Neerooa.

La magistrate (VMJ) : Vous pensez donc que la Dr Shaila Prasad-Jankee a confondu papier calciné et décollement de la peau ?

Sunnassee (AS) : Cela arrive que l’on fasse des erreurs.

VMJ : Je vais devoir vous administrer un avertissement si vous n’êtes pas prudent au regard de ce que vous dites. En décembre dernier, lors de votre audition vous aviez dit qu’il y avait du papier calciné.

AS : Je me souviens maintenant. J’ai pris sur moi-même pour conclure à un décollement de la peau après avoir vu les photos de l’autopsie et avoir parcouru le rapport médico-légal.

Me Neerooa (AN) : À quel point les mains étaient brûlées ?

AS : Partiellement et de manière superficielle.

AN : N’avez-vous pas dit dans votre rapport qu’il y avait des brûlures uniquement sur le dos de la main, que vous n’avez rien noté concernant les paumes des mains, donc pas de décollement de peau.

Me Neerooa lui a fait part aussi que dans son rapport d’autopsie intérimaire du 16 novembre 2020 et le rapport final du 5 février 2021, il n’a jamais fait mention de décollement de peau.

AS : Je suis d’accord, il n’y a pas de décollement de la peau.

AN : Vous êtes d’accord que les deux mains étaient partiellement brûlées et de manière superficielle ?

AS : Oui c’est une erreur. Il n’y a pas eu de décollement de la peau. Toutefois, je n’ai pas vu de papiers sur la table d’autopsie. La Dr Prasad-Jankee en a sans doute vu sur les lieux du crime mais moi je n’ai ni vu ni reçu de papiers calcinés lorsque j’ai réceptionné le corps.

Une autre étape notable lors de l’audience d’hier est survenue lorsque le Dr Sunnassee a confirmé qu’il est le cousin germain de Jonathan Ramasamy, ex-directeur de la STC, confirmant que sa mère est la sœur de la mère de l’ex-directeur. Il a aussi déclaré qu’il est parent éloigné de l’homme d’affaires Vinaye Appanna. Le médecin-légiste devait toutefois assurer la Cour qu’il n’a jamais rencontré l’ex-ministre MSM et colistier du Premier ministre, Yogida Sawmynaden, même pas lors de cérémonies religieuses ou de prières.

Dr Satish Boolell : « Kistnen

n’a pas respiré de fumée »

Le Dr Satish Boolell, l’ex-chef du département médico-légal de la police, désormais consultant, a remis en question le rapport d’autopsie du médecin légiste, le Dr Ananda Sunnassee. Il a apporté des précisions sur les procédures à suivre après la découverte d’un cadavre. Son opinion en Cour a été sollicitée par la famille de Soopramanien Kistnen, et après une requête formulée par Me Rouben Mooroongapillay.

Dr Boolell a indiqué que la pratique d’usage implique que le médecin légiste n’entre en scène que lorsque les limiers du SOCO auront fini de quadriller les lieux du crime. Il ajoute que les mains et les pieds de la victime doivent être protégés par des sacs en plastique pour éviter un déversement de substances lorsque le cadavre est déplacé. Le Dr Boolell a répondu aux questions de Me Azam Neerooa

AN : Est-ce qu’un officier de police peut donner des instructions contraires au médecin légiste sur l’endroit où le corps doit être transporté ?

Satish Boolell (SB) : Le haut gradé peut donner de telles instructions seulement après avoir consulté le médecin légiste, qui est l’unique propriétaire du cadavre à ce stade.

AN : Qui doit pratiquer l’autopsie ?

SB : Il est fort désirable que ce soit le médecin légiste qui était sur la scène du crime de pratiquer l’autopsie. Excepté s’il y a une tournure des évènements. Par exemple, dans l’affaire Michaela Harte, le médecin légiste qui devait pratiquer l’autopsie a eu un problème cardiaque et j’ai eu à le faire moi-même. C’était tout à son honneur d’être resté à mes côtés pour me faire part de ses analyses et pour me confier cette tâche officiellement.

Dr Boolell soutient aussi que la mesure du monoxyde de carbone dans le sang en pourcentage « est absolument faux » et que cette lecture de 5,2% de monoxyde de carbone « ne veut rien dire à mes yeux », avançant que le technicien qui a fait cette mesure « doit expliquer ce qu’il a voulu calculer ». Par ailleurs, il poursuit qu’en assumant que ce serait un taux de 5.2 % de carboxyhémoglobine « cela est normal dans n’importe quel corps d’une personne qui marche dans les rues de Maurice avec le niveau de pollution. C’est aussi une lecture normale pour un fumeur ». Il fait ressortir que 5.2 % de carboxyhémoglobine « ne peut mener à un décès ».

AN : Selon le rapport d’autopsie, trouvez-vous qu’il y a des signes de coloration cerise-rouge sur et à l’intérieur du corps ?

SB : Non.

AN : Donc comment interprétez-vous cela ?

SB : Cela indique que le défunt n’a pu respirer de la fumée, dont du monoxyde de carbone.

AN : Peut-on dire que la victime était déjà morte avant l’incendie ?

SB : Oui.

Dr Boolell indique que si Soopramanien Kistnen était en vie lorsqu’il prit feu, ses voies respiratoires auraient été emplies de suie, « ce qui n’était pas le cas ». D’autant plus qu’il n’y a nul besoin d’utiliser un microscope pour détecter de la suie dans les voies respiratoires « et que cela peut se faire à l’œil nu ».

AN : Est-ce que de l’écume de couleur rouge sortant des poumons peut nettoyer tout le dépôt de suie dans les voies respiratoires ? (comme l’avait indiqué Dr Sunnassee)

SB : Dans ce cas, l’écume rouge ne serait plus rouge mais serait recouverte par de la suie. Cette théorie me parait toutefois impossible.

Sur les particules de couleur noire dans les poumons qui auraient été détectées au microscope, Dr Boolell écarte cette conclusion comme « n’ayant aucune valeur », car, dit-il, « les poumons de tout adulte perdent de cette couleur rose en raison de la pollution et des contaminations. J’ai rarement vu un poumon de couleur rose hormis chez un enfant ou une femme.

AN : En lisant le rapport d’autopsie, pouvons-nous dire que la victime est morte due à l’inhalation de fumée et de produits combustibles ?

SB : Non.

Dr Boolell déclare alors qu’en parcourant le rapport d’autopsie, il a vu que l’estomac contenait une petite quantité de fluide rouge-orange et des particules de nourriture. « Cela veut dire que la personne est décédée deux heures après avoir pris ce fluide rouge-orange et ces particules de nourritures non-identifiées », dit-il.

Avant de terminer cette session pour la reprise de son audition aujourd’hui, Dr Boolell a indiqué à Me Neerooa qu’il pense se souvenir que l’hôpital Jeetoo comporte une salle mortuaire avec deux tables.

CORRESPONDANCE PRIVÉE AU TRIBUNAL

Dr Ananda Sunnassee échappe à une sanction

La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth a rendu son Ruling dans le cas suspecté de « perverting the course of justice », soit avec le Dr Ananda Sunnassee adressant directement une correspondance à la magistrate au tribunal de Moka, sans passer par le bureau du Directeur des Poursuites Publiques.

Me Azam Neerooa avait ainsi fait part d’un possible délit grave. Dr Sunnassee avait, dans sa correspondance, souhaité faire part de preuves à sa disposition qu’il voulait fournir au tribunal. Dans son Ruling, la magistrate devait dans un premier temps avancer que les preuves fournies par le médecin légiste sont contradictoires mais elle s’est toutefois dite « satisfaite » de son explication selon laquelle il n’était pas au courant des procédures qu’il fallait suivre.

La magistrate a souligné qu’elle n’accordera aucune importance à la lettre et a averti le médecin légiste à l’avenir, décidant pour cette fois de ne pas le sanctionner.

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