Foyer Père Laval – Des gosses assoiffés assoiffés d’amour et d’une opportunité

  • David Antonique (responsable) : « Les parents biologiques viennent rarement voir leurs enfants ici. Quand cela arrive, les autres demandent pourquoi ils n’ont pas de visites »
  • Dr Patrick How : « Davantage que des vêtements et de la nourriture, ces gosses ont énormément besoin d’amour, d’attention et de notre temps »
  • Le petit Abhishek, qualifi é de « prochain Ronaldo » par ses amis et éducateurs, recherche parrains et sponsors pour une carrière dans le foot

Audrey et David Antonique sont un couple hors du commun : ils ont… 36 fils ! Ces trentenaires sont, en fait, responsables du Foyer Père Laval, géré par le Diocèse, et où sont accueillis actuellement 36 garçons, âgés de six à 16 ans. Tous sont scolarisés et issus de familles à problèmes. Ils ont été référés au Foyer par la Child Development Unit (CDU) du ministère du Bien-Être de la Famille et du Développement de l’enfant. Ce sont « de bons enfants, avec qui nous n’avons pas de gros soucis », soutiennent Audrey et David Antonique. « Ces enfants sont des jeunes vies abîmées, issus de foyers brisés. Ils portent en eux énormément de souffrances. Nous les encadrons au mieux parce qu’ils méritent tous leur chance dans la vie et pour qu’ils deviennent des adultes de demain, forts et responsables. Car ils sont tout aussi capables que les autres enfants provenant de familles “normales” ». Et ainsi que le résume le Dr Patrick How, qui les accompagne via la Medical Unit du ministère de la Sécurité sociale : « plus que tout, ces gosses ont une soif d’amour, de notre attention et de notre temps »

- Publicité -

James, Jonathan, Alexandre, Vishal, les frères Steve et Steven, Sheikh et Ajmeer sont quelques-uns des 36 enfants accueillis par le Foyer Père Laval, sis dans la banlieue nord de la capitale. L’endroit ne ressemble guère à une forteresse. Bien au contraire, les grilles sont grandes ouvertes et donnent accès à un terrain spacieux, où sont accommodés terrains de basket et de foot. « Les portes restent ouvertes toute la journée, indique avec un sourire éloquent David Antonique, responsable avec son épouse, Audrey, du foyer. Mais jamais aucun des enfants ne penserait à se sauver »

Les rares équipements sportifs, quoique modestes, sont pris d’assaut par les petites têtes brunes qui profitent du moindre temps libre, en cette fin d’après-midi, avant l’heure du bain et du dîner, pour se lâcher autour du ballon rond. Passion première de la plupart des gosses Mauriciens, le foot fédère ici aussi, bien évidemment. L’endroit est quasi nickel : pas de papiers ou autres ordures jonchant le sol, les couloirs et salles diverses ont été bien balayés, les bancs sont propres. Le bâtiment principal s’axe sur un grand “L”. On y trouve les salles de lecture et d’études, le réfectoire, les salles de jeux, le store, la cuisine, le bureau destiné aux tâches administratives, entre autres, au rez-de-chaussée. L’étage comprend essentiellement les dortoirs pour les résidents, de même que les appartements destinés aux plus petits.

Une ambiance à la fois spéciale et nostalgique, typiquement mauricienne, règne au Foyer Père Laval, en ce début de soirée d’avril. La chaleur pousse les enfants hors des salles d’études. L’atmosphère est proche de celle d’une immense cour familiale comme il y en avait tant jadis, où les plus grands s’affairent à préparer le dîner, tout en discutant entre eux des affaires du quotidien, en attendant que tombe la nuit. Pendant ce temps-là, les plus jeunes s’amusent, profitant des dernières lueurs du jour. Rien ici ne dénote la tristesse ou quelque sentiment négatif. Au contraire, les rires des petits fusent de toutes parts et se marient aux cris des plus grands. Les sourires sur les lèvres, des gosses de tout âge confondu courent dans toutes les directions et lancent tous un « bonjour » instantané, non pas classique jeté par automatisme, mais provenant d’un élan sincère.

Soudain, les murs du Foyer Père Laval se hissent, tels des frontières, isolant ce havre où le temps et la vie trépidante et empreinte de folie de la capitale mauricienne, à peine quelques mètres plus loin, ne semblent pas avoir eu prise. Pourtant, ces jolis visages éclairés cachent de grandes, et, parfois, indicibles, souffrances. S’ils se trouvent dans une structure résidentielle, où ils dorment, mangent et boivent, qu’ils quittent chaque jour pour aller dans les écoles et collèges où ils sont inscrits, ces 36 gosses gardent, enfouis au fond de leurs cœurs, des plaies béantes de familles dissolues, de foyers brisés, d’actes manqués. Nombre d’entre eux connaissent peu ou mal l’amour parental. Les effusions de sentiments, les sorties en famille, les grands moments d’une vie d’enfant, être choyé par les parents, chéris par les grands-parents, les oncles et les tantes, dans une cellule familiale classique. Pour beaucoup des 36 gosses du Foyer Père Laval, cela peut relever du rêve.

« Kot mo mama ? »

De fait, Audrey et David Antonique, le couple responsable de la structure, et le personnel comprenant les encadreurs et éducateurs, ainsi que ceux qui s’occupent de faire fonctionner le Foyer, sont devenus les « parents » de ces gosses. C’est vers eux qu’ils se tournent pour chercher des réponses à leurs nombreuses questions, qu’elles soient relatives à leurs études ou à leur condition d’enfant abandonné.

« C’est très rare qu’un parent biologique vienne rendre visite à son enfant », explique dans une grande tristesse David Antonique. « Par la suite, les autres posent évidemment un millier de questions : “où sont mes parents, kot mo mama, kifer mo papa pa kontan mwa, quand est-ce que je vais retourner à la maison…” Mais celle qui revient toujours : “Kifer mo paran pa vinn get mwa ?”» Les émotions submergent dès lors ces enfants qui, instinctivement, pensent qu’ils auraient commis quelque faute pour ne pas « être comme les autres ». Impossible d’ignorer les innombrables interrogations de ces visages innocents face aux complexités humaines, sociales et économiques, qui ont poussé les autorités concernées à détacher ces enfants de leur famille et de les placer dans cette structure d’accueil, dans un souci de les protéger. Pour qu’ils ne deviennent pas des proies faciles. Pour qu’ils ne grandissent pas en des délinquants potentiels.

Comment s’empêcher de réaliser que chacun de ces 36 gosses « s’endort, chaque soir, probablement, le cœur gros, la tête pleine de questions, rêvant au jour béni où il sera réuni avec les siens, quand son père et sa mère le prendront dans leurs bras et les embrasseront », souligne le Dr Patrick How. « C’est cet espoir qui leur donne la force de vivre, de continuer et de se lever le lendemain matin. (…) Ce gosse peut aussi être totalement détruit. Si une fois qu’il a atteint sa majorité et qu’il quitte le foyer, quand il se rend chez ses parents biologiques, ceux-ci l’accueillent avec un froid “ah tonn vinn gran mo trouve ! Bien bon. Al travay aster…”, sans autre forme d’expression d’amour et d’affection qu’une simple poignée de main clinique, et leur tournent une nouvelle fois le dos. »

Ni souffrir ni haïr

Le médecin, observateur social engagé, remarque que « ce n’est pas dur d’imaginer les dégâts alors que cet enfant séparé des siens et qui a vécu en exclusion de la cellule familiale biologique, toutes ces années, puisait toute sa force dans cet ultime espoir ». Pour lui, « ça peut casser cet être humain déjà fragile et qui sera alors davantage fragilisé, le poussant vers l’inévitable, peut-être penser à se suicider, s’autodétruire, devenir violent ». D’où l’importance, soutient le médecin, épaulé par le couple Antonique, « d’un encadrement aussi complet que possible, une écoute, un partage et un dialogue francs, dès le plus jeune âge ». Un psychologue, en l’occurrence, Nicolas Soopramanien, appuie le personnel du foyer.

Cependant, ce sont Audrey et David Antonique qui se retrouvent en première ligne, avec leurs éducateurs et animateurs. « Nous prenons le temps de parler avec chaque enfant. Leur expliquer, avec des mots qui ne vont pas les faire souffrir davantage, ni susciter la haine pour leurs parents. Les amener à comprendre et accepter leur condition, leur situation. Et comprendre les difficultés encourues par leurs parents et peut-être les raisons qui font qu’ils ne sont pas pré- sents dans leurs vies ». Cette tâche est, bien entendu, loin d’être aisée. Mais Audrey et David Antonique relèvent le défi « avec amour et passion », disent-ils. « Si on n’aime pas ce qu’on fait, on ne le réussira jamais ».

Les deux époux, ainsi que tout le personnel, suivent une formation évolutive et continue dans le domaine qui est le leur, sous l’égide du Diocèse. Apprendre à gérer les situations diverses, allant des crises imprévues, à la routine du quotidien, en passant par les maladies, puisqu’ils vivent en communauté, les Antonique et tous ceux qui sont engagés dans cette fabuleuse aventure humaine sont très impliqués. « Parce qu’ils ont à cœur que ces gosses, qu’ils considèrent comme les leurs et qu’ils aiment inconditionnellement, soutient le Dr How, puissent avoir leur chance de réussir dans la vie. C’est pour cela qu’ils méritent tous, accueillis comme accompagnateurs, que chaque Mauricien les soutienne. Ces enfants méritent leur chance dans la vie. C’est à nous de les aider, en les aimant, avant tout et surtout. »


De 1939 à 2018, tout un parcours

Gérée par le Diocèse, cette structure d’accueil qu’est le Foyer Père Laval est une institution résidentielle, où des garçons âgés de six à 16 ans vivent en permanence. De 1939 à 2016, « ce sont les religieux qui se sont occupés du Foyer », indiquent Audrey et David Antonique. Le couple fut désigné, en 2016, par le Cardinal Piat, pour prendre la relève. Dix-sept autres personnes composent l’équipe, dont 12 éducateurs. Le quotidien se conjugue avec un certain nombre d’activités : lever à 6h30, faire le lit, se préparer pour aller à l’école ou au collège, prendre le petit-déjeuner, dire les prières. Au retour vers 15h40, « les enfants ont un goûter, indique Audrey Antonique. Entre 16h et 17h, ils se consacrent à leurs études et bénéficient d’un accompagnement d’enseignants pour les aider à revoir les leçons apprises à l’école et faire les devoirs. De 17h à 18h, ils vont jouer ! C’est leur temps libre quotidien. À 18h, ils prennent leur bain. Entre 18h15 et 19h, ils font un deuxième temps d’études, pour réviser et faire de la lecture, surtout. Puis, à 19h, c’est l’heure du dîner.

Et après, c’est un peu de télé, mais pas tous les soirs. Des fois, on joue à des jeux de société, on fait un peu de lecture, d’autres vont aussi dans la salle informatique, pour ceux qui ont des projets et qui doivent se documenter sur internet. » Les week-ends, « le samedi matin est consacré à un temps de nettoyage plus conséquent qu’en semaine, poursuit D. Antonique. Au programme, des sorties à la mer, des randonnées, des visites ». De ce fait, les enfants du Foyer Père Laval ont été aux musées de Port-Louis et de Mahébourg. Ils ont aussi été cueillir des goyaves de Chine, le week-end dernier. Décembre 2017, ils ont même pris l’avion et passé une semaine à Rodrigues. Cette année, le projet est de les emmener à l’Île de la Réunion, lors des vacances de décembre.


Placés au foyer dès trois ans

« Auparavant, les autorités envoyaient des enfants de huit à 10 ans dans les foyers comme ici, note David Antonique avec un léger tremblement dans le timbre. Cependant, nous avons eu de très petits enfants, aussi. Un qui avait cinq ans. Et même un bébé de trois ans… Ça en dit long sur la société ». Le responsable du Foyer Père Laval prend quelques minutes, cherchant ses mots, et peine à pointer le doigt accusateur. « Disons, plus cliniquement, finit-il par prononcer, que certains font des enfants et s’en lavent les mains, après. Qui va les élever ? Comment en prendre soin ? S’inquiéter s’il est à la maison ou s’il traîne les rues. Être attentif à des symptômes : s’il souffre d’une fièvre, d’une dent cariée, d’une douleur à la jambe après avoir joué au foot, ou s’il prend des substances nocives. Tout cela ne fait pas partie de leurs priorités. Et ces gosses se retrouvent ici, chez nous ». Pour David Antonique, « quand un enfant atteint les huit ou 10 ans, on sait qu’au moins il a passé sa tendre enfance bercé dans les bras d’une maman, d’une grand-mère, d’une tante, à la limite. Qu’il a reçu des attentions dues à un nourrisson. Mais quand il atterrit au foyer à trois ans… »

Très soucieux que leurs petits protégés ne soient pas lésés sur le plan émotionnel, « parce qu’ils sont des gosses magnifiques et comme tous les autres », soutiennent, d’une même voix, Audrey et David Antonique, « ces enfants méritent qu’on leur donne leur chance ». Aussi lancent-ils des appels tant aux autorités concernées, comme les ministères de la Jeunesse et des Sports, de l’Éducation, de l’Emploi, pour aider ces enfants. « Afin qu’ils aient la chance d’avoir une formation professionnelle adéquate. Qu’ils bénéficient des mêmes facilités que des enfants dont leurs parents s’occuperaient de leurs formations diverses. Ici, au foyer, nous faisons ce qui est possible, mais nous n’avons pas de grands moyens ». David Antonique poursuit: « nombre des gosses d’ici ont brillé et dans l’ensemble, ils sont tous doués. Nous n’avons pas de gros soucis avec eux. Pourquoi ne pas maximiser sur leur potentiel et les aider ? » L’appel est lancé. La balle est dans le camp des donateurs, mécènes et autorités concernées pour faire le nécessaire.


Dr How, le passionné

Président de la Private Medical Practitioners Association (PMPA), le Dr Patrick How n’est pas un anonyme pour nombre de Mauriciens. Outre son métier qui l’entraîne à rencontrer pas mal de compatriotes, par le biais de la Medical Unit du ministère de la Sécurité sociale, il est amené à parcourir les quatre coins de l’île. C’est ainsi qu’en 2014, il avait attiré l’attention des Mauriciens sur le couple de seniors Arlanda, vivant quasiment à ciel ouvert, à Goodlands. Un élan de solidarité national était venu soutenir les efforts du médecin et de quelques amis, à mettre un toit au-dessus des têtes de Louis et Isabelle Arlanda, respectivement âgés alors de 90 et 86 ans. Peu enclin à parler de lui-même, le mé- decin généraliste souhaite que « les Mauriciens soient touchés par ces enfants qui sont au Foyer Père Laval ».

Et d’ajouter: « Ce sont nos enfants. Et qui plus est, ils ont été blessés, abîmés par des circonstances de la vie. Ils n’en sont nullement responsables. Et ce dont ils ont le plus cruellement besoin, c’est de quelque chose qui ne s’achète pas : de l’amour ! De l’attention, de l’affection. Que l’on passe du temps avec eux, qu’on les serre dans nos bras, qu’on les embrasse. C’est bien de leur apporter à manger et des vêtements. Mais c’est mieux de partager ces moments avec eux. Ça fait un bien fou et c’est un trésor inestimable ». Le Dr How est admiratif devant le couple Antonique. « Quelle meilleure réussite pour un enfant issu de ce foyer que le parcours de David ? Il a surmonté les lacunes émotionnelles de sa propre enfance pour fonder une famille, avec Audrey. D’autres enfants du foyer sont des pères de famille. C’est cela, la vraie réussite ».

 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -