Industrie : le textile en quête d’un nouveau souffle

Menacé par des coûts de production élevés, une chute des exportations due à des conditions internationales difficiles sur les marchés acheteurs et une carence en main-d’œuvre, le secteur textile peine à retrouver un nouveau souffle. Depuis janvier, trois entreprises ont même dû fermer leurs portes. Que faire ? Dans quelle direction aller ? Quelles priorités ? L’heure est à l’action.

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Le “Workshop” organisé la semaine dernière par l’Economic Development Board (EDB) a permis d’apporter quelques éléments de réponse. Diversification des marchés, intelligence artificielle, réalité augmentée, nouveau “business model”… Le textile doit se réinventer pour rebondir et émerger plus fort.

Pour l’heure, les défis de l’heure sont nombreux. Coûts de production élevés, faible niveau de développement technologique dans la majorité des entreprises, financement à haut risque, désintérêt de la main-d’œuvre locale, accès “duty-free” octroyé à nos compétiteurs (Vietnam et Bangladesh), volatilité du taux de change… Parallèlement, des opportunités existent et les opérateurs, tout comme l’EDB, refusent de baisser les bras. François Guibert, CEO de l’EDB, indique que les opportunités sont à portée de main, d’abord sur le plan de l’accès aux marchés.

« Après ratification du CECPA avec l’Inde et de l’ALE (accord de libre-échange) avec la Chine, Maurice aura accès à plus de 55% de la population mondiale. C’est un énorme marché et nous devons nous positionner », explique-t-il.

Sans oublier l’exploitation d’autres marchés en Europe, au lieu de se concentrer uniquement sur la France et la Grande-Bretagne, qui sont affectées respectivement par la crise des gilets jaunes et le Brexit. Il y a aussi l’accord de libre-échange avec la Turquie, le PTA (“preferential trade agreement”) avec le Pakistan.

De plus, les marchés régionaux comme la SADC et le COMESA représentent d’autres espaces à explorer pour les exportateurs locaux, soit un marché de 1,2 milliard de personnes, sans oublier l’African Continental Free Trade Agreement. Troisième axe de croissance éventuel à optimiser : suivant le démantèlement du TPP (Trans-Pacific Partnership), les acheteurs américains considèrent désormais une source d’approvisionnement alternative à la Chine, fait ressortir l’EDB, qui parle là de “huge potential”.

Hormis le volet de l’accès aux marchés, si le textile mauricien veut améliorer sa compétitivité, il doit investir dans la haute technologie (automatisation, robotisation, intelligence artificielle, réalité virtuelle, impression 3D, etc.).

« La technologie est une condition sine qua non pour améliorer nos coûts de production. Ce n’est plus une option, c’est un must », observe Charles Cartier, qui encourage également les opérateurs à se lancer dans le commerce en ligne. Outre les outils technologiques, la main de l’homme a aussi toute son importance, et pour cela, l’EDB recommande au gouvernement et au secteur privé de créer le “right eco-system”, c’est-à-dire un environnement spécifique permettant de mettre sur le marché une main-d’œuvre qualifiée et compétente, mais aussi une collaboration plus poussée entre les universités et l’industrie, ainsi que la mise en place des bonnes infrastructures.

Les opérateurs sont appelés, eux, à développer un nouveau “business model” en adoptant du “garment making 4.0”, selon l’EDB. Cela veut dire étendre la chaîne d’approvisionnement, travailler à ajouter plus de valeur au produit et, surtout, effectuer un “costing” plus précis. Autre solution pour contourner les difficultés du moment : négocier des alliances avec les pays africains, envisager des partenariats et collaborations, et songer à “l’outward investment” pour la fabrication de matières premières.

Pour Charles Cartier, président de l’EDB, le secteur manufacturier dans son ensemble reste l’épine dorsale de l’économie et l’EDB reste engagé à soutenir ce secteur afin qu’il génère davantage de richesses dans les années futures.

 


Un secteur solidement implanté

Maurice exporte aujourd’hui 1 500 produits vers 12 pays. Le textile représente 54% des exportations de produits manufacturés. Le secteur textile/habillement comprend 32 grandes, 32 moyennes et 60 petites entreprises, employant un total de 44 000 salariés. Ces entreprises produisent chemises, t-shirts, jeans, pulls, tenues de plage, costumes et uniformes, entre autres.


Tenir compte des besoins changeants du client

Géraldine Bouchat, Trends & Forecasting Director du Carlin International Trend Bureau, qui travaille avec plusieurs entreprises locales, souligne que de nos jours, le client est « conscient », s’informe sur internet, et fait pression sur le marché à travers les réseaux sociaux. « Il a une nouvelle exigence et il va imposer le pas sur les industriels. Le client a compris qu’il a le pouvoir. On est face aujourd’hui à un client qui est plus “citoyen” et plus “libre”, et il va falloir que les entreprises soient capables de faire du client leur partenaire et pas juste leur livrer des produits. On est face à un consommateur un peu fatigué d’un style un peu trop standardisé mondialement et, donc, il y a ce besoin de retrouver du sens au produit et du sens au vêtement, par exemple à travers une recherche stylistique. Il cherche à s’exprimer à travers ce qu’il porte. Il y a aujourd’hui ce besoin de trouver une singularité à travers le vêtement et c’est important d’être à l’écoute de ces demandes qui dictent désormais le marché. »


Thierry Wong (L’Inattendu) : « Concurrence féroce »

« Nous employons une cinquantaine de femmes et nous sommes spécialisés dans la maille. Le fait d’avoir développé notre propre marque en 2005 a contribué à nous faire résister aux aléas parce que la situation est très difficile à l’international. La concurrence à l’exportation est féroce avec la Turquie, le Vietnam et la Chine. C’est hautement compétitif. L’année dernière, nous avons connu de grosses difficultés avec le mouvement des gilets jaunes. Un gros client à La Réunion n’a même pas pu dédouaner ses produits fin 2018. Du coup, il a raté ses deux mois de meilleures ventes. Donc, nos commandes qui devraient rentrer en janvier février sont reportées pour avril/mai. Heureusement que nous avons pu basculer sur le marché local grâce à notre marque locale. Notre “business model” repose sur cet équilibre entre la vente locale et l’exportation. »


Yaarish Gengudu (Rky & Co Ltd) : « Le “cost of labour” est extrêmement élevé »

« Nous sommes orientés à 95% vers l’exportation et nous exportons principalement vers l’Afrique du Sud, la France et le Portugal. Nous fabriquons des chemises haut de gamme. Nous employons 100 à 150 personnes et nous produisons 1 500 à 2 000 pièces par jour. Nous avons investi dans des équipements de dernière technologie. Nos infrastructures et modes d’opération sont d’un niveau international. Étant une moyenne entreprise, nous offrons plus de flexibilité. Par exemple, si un client veut 10 000 à 15 000 pièces, nous pouvons traiter sa commande. Pour les grandes entreprises, il est plus difficile de faire de petits volumes, surtout qu’elles sont spécialisées dans certains segments de la chemise. Ceci dit, il est vrai que le secteur est en difficulté. Nos ventes ont chuté, surtout que salaire minimum s’applique également aux travailleurs étrangers. Notre “cost of labour” est devenu extrêmement élevé, d’autant que nous devons les loger et les nourrir. Car nous ne trouvons pas d’employés localement. Donc, le coût de la main-d’œuvre est devenu un gros poste de dépenses. Les Mauriciens ne veulent pas travailler dans le textile. Pour les entreprises de petite taille, c’est très difficile d’opérer dans de telles conditions. Le gouvernement pourrait prendre les devants et créer une plateforme nous permettant de proposer nos produits aux consommateurs étrangers directement à la vente sur Internet. Cela nous aiderait. »

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