Expressions publiques – Lorsque les femmes s’emparent de la rue

Dominique Veerasamy, Keshwanee Bundhoo et Christiane Calice: trois voix fortes de citoyennes exaspérées

- Publicité -

Elles ne sont pas députées, conseillères municipales, ni grandes intellectuelles bien sapées et friandes de talk-show pour un récit utopique sur comment refaire le monde. Elles ne sont que trois femmes: Dominique Veerasamy, Keshwanee Bundhoo et Christiane Calice, des inconnues qui se sont récemment illustrées par la voix forte qu’elles ont exprimée en public pour dire leur exaspération. Que de simples citoyennes s’emparent de la rue pour dire leur révolte est assez rare pour être souligné. Un épiphénomène, un moment d’humeur, le signe d’un profond désarroi socio-économique qui touche en premier les femmes qui sont le pilier de la famille? Sans doute, un peu de tout ça…

C’est le vendredi 21 août que l’île Maurice découvrait Dominique Veerasamy. C’est le jour où les ministres de l’Environnement Kavi Ramano et celui de la Pêche, Sudhir Maudhoo, comparaissaient devant le tribunal de Mahébourg dans le cadre de la Private Prosecution logée contre eux pour négligence dans la prévention de la marée noire par l’activiste Bruneau Laurette.

Tandis qu’un groupe de partisans du MSM, vêtus d’orange, pour les uns, et de  vert pour les autres, tenait des banderoles pour afficher leur soutien aux ministres avec des slogans du genre “pa tous nou soudire (Sudhir)”, une femme est montée sur un muret pour tenir un discours courageux qui a coupé la parole aux affidés du Sun Trust qui avaient cru pouvoir confisquer l’événement en y organisant une manifestation illégale.

Dominique Veerasamy, haussant le ton, a envoyé quelques missiles létaux et des arguments à clouer le bec à ces agents du MSM venus des circonscriptions 9 et 18. “Pa vinn fer politique isi, met pavyon Moris, lager pou nou drwa, pou nou liberte”, a-t-elle lancé sous les applaudissements des Mahébourgeois.

Ce cri de coeur, ce parler puissant, c’était ceux d’une épouse et d’une mère de pécheurs durement affectés par le naufrage du Wakashio. Elle a demandé à ces protégés du régime s’ils savent comment ceux qui sont privés de leur gagne-pain du fait de la pollution du lagon font pour payer le loyer, l’électricité et les autres charges qui sont celles de toutes les familles mauriciennes.

Ses propos, qui ont fait le tour de la Toile, ont suscité une incroyable adhésion de la République entière ou presque, les Mauriciens approuvant son geste spontané et le courage dont elle avait fait montre en confrontant des agents du MSM qui se croyaient au-dessus de tout, au point de manifester devant un tribunal sans être interpellés par la police.

Son rayonnement n’a pas plu aux princes qui gouvernent, pour le moment, du moins. Ils ont vite fait d’activer leur police pour tenter d’intimider la dame, alors qu’elle n’avait rien fait de mal, ni attaqué qui que ce soit personnellement. Juste l’expression d’un ressenti largement partagé pendant par la violence des conséquences du naufrage du vraquier.

La police obligée de battre en retraite

Des agents de police vont commencer à tourner auprès de sa modeste demeure, question de montrer qu’ils l’ont à l’oeil, et ils finiront par la convoquer. La nouvelle de sa convocation va provoquer un véritable tollé dès qu’il avait gagné l’espace public. Des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux pour qu’il y ait une manifestation de soutien à Dominique Veerasamy.

Son homme de loi, Adrien Duval, devait expliquer que, comme il n’y avait rien à reprocher à sa cliente, la police envisageait de loger un cas de “rogue and vagabond” contre Dominique Veerasamy. Le “rogue and vagabond” est la charge bateau qu’utilise la police lorsqu’elle a envie de faire peur aux modestes citoyens et qu’il n’y a aucune substance dans le dossier à charge qu’elle tente de monter.

La réprobation est telle que la police doit battre en retraite. Son porte-parole, Shiva Coothen, jamais avare de commentaires, même s’ils sont ridicules, est alors venu dire que la police ne voulait l’entendre qu’à titre de témoin sur les incidents qui s’étaient produits lors de la comparution des ministres Ramano et Maudhoo.

La police finira par informer Dominique Veerasamy qu’elle n’avait pas à se présenter. L’affaire a été finalement abandonnée sous la pression de l’opinion publique déjà remontée contre la gestion du naufrage du Wakashio.

Si l’habitante de Mahébourg avait marqué l’année 2020 par son franc-parler, cette année commence aussi avec l’expression d’une parole forte de femme, celle Keshwanee Bundhoo. Elle était non loin de la New Court House le jeudi 7 janvier pour suivre les événements liés à la deuxième comparution de Yogida Sawmynaden.

Cette comparution en cour fait suite à la Private Prosecution logée par la veuve de Soopramanien Kistnen contre le ministre qu’elle accuse de l’avoir déclarée comme sa constituency clerk, alors qu’elle n’a jamais touché les Rs 15 000 de salaire qui vont avec.

L’habitante de Terre-Rouge, une veuve, était venue apporter son soutien à Simla Kistnen, et elle voulait voir de près l’arrivée du ministre incriminé par l’épouse de l’agent du MSM du no 8 décédé dans des circonstances troublantes.

La police constatant qu’elle est très volubile et qu’elle n’est pas avare de commentaires acerbes à l’endroit du ministre MSM et du gouvernement tente de l’éloigner. Elle ne se laisse pas faire et lance des piques encore plus virulentes contre le gouvernement et contre la police, elle-même.

Aux injonctions des policiers présents la pressant de quitter le lieu qui avait été décrété “restricted area”, Keshwanee Bundhoo rappelle qu’elle est une citoyenne venue apporter son soutien à la veuve Kistnen et, plus remontée, elle lance même aux agents que ce sont les Mauriciens et les gens de la rue comme elle qui contribuent à payer les salaires des policiers.

Ce n’est qu’après qu’elle a refusé d’obtempérer que la police a sorti une autre parade, celle du délit de non-port du masque dans un lieu public. C’est avec beaucoup de difficultés que la police, régulière et reconnaissable, mais aussi déguisée en civils, a pu l’embarquer dans un véhicule et l’enmener au poste de Pope Hennessy.

“Pa pins mwa”

Ce n’est pas son interpellation à grand renfort de policiers en civil et en uniforme qui l’empêchera de parler. Alors qu’elle est littéralement soulevée pour être embarquée dans un fourgon de la police, elle réagit vivement: “Pa pouss mwa, pa pins mwa.” Tout cela sous les yeux de manifestants qui protestaient et déploraient la manière de faire de la police.

La suite de cette affaire: la conduite de l’interpellée, souffrant de problèmes cardiaques, à l’hôpital pour des soins, la déposition d’un policier qui a allégué avoir été mordu par Keshwanee Bundhoo et une plainte de l’habitante de Terre-Rouge, soutenue par son homme de loi Neelkanth Dulloo, pour brutalité policière auprès de l’Independent Police Complaints Commission.

Pendant que l’attention était braquée sur Keshwanee Bundhoo, Christiane Calice, elle était à la cathédrale Saint-Louis pour aller prier comme à son habitude. C’est debout devant le portail central de la cathédrale, fermée sur ordre du père Jean Maurice Labour, et bougie à la main, que cette travailleuse sociale de 59 ans, qui a l’habitude de venir se recueillir à la cathédrale, a interpellé publiquement les autorités catholiques et le cardinal Maurice Piat: “Ki senla ine donn lord pou ferm nou legliz? Ki qualité répression kine ena ki nou klegliz fermé?, Nou pa kone si nou monpere par limem ine ferme sa legliz la, mo pa croire, nou ena nou kontribision dan leglis pa kapav ferm legliz Cathedrale sans ki li informe nou ki le pe ferme, kan enn dimoun dan problème li dir mo bizin al prié, la kot nou pou prié? nou legliz mem ferme, ki pression ine ena pou ki nou legliz ferme?” a déclaré Christiane Calice visiblement mécontente de ne avoir pu entrer dans la cathédrale pour ses prières habituelles.

Trois voix revendicatrices de femmes. Peut-être le début d’un mouvement de celles qui jusqu’ici ne faisaient ou ne pouvaient faire entendre leurs récriminations. Simla Kistnen n’est définitivement pas seule!

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -