Hyperpharm : les contradictions du ministre accentuent le soupçon

Les Rs 1,2 milliard pour l’achat des médicaments et autres équipements pour la Santé au coeur des débats sur le budget  supplémentaire de Rs 33,7 milliards

- Publicité -

A la demande unanime de l’opposition pour un Select Committee, le ministre de la Santé conseille d’aller à la police

Le directeur d’Hyperpharm était membre du Medical Council lorsque Kailesh Jugutpal en était le président

C’est le budget supplémentaire à hauteur de Rs 1,2 milliard pour l’achat des médicaments et autres équipements pour combattre le coronavirus qui était au coeur des débats sur les dotations additionnelles de Rs 33,7 milliards requises pour boucler le Budget 2019/2020. L’opposition, qui a parlé d’une même voix pour dénoncer les zones d’ombres du dossier de l’allocation de ces contrats d’approvisionnement, a insisté sur la mise sur pied d’un Select Committee de l’Assemblée nationale pour faire toute la lumière sur cette affaire qui agite l’hémicycle depuis les révélations faites par le leader de l’opposition dans sa Private Notice Question du 15 juin dernier.

Aussitôt que le ministre des Finances a terminé sa présentation des grandes lignes du budget supplémentaire 2019/2020 pour expliquer que des dotations supplémentaires ont été rendues nécessaires pour des dépenses imprévues, notamment liées à la pandémie, Arvin Boolell est intervenu pour commenter l’affaire des produits achetés en urgence par le service public de la Santé pour un montant de Rs 1,2 milliard.

Le leader de l’opposition a réclamé le détail de ce budget et a accusé le ministère de la Santé d’avoir profité de la crise sanitaire pour procéder à des achats qui se sont déroulés dans des conditions douteuses. « I have been told that the preferred bidder has been tagged as a parallel importer of substandard products. The winner has the support, I have been told, by people from higher quarters, and I have been told that he also has the blessing of the National Committee on COVID », a lancé sur un ton sévère Arvin Boolell. Poursuivant ses accusations, l’intervenant a dit que les personnes censées se pencher sur la validité de l’offre du bénéficiaire et de ses produits ont été remplacées par des gens plus souples, d’où sa demande pour un Select Committee, d’autant que les professionnels du secteur, médecins et pharmaciens, sont très inquiets de cette situation.

Le leader du MMM a, lui aussi, consacré la majeure partie de son intervention sur cette affaire d’achats effectués en urgence par le ministère de la Santé. Paul Bérenger n’a pas manqué de rappeler que le ministre Kailesh Jugutpal avait catégoriquement nié le fait que le moindre contrat ait été accordé à Hyperpharm.

Il a ensuite parlé de situation choquante et de listes de bénéficiaires éventuellement circulées par le ministre de la Santé qui ont indiqué qu’il y avait bien eu un premier contrat de Rs 26 millions alloué à Hyperpharm. Puis, une seconde liste qui fait état de Rs 67 millions, tout cela alors que les procédures n’ont pas été suivies. Paul Bérenger a allégué que les fonctionnaires ne veulent pas se mêler de cette affaire entachée de zones d’ombre et de contradictions. Il a aussi relevé que le ministre avait indiqué, dans une réponse à la PNQ du 15 juin, qu’il ne sait pas qui est le directeur d’Hyperpharm, Ashvin Bhugun, alors que, lorsqu’il était le président du Medical Council, ce dernier était également membre de ce conseil.

« Ça pue l’insider trading ! »

Le leader du MMM a aussi déclaré que des soumissionnaires se sont plaints de ne pas avoir eu la liste des produits pour lesquels il fallait faire des offres. « Ça pue l’insider trading, comme on dit ! Le doute c’est que certains ont su qu’il y aurait un avion spécial qui viendrait d’un pays étranger et qu’on a donné l’occasion à ceux qui ont bénéficié de cet insider trading de faire leurs offres qui ont été octroyées en un seul jour, le même jour. Tout cela sent très mauvais, l’insider trading, le complot ! » a-t-il dénoncé.

Il faut éclaircir toute cette affaire Hyperphram, a martelé Paul Béranger, qui a réclamé du ministre Jugutpal qu’il donne tous les détails de ce budget de Rs 1,2 milliards supplémentaire. Il a, lui aussi, réclamé l’institution d’un Select Committee sur ce dossier en dressant un parallèle avec le Zimbabwe, où le ministre de la Santé a été arrêté et traîné en cour suivant des irrégularités dans un exercice d’appel d’offres pour des médicaments durant la crise du coronavirus.

Allocution de la même tonalité pour le Whip de l’opposition, Shakeel Mohamed, qui, lui, a évoqué une correspondance de mai 2020 du directeur de Hyperpharm au ministère de la Santé Ashvin Bhugun dans laquelle il écrit, « all the products in the attachments are medicines that are/will be out of stock very soon ». Et au député du PTr de demander : « How does he know ? How does a Director of a private company know, he who is only a supplier of this Government ? ». « Un fournisseur privé peut-il connaître l’état du stockde médicaments du ministère de la Santé ? », s’est interrogé Shakeel Mohamed, qui a  fait observer que la teneur du courriel tend à démontrer qu’il agit comme s’il était le propriétaire du ministère.

Autre extrait du courriel cité par le Whip de l’opposition : « “Kindly ask the Department concerned to issue the direct purchase approval we are going to deliver 21 products”. He means to say that he did not have the direct purchase approval yet and that he was going to deliver », a souligné le député travailliste. « Plus que St- Louis ! » a commenté le député qui s’est dit étonné de l’implication de la State Trading Corporation.

Reza Uteem s’est aussi mis de la partie. Il est revenu sur les propos du ministre de la Santé disant qu’il ne connaissait pas le directeur d’Hyperpharma en rappelant que le 23 juin 2017, le communiqué du Conseil des ministres annonçait la nomination d’Ashwin Bhugun, le directeur d’Hyperpharma au Medical Council. Et qui était le président du conseil à ce moment-là ? Le Dr Kailesh Jugutpal, a déclaré Reza Uteem.

« Tender document tailor-made »

Après avoir de nouveau fait la genèse de ces achats d’urgence, le député du MMM a observé que « the way the scheme unfolded appears to be a very carefully premeditated act by certain people to favour a particular bidder. The tender document was tailor-made for this purpose ».

Autre aspect de cette affaire commentée par le député, le Certificate of Pharmaceutical Products qui doit être produit par les fournisseurs. Or, selon les documents produits par le ministre de la Santé, Hyperpharma n’a fourni qu’un certificat d’analyse qui provient de fabricants et non d’un organisme de contrôle.

Reza Uteem a aussi révélé que « the Principal Pharmacist of Procurement Unit on  8 May 2020 observed that there is a number of things missing, namely the certificate of pharmaceutical products has not been submitted ». Ce dernier a aussi lancé un appel à la prudence quant à l’acceptation de l’offre d’Hyperpharm, étant donné le caractère sensible de l’achat de médicaments.

Le député a aussi souligné d’autres aspects troubles du dossier et s’est demandé si ce sont des personnes au ministère du Commerce et de la STC ou un senior Advisor au PMO qui sont intervenus en invitant le ministre à dire toute la vérité sur cette affaire en demandant au gouvernement de nommer un Select Committee pour tirer au clair les faits inquiétants qui sont déjà connus du public.

Kailesh Jugutpal, qui intervenait juste après, a confirmé que la STC a apporté son aide à son ministère et a affirmé que les procédures d’achat ont été respectées et qu’elles n’ont lésé aucun fournisseur. Il a dit que des fournisseurs avaient été invités à participer, mais que « only Hyperpharm responded, but the company did not meet all the requirements. However, as lives of Mauritians were at stake, we contacted the company and we worked out a solution as defined in the Procurement Act for emergency procurement ».

« Zafer Joomaye la to pa dir ? »

Le ministre a déploré que des informations confidentielles aient été communiquées à l’opposition et il a assuré que lui-même n’a rien affaire avec ces procédures ni avec les documents produits. Si l’opposition est convaincue qu’il y a eu maldonne dans cette affaire, elle peut toujours aller à la police et « je pourrai même l’accompagner », a déclaré Kailesh Jugutpal. « Zafer Joomaye la to pa dire ? » lui a lancé Shakeel Mohamed pendant que le ministre de la Santé esquissait un petit sourire en coin. Le ministre a poursuivi en disant que, « we have indeed done what it takes to prevent any shortage of essential drugs in our country in good faith and, of course, it involved additional spending. We have to bear in mind the global context at that time and even now  »

Ses explications n’ayant pas convaincu, Xavier Duval a lui aussi longuement commenté l’affaire Hyperpharm et ses médicaments plus chers de 2 200 % pour dire que les propos du ministre de la Santé, qui a « tir so kanet dan zoué », n’ont fait que consolider le dossier de l’opposition et il réclame un Select Committee, d’autant que ses versions et les documents qu’il a déposés diffèrent les uns des autres. D’autres aspects de ce budget supplémentaire ont aussi été évoqués par Xavier Duval, l’introduction de la contribution sociale généralisée notamment, qui pour lui ressemble à un « Ponzi ».

Les ministres qui ont pris la parole ensuite ont surtout expliqué les raisons des dotations supplémentaires qui ont été allouées à leurs services respectifs. Ainsi  Kavi Ramano, qui a expliqué comment vont être dépensées les Rs 2 milliards prévues pour le développement durable. Puis, il y a eu l’intervention de Sunil Bholah sur les aides apportées aux entreprises affectées par la pandémie.

Alan Ganoo a expliqué les Rs 220 millions de prêt consenti à Metro Express Ltd pour couvrir les dépenses imprévues dues au confinement, Bobby Hureeram, le budget d’infrastructure et Joe Lesjongard a, lui, rappelé tout ce qui a été entrepris en vue de protéger la population et préparer la relance des secteurs productifs.

Dans son résumé des débats, Renganaden Padayachy a tenté quelques explications d’ordre général et sur les Rs 9 milliards qui seront allouées pour renflouer Air Mauritius sans dire le moindre mot sur les Rs 1,2 milliard pour l’achat de médicaments. Une fois l’examen en comité bouclé, ce budget supplémentaire a été adopté tout comme l’a aussi été plus tôt celui de 1920/21.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -