MK – Réduction de salaire de moitié : Un pilote : « Mon rêve d’enfant tourne au cauchemar… »

Ils sont pilotes et pères de famille qui ont peur de perdre leur emploi. Avec l’impression d’être otages d’un accord qui s’étend sur quatre ans sans garantir la sécurité de leur poste, ils seront obligés pendant cette période qu’ils trouvent longue de travailler pour près de la moitié de leur salaire. Les pilotes de MK ont été les premiers, disent-ils, à avoir proposé une révision à la baisse de leur salaire lorsque les effets de la pandémie du coronavirus ont commencé à frapper la compagnie aérienne. Ces pilotes reprochent à la Mauritian Airline Pilots Association (MALPA) ainsi qu’à leur négociateur, Ivor Tan Yan, de les avoir induits en erreur en incitant les membres du syndicat à signer le collective agreement afin de conserver leur emploi (voir hors-texte). Mais au-delà du fait d’être cloués au sol pendant plusieurs mois, il y a aussi, disent les pilotes déçus, les répercussions économiques sur leur foyer. Responsables de famille avec des enfants scolarisés ou à l’université, ils ont aussi des prêts à rembourser et des factures à payer. Leur salaire de base qu’ils conservent dans sa totalité ne suffira pas à poursuivre une vie construite au fil de longues années.

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Son rêve de petit garçon pourrait s’envoler à n’importe quel moment, dit un pilote de MK. Ses collègues et lui espèrent ne pas perdre leur emploi malgré l’accord du 16 juillet. Déjà que leur salaire a été, « au nom du sacrifice et de la compréhension », amputé à hauteur de 30 à 50% pour beaucoup d’entre eux, il suffit de peu pour que des pilotes à Air Mauritius ne craquent. Ce sont eux qui le disent. Ils veulent éviter le crash, de la compagnie, certes, car elle représente bien plus que leur gagne-pain et aussi celui de leur vie familiale et sociale. Selon leurs propres dires, ils sont quasiment « au bord du gouffre ». « Nous ne gardons que notre salaire de base, ce qui représente que 50% de notre salaire complet. Avec le nouvel accord, quasiment toutes nos allocations ont été annulées et le paiement pour les heures de vol a été réduit », nous dit un pilote. Ses collègues sont inquiets, d’autant, disent encore ces derniers, qu’en adhérant au collective agreement entre Air Mauritius Ltd et leur syndicat, la MALPA, rien ne leur garantit qu’ils préserveront leur emploi.

« Je me sens perdu »

Depuis le 16 dernier, date à laquelle l’accord a été signé, la compréhension du début — « soit au moment où nous sommes passés sous administration volontaire », dit un jeune pilote — a cédé la place à l’incompréhension. De son côté, un de ses collègues, qui compte plusieurs années d’expérience, confie : « Je suis indigné. Je me sens perdu. » Ce dernier ne souhaite pas commenter les négociations syndicales. Pour l’instant, laisse-t-il entendre, il est devant les faits et doit penser rapidement à son avenir. Dans son malheur, il est, assure-t-il, un peu mieux loti comparé à la quarantaine de ses collègues licenciés, «qu’ils soient étrangers cela ne change rien. Pour nous, ils étaient nos collègues », et ceux qui pilotaient des gros porteurs qu’Air Mauritius a mis en vente, notamment des Airbus A319, A330 et A340.

« J’ai, pour le moment, gardé mon emploi. Mais qu’adviendront ces pilotes sans avions ? » se demande-t-il. Et d’expliquer « que sans une formation de six mois, ces derniers ne peuvent piloter un autre appareil. » Dans ce cas, peuvent-ils considérer qu’ils sont déjà sur le banc de touche ? Pas étonnant, raconte-t-il, que chaque mail ou message de MK qui parvient aux pilotes provoque une angoisse. « Un collègue me racontait que c’est sa femme qui ouvre et lui lit les mails de MK tant il a peur de lire qu’il a été remercié », confie notre interlocuteur.

Des factures à payer, des enfants à envoyer à l’école…

« Désormais, je ne touche que la moitié de mon salaire ! Quant aux allocations…. L’accord signé stipule qu’elles demeurent sous la politique de la compagnie. Avec les changements en cours, la question demeure : quelle est cette politique ? Ça, nous ne le savons toujours pas ! » Le salaire de base d’un pilote (selon le grade, l’ancienneté et l’appareil auquel il est assigné) se situe entre Rs 64 205 et Rs 419 902. Pour notre intervenant, les répercussions de la réduction de son salaire ne sont pas moindres. D’autres pilotes ayant décidé de se murer dans le silence s’accordent à rappeler que leur salaire, aussi conséquent que cela puisse paraître aux yeux des autres, fait vivre leur famille et assure l’avenir de leurs enfants.

Se retrouvant avec la moitié de son salaire, notre interlocuteur confie qu’avec ce montant, il ne peut que rembourser l’emprunt bancaire pour la construction de sa maison. Il y a quelques années, il avait contracté un prêt de plusieurs millions de roupies pour construire sa maison. Après avoir été la seule source financière de son foyer, aujourd’hui, dit-il, il doit se résoudre à accepter le soutien de son épouse. Au moment de notre conversation avec lui, cette dernière était à un entretien d’embauche. «J’ai des factures et la scolarité de mes enfants à payer, nous devons manger. Mes enfants ont dû arrêter leurs activités extrascolaires. J’ai eu à remercier le jardinier et réduire les jours de travail de notre femme de ménage à la maison. Pour le moment, je n’ai pas d’autres choix que de puiser dans nos économies pour subsister », confie le pilote.

« Je m’en irai d’Air Mauritius »

« Pensez-vous que je vais attendre quatre ans avant de retrouver la totalité de mon salaire ? » demande-t-il. Et de continuer, catégorique : « Non ! Je n’attendrai pas. Je vais chercher ailleurs. Je vais postuler auprès des compagnies étrangères qui, elles, continuent à recruter et si je décroche un poste, je m’en irai d’Air Mauritius. Si je reprends le travail à Air Mauritius, je continuerai à prospecter ailleurs. » Depuis quatre mois qu’il ne travaille pas, il explique qu’il s’est remis aux manuels de pilotage. «Pour garder contact », dit-il. Et tout comme ses collègues qui sont restés à terre pendant plus de trois mois sans avoir effectué le quota de décollages et d’atterrissages requis (recency) dans un laps de temps, il devra se mettre au simulateur ou être assisté d’un instructeur lorsqu’il sera à nouveau appelé.

Entre-temps, il dit ne pas comprendre « pourquoi seulement certains pilotes  assurent les vols actuellement ? Il y a des vols tous les jours. Pourquoi, nous, les autres… nous ne sommes pas à bord ? » Comme n’importe quel autre professionnel se retrouvant au chômage technique à cause de la crise sanitaire liée au Covid-19, le pilote fait face à des préoccupations comme tout chef de famille dans une pareille situation. Il pense aux années de sacrifices, dit-il. « On dit que nous avons des privilèges. On doit comprendre que, par exemple, un billet d’avion pour le conjoint représente aussi un moyen pour le pilote et son épouse de se retrouver et de rattraper des moments en famille. Nous ne sommes pas toujours à la maison à Noël ! » confie encore le pilote.

Élève brillant qui s’est distingué aux examens de Higher School Certificatele pilote explique que son métier était un rêve d’enfant. Pour y parvenir, il entame des études, qui à l’époque ont coûté Rs 3,5 millions. « Mon rêve d’enfant est en train de tourner au cauchemar », lâche le pilote de MK.

Des pilotes reprochent à leur syndicat et négociateur de parti pris

Des « pilotes inquiets » remettent en question les positions et la démarche de leur syndicat, la Mauritian Airline Pilots Association (MALPA), et de leur négociateur, Ivor Tan Yan, auprès des administrateurs après la signature du collective agreement du 16 dernier. Ils reprochent au négociateur « d’avoir essayé de convaincre les membres du syndicat qu’il était dans leur avantage de signer un accord qui réduit de presque 50% les salaires » et au syndicat de les avoir « lâchés » avec le risque de perdre leur emploi. S’interrogeant sur le rôle de la MALPA, les pilotes disent ne pas comprendre pourquoi son président a dit à ses membres qu’il « fallait laisser les administrateurs (de MK) faire leur travail pour sauver Air Mauritius. » Contacté à plusieurs reprises, le président de la MALPA, Patrick Lile, est resté injoignable. Toutefois, pour sa part, un des membres exécutifs du syndicat tient à rappeler que l’accord a été passé au vote. « 40 membres ont voté pour et 20 contre », dit-il.

Quant à Ivor Tan Yan, il récuse avec force d’être du côté des administrateurs de MK : « Ceux qui croient que je penche du côté des administrateurs sont des vendus à la cause des Flight Operations Managerslesquels agissent comme si la compagnie leur appartient ! Dire cela est très grave. Les personnes qui m’accusent n’ont aucune raison de rester dans l’anonymat, si ce n’est qu’elles ont un agenda caché. La décision de signer l’accord a été obtenue par un vote de 40 contre 20 à la MALPA. » Ivor Tan Yan tient à préciser que dans cette affaire de réduction de salaire, face aux administrateurs, la question de négociation avait été rejetée par ces derniers : « Ils ont dit en présence du président du syndicat qu’ils n’allaient pas négocier. Il n’y a eu ni négociation ni de discussion. » 

Pour obtenir la sécurité d’emploi des 150 pilotes affiliés à la MALPA et qui restent à Air Mauritius, il a dû, dit-il, attendre la mise en place du Facilitaion Commitee, faute de n’avoir pas été auparavant reçu au creditors’ meeting.

Pas de négociations

Le négociateur en profite pour demander « si dans le cas d’un Flight Operations Manager ayant déjà passé l’âge de la retraite, peut-il agir comme instructeur et directeur de Mauritius Helicopter Ltdcompagnie qui ne dispose que de deux hélicoptères. Est-ce qu’il ne bénéficie pas là de trois types de rémunérations ? » Quoi qu’il en soit, sans l’accord de la MALPA, les administrateurs, selon le négociateur, auraient eu la possibilité d’avoir recours à des instances pour faire appliquer la réduction de salaire des pilotes.

S’agissant de la période de quatre ans, celle-ci, explique Ivor Tan Yan, « est en accord avec le deed of company agreement. La période a été calculée en fonction de la situation financière d’Air Mauritius précédant la crise sanitaire et son aggravation avec la pandémie du Covid-19. » Ivor Tan Yan insiste sur le fait que l’accord n’est pas un « nouvel accord », mais une «variation of collective agreement. » De ce fait, lorsque le contexte changera pour le meilleur pour la compagnie, « il n’y aura aucune raison, dit-il, pour que le syndicat ne demande une variation of collective agreement basée sur les changements du moment. » Par ailleurs, l’accord stipule clairement : « This document sets out existing procedures agreed upon between Air Mauritius Ltd and the Mauritian Airline Pilots Association (MALPA) and is itself a signed updated Collective Agreement which is binding for the period of 1st July 2020 to 30th June 2024, and shall remain in force thereafter up to such time that the parties meet, discuss and mutually agree to different terms. The parties expressly agree that a period of 4 years is fair, reasonable and required for a proper assessment of the financial health of the company. »

Et si Air Mauritius, dit encore Ivor Tan Yan, « ne veut pas se retrouver qu’avec une poignée de pilotes qui sont dans les bons papiers des Flight Operations Managers, la compagnie doit mettre fin à des discriminations et arrêter les licenciements. » L’Afrique n’est pas loin, prévient le négociateur et les pays du continent sont des recruteurs en quête de pilotes !

 

 

 

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