Jeunes et violence – Ibrahim Koodoruth (sociologue) : « Nos jeunes ne peuvent être des modèles si on ne leur donne aucune formation ! »

— Le sociologue rappelle que « les parents, l’école et la société ont décidé au préalable pour nos jeunes, sans leur offrir une chance de se faire entendre », ce qui « n’est pas juste » !

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Le sociologue et chargé de cours de l’Université de Maurice (UoM), Ibrahim Koodoruth, est catégorique : « Dès qu’il y a un incident, on a toujours tendance à tout mettre sur le dos des jeunes, à leur faire porter le chapeau. D’accord, ils ont leur part de responsabilités. Mais est-ce que cela veut dire qu’ils sont les seuls à avoir tort ? Ou est-ce que les parents et les adultes qui les encadrent n’ont pas failli quelque part ? Est-ce que les autorités jouent pleinement le rôle qui leur revient, c’est-à-dire d’assurer une formation complète et qui fasse partie intégrante de leur épanouissement d’humain par le biais de leur scolarité ? »

Ibrahim Koodoruth, sociologue, refuse catégoriquement que « l’on blâme uniquement les jeunes dès qu’il y a le moindre dérapage ». Il poursuit : « On ne peut pas à tous les coups leur tomber dessus et chercher à leur faire porter le chapeau. Il semblerait que l’on ait déjà décidé pour eux ce qu’ils doivent être. On s’attend à ce qu’ils soient des “modèles”, des caricatures plutôt. Et on ne fait aucune place pour les écouter, les préparer… » Notre interlocuteur enchaîne : « Quand il y a des incidents et que les jeunes se montrent agressifs, voire violents, c’est parce qu’il y a des circonstances qui amènent à cette situation. Les adultes, que ce soient les parents et ceux qui gravitent autour des jeunes pour les encadrer, les enseignants, mais aussi les proches, ont souvent des idées bien arrêtées. Mais le plus grave, c’est qu’ils en sont encore aux modèles des années 80 avec, dans leur tête, des comportements relatifs à cette époque. Ils s’attendent donc à ce que ces jeunes d’aujourd’hui se plient à ces règles et soient obéissants. Ce n’est pas du tout plausible ! »

Le sociologue argue : « Les temps ont énormément changé. Nous sommes en 2019; les paramètres et les données ne sont plus du tout les mêmes qu’il y a 20 ou 40 ans ! Nous sommes à l’ère de la technologie avancée. Nos jeunes ne jurent que par leurs portables, l’internet et autres gadgets. En revanche, la plupart de nos adultes sont restés bloqués dans les années 80/90 et veulent que nos jeunes se comportent comme les jeunes de cette époque. C’est cette dichotomie qui entraîne ces dérapages et ces incidents. » Ibrahim Koodoruth renchérit : « Établit-on des profils de notre jeunesse actuelle ? Réalise-t-on des études sur leur “background” social, le quartier où ils vivent, ce que font leurs parents, quel est l’entourage qu’ils fréquentent ? Toutes ces données sont d’une extrême importance si l’on veut préparer nos jeunes, leur donner les armes et les outils pour affronter l’avenir. Parce que ce futur leur appartient à eux. Et c’est notre devoir, notre responsabilité de les former pour qu’ils soient prêts quand le moment viendra. »

De fait, retient notre interlocuteur, « quand il y a des dérapages, comme ces jeunes qui se sont illustrés dernièrement, la première réaction, c’est de crier à la violence » chez les jeunes. « Mais prend-on le temps de voir ce qu’il y a derrière ces agissements ? » Et pour cause, continue-t-il : « De plus en plus, le jeune évolue dans un environnement où les pressions sont multiples et le dialogue réduit, voire inexistant : que ce soit à l’école ou à la maison, le jeune est sous pressions. Il doit être “à la hauteur” de ses études, tant pour ses profs que ses parents. On lui demande une foule de choses : de bien se comporter, d’avoir de bonnes notes… Et pourtant, autour de lui, l’éducation qui lui est dispensée ne laisse pas vraiment de place à l’écoute, au partage, au dialogue et aux échanges d’idées. De fait, le jeune se retrouve mitraillé de toutes parts par ces attentes. Et comme il n’a pas d’espace pour se faire entendre et partager ses appréhensions, il refoule ses sentiments et finit par craquer, par exploser. »

En conclusion, Ibrahim Koodoruth souhaite que les autorités se ressaisissent. « Il faut rapidement mettre en place, ou remettre à niveau, des programmes et des structures où nos jeunes pourront s’épanouir dignement. Les parents ont également leur contribution dans cette affaire. »

« Seule l’élite est prise en considération »

Dans le sillage des épisodes de violence manifestés par de jeunes collégiens récemment, notamment face à la police, le Conseil des Religions a émis un communiqué dans lequel son président, le père Philippe Goupille, tente d’analyser les causes et propose des mesures pour lutter contre ce problème de société. Il remet en question le système éducatif où « seule l’élite est prise en considération ». Selon Philippe Goupille, ceux qui se sentent négligés réagissent avec violence et causent alors des problèmes. Pour lui, toutes les parties prenantes, parents, enseignants, la force policière, les chefs religieux et autres Ong doivent se retrousser les manches.

Le Conseil des Religions dit constater avec « stupeur » la violence parmi les élèves. Tentant d’en cerner les causes, il évoque les actes de violence dans la famille, dans la société, dans les films et autres jeux vidéo. Le père Goupille parle également d’un changement des mœurs où « les parents sont toujours absents et les enfants reçoivent des objets technologiques pour compenser leur absence ».

Par ailleurs, la disparition des familles élargies avec les grands-parents pour inculquer les valeurs morales d’une part et la baisse de la natalité de l’autre qui tend à donner lieu à « l’enfant-roi » peuvent aussi expliquer ces violences, selon le président du Conseil des Religions. « L’enfant crie, insulte, menace, casse ou cogne. Tout puissant, il devient le nouveau chef de famille qui fait la loi. Face à lui, don retrouve des parents, des enseignants et des adultes épuisés, déroutés, confus, désemparés », note le Conseil des Religions.

Le prêtre blâme aussi le système d’éducation encore trop académique, pas adapté aux talents sportifs ou artistiques. « Certains sont très doués en sport, mais on n’arrive pas à développer cette intelligence. Donc, ils n’ont pas le moyen de dépenser leur énergie. Seule l’élite est prise en considération par le système. Ceux qui se sentent négligés réagissent avec violence et causent alors des problèmes. Les enseignants n’ont pas la formation nécessaire pour détecter les attitudes suspectes et traiter des comportements violents. »

S’exprimer librement

Le Conseil des Religions regrette que l’assemblée du matin dans les établissements scolaires ait été négligée. C’était le moment idéal pour faciliter l’intégration nationale par le biais de réunions de prières de toutes religions entre élèves et développer la spiritualité et le discernement, « accroissant ainsi un sentiment d’appartenance et d’unité entre les élèves ». Le Conseil des Religions se dit pour un retour des assemblées du matin qui « fournissent une formation pour un comportement social désiré dans la vie publique ».

Le Conseil des Religions se dit aussi en faveur de la création dans les écoles primaires, secondaires et les établissements d’enseignement supérieur, d’une « instance d’écoute où les élèves peuvent s’exprimer librement afin d’extirper leurs frustrations et souffrances ». Et le Conseil des Religions d’ajouter : « Tout un chacun, nous avons le devoir de les écouter, leur montrer de la compassion et les accompagner à sortir de leurs peines. »

Parmi les mesures énumérées pour dissuader de la violence : la création du poste de Discipline Master et la présence de psychologues; des activités extrascolaires supplémentaires tels le sport, la musique, le bénévolat, le placement dans des entreprises ; l’introduction de cours de techniques de respiration pour se calmer ; des sanctions plus sévères ; une déduction des notes sur les résultats pour mauvaise conduite répétée ; des patrouilles régulières à la sortie des classes ; des causeries de la Brigade des Mineurs dans les collèges ; éviter les attroupements à la gare en veillant à ce que les collégiens prennent le bus le plus vite possible.

De leur côté, « les parents doivent s’enquérir de la situation si leurs enfants tardent à rentrer ». À cet effet, le Conseil des Religions lance un appel aux chefs religieux de toutes les confessions pour qu’ils enseignent aux jeunes les valeurs comme la paix, le respect, la cohésion sociale, l’acceptation de l’autre.

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