Naufrage du MV Wakashio : Désolation et indignation au Sud-Est

– « Combien de temps encore devrons-nous inhaler l’odeur du pétrole? », s’interrogent des habitants, qui réclament la démission des ministres Kavydass Ramano et Sudheer Maudhoo

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Alors que tout le monde se précipite à Pointe-d’Esny pour voir la partie encore visible du MV Wakashio, c’est à Rivière-des-Créoles que le désastre écologique est le plus visible. Là-bas, on ne voit même plus le reflet azur de l’océan. Tout est noirâtre… L’eau, les rochers, l’herbe, les pirogues… Tout a été recouvert de cette visqueuse huile lourde qui s’est échappée du navire drossé sur les brisants au large de Pointe-d’Esny depuis 15 jours. Dans l’air, flotte une forte odeur de pétrole, reconnaissable à des kilomètres. Des maisons ont été érigées non loin du débarcadère et qui jusqu’à tout récemment, offraient un confort pieds dans l’eau. Mais aujourd’hui, c’est un véritable martyr que vivent les habitants de ce quartier de Rivière-des-Créoles.

À 71 ans, Mme Madhoo dit n’avoir jamais été témoin d’une telle catastrophe. Cela fait 52 ans qu’elle vit ici et se plaisait de pouvoir profiter de l’air marin. Aujourd’hui, elle dit sa désolation et son désarroi : « Jeudi, aux environs de 15h30, j’étais dans la cuisine chez moi quand j’ai commencé à sentir une forte odeur de pétrole. Je croyais que les gens étaient en train de réparer la moto à côté. Puis, c’est devenu persistant et j’ai vu les gens commencer à courir en direction de la mer. J’ai laissé mon tablier de côté pour aller voir ce qui se passait. Une fois sur place, j’ai été choquée de voir cette marée d’huile noire qui s’engouffrait vers la rivage, » raconte-t-elle tout en sachant que dans l’immédiat tout ne sera plus comme avant.

Pendant toute la nuit, ajoute-t-elle, ses proches et elle ont eu des difficultés à respirer et à dormir. « Mon petit enfant a commencé à se plaindre de douleurs à la gorge. On a dû fermer toutes les fenêtres, » dit-elle. Priscilla, Premila et Sulaina sont aussi de Rivière-des-Créoles. Elles se disent très inquiètes par rapport à leur environnement et l’impact des méfaits que pourrait avoir cette catastrophe sur leur santé. « Les enfants et les personnes âgées ont des difficultés à respirer et personne n’est venu nous voir pour savoir si nous avons des problèmes. On est obligé de rester à l’intérieur de la maison. On ne sait pendant combien de temps les enfants n’iront pas à l’école. De plus, ici, il y a beaucoup de pêcheurs. Comment vont-ils faire pour gagner leur vie? » Autant de questions qui hantent les habitants comme cette odeur agressive de fioul aux narines.

Alors que les habitants et des visiteurs découvrent tout le dégât causé par le carburant du navire naufragé, des éléments de la Special Mobile Force, pelles et pioches en main, enlèvent les résidus qui se sont échoués sur la rive. Des équipes du ministère de l’Environnement et du Mauritius Oceanography Institute font un constat des lieux, tandis que la police a également déployé son équipe de Hazardous Waste Management.

Pendant ce temps, à Pointe Jérôme et à Pointe d’Esny, la colère sourde continue à monter. Les Mahébourgeois ne comprennent pas pourquoi les autorités ont mis tant de temps à réagir et se demandent ce que leur réserve l’avenir. Catherine Thelva laisse éclater sa colère et ne mâche pas ses mots. « Voyez dans quel pétrin le gouvernement nous a mis. Mon époux est un pêcheur professionnel, il connaît ce lagon comme les cinq doigts de sa main. Quand il avait alerté les autorités sur le danger que représentait le navire, on nous a dit que tout était sous contrôle. Quand nous avions dit que de l’huile commençait à se répandre, on nous a dit de faire attention aux fake news. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Ce lagon de Blue Bay-Pointe d’Esny est l’un des plus beaux lagons à Maurice. Les touristes adorent venir ici. Comment allons-nous vivre maintenant ? Moi-même je travaillais comme cuisinière avec les touristes, où vais-je avoir du travail maintenant, si les touristes ne viennent plus ici ? Mon fils est skipper, il n’a même pas droit aux Rs 5 100 de la MRA. Comment va-t-il vivre ? », peste-t-elle en invitant les autorités à s’intéresser aux problèmes des gens démunis et à ne pas songer uniquement aux hôtels et autres « gran dimounn » qui bénéficient du soutien de l’État.

Vishnu Marday, pêcheur de la localité, abonde dans le même sens. Il fustige les ministres de l’Environnement et de la Pêche, Kavydass Ramano et Sudheer Maudhoo, respectivement. « Au commencement, les pêcheurs avaient dit qu’ils étaient disposés à donner un coup de main, ils ont refusé en disant que la situation était sous contrôle. C’est maintenant qu’on vient nous dire qu’il faut collaborer. Les ministres restent dans leurs bureaux, mais nous, les enfants de Mahébourg, nous ne pouvons même plus respirer. Combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Nous exigeons la démission de Kavy Ramano et de Sudheer Maudhoo. »

Pour sa part, David, plaisancier de la région, confie avoir dû aller chercher de l’emploi comme électricien, car la Mauritius Revenue Authority ne lui a pas versé l’allocation dédiée aux opérateurs touristiques. « Ils ont mis une nouvelle loi et ce sont les propriétaires de bateaux seulement qui sont compensés. Cela, tout en sachant que c’est nous, skippers, qui travaillons sur les bateaux. Si je n’avais pas eu ce petit boulot d’électricien, je ne sais comment j’aurais fait pour nourrir mes deux enfants, pour leur acheter des couches… Maintenant, avec la catastrophe, on ne sait même pas si les touristes vont revenir à Mahébourg. »

Francesca Martin de la compagnie Aquasoleil, proposant des excursions, se dit consternée que les autorités parlent surtout de compenser les pêcheurs. Or, dit-elle, il y a beaucoup de personnes qui gagnent leur vie grâce à la mer à Mahébourg. « Déjà après la COVID-19 qui nous a mis à genou, nous avons eu un choc d’apprendre que de l’huile lourde s’était répandue dans le lagon. Nous vivons de la mer, nous avons investi dans ce business. Nous contribuons à l’économie du pays. Nous nous préparions pour la relance, mais avec cette catastrophe, on ne sait comment on va faire pour se relever. On ne sait non plus, ce que le gouvernement propose pour encadrer les plaisanciers qui sont affectés par cette situation. Et aussi pour tous les pêcheurs qui ne peuvent pratiquer leurs activités. »

Elle se dit également inquiète pour son village, connu pour son cachet historique et authentique. « Que prévoit-on de faire pour Mahébourg, pour restaurer notre environnement ? L’impact de cette catastrophe va peut-être durer 10 à 15 ans? Comment allons-nous faire ? Il y a aussi dans la région un site Ramsar, de même que l’Ile-aux-Aigrettes. Comment va-t-on faire pour protéger tout cela. Si on a besoin d’aide, il faut savoir demander. Hier on est venu sur les lieux à 20h, tout le monde avait déjà plié bagage, il n’y avait personne sur la plage… Nous, nous sommes disposés à apporter notre aide pour sauver notre lagon.»

Alors que les écoles de la région restent fermées, les Mahébourgeois sont inquiets quant à l’avenir de leurs enfants. « Ils ont déjà raté les classes pendant trois mois avec le lockdown et voilà qu’on referme l’école une nouvelle fois. Si on avait réagi plus vite, nous n’en serions peut-être pas là », déplorent-ils alors que l’odeur du fioul rappelle que le désastre écologique est là…

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