Marée noire sur la côte sud-est : Mahébourg avec un arrière-goût aMER !

Déjà 50 jours depuis que le vraquier MV Wakashio, qui s’était éloigné de la Sea Lane depuis plus de 48 heures, sans être nullement inquiété par les autorités, s’est drossé sur les brisants, à quelques encablures de Pointe-d’Esny. Après une douzaine de jours de laisser-faire complaisant d’autres autorités, en l’occurrence de l’Environnement, la marée noire s’est installée avec le déversement d’un millier de tonnes de fioul dans l’océan. Indépendamment des explications et des théories présentées par des experts en tous genres débarquant dans la région, les riverains de la côte sud-est de l’île se trouvent en terres étrangères.

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La principale activité économique, voire même de détente et de loisirs, avec la mer en toile de fond, est interdite. Jamais ces habitants n’auraient cru qu’un jour ils ne pourraient avoir accès à la mer. Tel est pourtant le cas, hélas, et invariablement pour tout le monde. Ce qui se dégage au 50e jour de ce drame écologique, transformé en un cauchemar quotidien alimenté par le fioul du MV Wakashio, c’est un sentiment d’abandon. Néanmoins, aucun d’entre eux ne s’avoue pour autant vaincu par l’adversité, même si pour l’instant, c’est une « mare nwar » avec un arrière-goût aMER, qui se fait sentir. C’est en tout cas ce que l’on constate en tâtant le pouls des habitants le long du sud-est, soit du Bouchon à Rivière-des-Créoles, en passant par le Mahebourg Waterfront, principal point d’attraction du jour.

Pêcheurs sans carte : La colère gronde face à « l’injustice »

Vishnu Marday : « Enn bann zafer malang pe deroule »

Ils sont pêcheurs, enregistrés au ministère de la Pêche et reconnus par les gardes-pêche. En dépit des démarches entreprises depuis de nombreuses années, ils n’ont jamais obtenu de cartes de pêcheur professionnelle. Résultat : ils n’ont pas droit à l’allocation de mauvais temps et autres avantages offerts aux pêcheurs détenteurs de cartes. Même si les autorités leur ont promis qu’ils obtiendront l’allocation prévue à la suite du naufrage du Wakashio et de la marée noire subséquente, ils peinent à voir la lumière au bout du tunnel. Ils se demandent « pourquoi on ne nous a pas engagés pour le nettoyage des plages » et dénoncent des « pratiques douteuses » à ce sujet.

Installé dans sa pirogue à Mahébourg, Vishnu Marday contemple la mer qui lui a permis de gagner sa vie, pendant de nombreuses années. Il ne sait pas dans combien de temps il pourra reprendre ses habitudes et sa passion de la mer. Entre-temps, les poches sont vides et les dettes s’accumulent. Comme 76 autres pêcheurs sans carte, il a suivi les procédures en vue d’obtenir l’aide du gouvernement. Mais à ce jour, il n’a rien reçu.

S’il dit comprendre que parfois les procédures prennent du temps, il ne comprend toutefois pas pourquoi il n’a jamais reçu de carte, en dépit de ses nombreuses années dans le métier. « J’ai fait des applications en 2002, 2005, 2008… Je n’ai jamais obtenu de carte de pêcheur. À un moment, on disait qu’on n’allait plus émettre de carte. Et puis, on a recommencé à en donner. Je ne sais sur quelle base on a choisi des gens », dit-il.

Vishnu Marday, devenu une figure incontournable à Mahébourg depuis les récents événements, ne cache pas sa colère non plus d’avoir été « ignoré » par les autorités pour le nettoyage des plages. « Kan ti bizin met Booms, ti bizin nou, me kan bizin al tire pa bizin nou », dit-il, tout amer, après avoir passé des journées et des nuits sur le front de mer pour aider à combattre la pollution. « Quand j’ai vu la marée noire dans le lagon, je n’ai pas hésité à prendre mon bateau pour aller aider. À tel point qu’il y a des gens qui m’ont fait des remarques désobligeantes. Mais aujourd’hui, il n’y a aucune reconnaissance. On préfère engager d’autres, qui n’étaient même pas là pour essayer de sauver notre mer », déplore-t-il.
Faisant référence à l’allocation de Rs 800 aux pêcheurs engagés par les firmes Polyeco et Le Floch Dépollution, pour le nettoyage des plages et du lagon, il est d’avis qu’on « aurait pu se référer à la liste des 77 pêcheurs enregistrés aux Fisheries de Mahébourg, mais qui ne détiennent pas de carte ». Christian Hang Hong, président de l’Association des pêcheurs de Mahébourg et qui partage son avis sur la question, estime que les pêcheurs, sans cartes, enregistrés au ministère et ayant déjà leurs allocations, auraient pu être choisis pour effectuer le nettoyage des plages. « C’est une véritable injustice qu’ils sont en train de subir », déplore-t-il. Il dit avoir écrit une lettre au secrétaire permanent du ministère de la Pêche à ce sujet. « Le lendemain, on a appelé pour leur demander leurs numéros de compte, mais ils attendent toujours le paiement », souligne-t-il.

Interrogations sur
le recrutement

Les pêcheurs se demandent également comment se fait le recrutement, puisque tous les pêcheurs n’ont pas été appelés. Dans certains cas, disent-ils, le travail est sous-contracté à d’autres. Ou encore, des personnes, autres que des pêcheurs, sont engagées dans le nettoyage. « Enn bann zafer malang pe deroule dans Maybour », dénonce Vishnu Marday.
Désiré Isabelle est aussi un pêcheur sans carte. Il dit aussi attendre l’aide du gouvernement, après avoir déposé son numéro de compte bancaire.
« Beaucoup de pêcheurs comme nous sont en train de souffrir. Il y a des gens qui n’ont rien à manger. Des enfants vont à l’école avec deux bananes et attendent d’avoir le pain de l’école pour remplir leur ventre », dit-il. À ce sujet, les pêcheurs se demandent où sont passés les “food packs” promis par les Ong.
À Rivière-des-Créoles, Vijesh Jeebun vit la même situation. Pêcheur de son état, il n’a jamais obtenu de carte, malgré ses nombreuses démarches. « J’ai une pirogue, un numéro, mais je ne suis pas reconnu comme un pêcheur professionnel. J’ai entrepris de nombreuses démarches, mais on m’a fait comprendre qu’on n’allait plus émettre de carte, car cela coûtait trop à l’État », soutient-il. Il y a quelque temps, ajoute-t-il, il a appris que le ministère procédait à l’enregistrement des pêcheurs pour une formation, avec l’obtention d’une carte à la fin. « Une fois de plus, je me suis inscrit, mais je n’ai pas été retenu. En revanche, il y a des gens qui n’ont pas de bateau et qui ne savent pas pêcher mais qui ont reçu la carte. »

Faire rouler la cuisine

Depuis plus d’un mois, Vijesh Jeebun ne peut plus faire son métier. Comme d’autres pêcheurs sans carte, il s’est fait enregistrer pour une allocation, mais n’a rien reçu encore. Entre-temps, il fait des petits boulots pour s’en sortir, mais avoue que la situation est « très difficile ». Il ajoute : « Souvent, je n’ai d’autres choix que d’emprunter pour faire rouler la cuisine. Récemment, mon beau-frère est décédé, je n’avais pas un sou en poche. »
Comme Vishnu Marday, Vijesh Jeebun dit ne pas comprendre pourquoi on n’a pas pris les pêcheurs sans carte pour le nettoyage des plages. « Quand il y a eu le déversement d’huile, j’ai volontairement donné de mon temps pour nettoyer la plage et la mer. Puis, on nous a demandé d’arrêter et les contracteurs sont venus. Nous avons pris des risques pour sauver notre lagon, mais on nous a mis de côté », déplore-t-il.
Vijesh Jeebun dit ne recevoir aucune aide du gouvernement, ni des Ong. Pourtant, dit-il, à chaque fin de mois, il faut trouver l’argent nécessaire pour payer le loyer, pour rembourser ses dettes et pour nourrir sa famille. « Il y a des endroits où on a donné des Food Packs, mais ici on n’a rien eu. Pourtant, Rivière-des-Créoles est la région la plus affectée. Toute l’huile est venue s’échouer ici », dit-il.

À Petit-Bel-Air, Vina et Biswadeve Pokhun traversent également une période « très difficile ». Voilà plus d’un mois que le père de famille, pêcheur sans carte, est au chômage. Son épouse travaille comme « banian » et se retrouve aussi sans ressource. Avec deux enfants sur les bras, le couple doit trouver de quoi les nourrir et les envoyer à l’école. Bénéficiaires d’une maison de la NHDC, ils doivent aussi trouver l’argent nécessaire pour payer leurs mensualités. « Depuis le confinement, on n’a pas payé la NHDC. On avait eu l’allocation de Rs 5 100, mais on n’a pu assurer toutes les dépenses avec cet argent », explique-t-il.
Comme d’autres, l’allocation du gouvernement pour le Wakashio se fait attendre jusqu’ici. Biswadeve Pokhun raconte qu’il pêche depuis l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, il a 46 ans. Il a fait trois applications pour recevoir une carte de pêcheurs, la dernière remontant à 2008. Pour l’heure, il travaille avec des propriétaires de bateau. « Si j’avais ma carte, j’aurais pu acheter ma propre pirogue », dit-il. Son épouse ajoute ainsi : « Nou pe pas enn kalver. » Elle précise que son époux et elle travaillent au jour le jour et que c’est l’argent gagné dans la journée qui permettra d’avoir le dîner. Mais étant sans ressource, ils ne savent plus comment faire pour continuer à nourrir leurs deux enfants et les envoyer à l’école.

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