OPÉRATION SUPER CARGO – Le Money Trail à l’épreuve des Law Enforcement Agencies

Le test pour la sortie de Maurice de la Grey List de la Financial Action Task Force et de la Black List de l’Union européenne se jugera au titre de l’efficacité des Law Enforcement Agencies (LEA) à mener à bout des opérations de lutte contre le “Money Laundering”. Force est de constater que jusqu’ici, très peu de trophées peuvent être affichés au tableau de chasse de ces entités. Voire nul même. Toutefois, l’opération Super Cargo et la saisie de 243 kg d’héroïne et de 26 kg de haschisch, d’une valeur marchande de Rs 3,7 milliards au début de ce mois, poussent ceux qui se battent sur le terrain contre le fléau de la drogue, à remettre en perspective cette arme des plus efficaces pour redoubler d’efforts et mettre hors d’état de nuire la mafia. Ils ne cessent de répéter comme un leitmotiv : « le moyen le plus sûr de démonter les réseaux, c’est le Money Trail : l’argent engrangé par le trafic ne disparaît pas ». Au contraire, soutiennent-ils, « il suit un tracé que l’on peut remonter ».
Rares ont été les Unexplained Wealth Orders émis sous les dispositions de la Good Governance and Integrity Reporting Act, texte de loi piloté par l’ancien ministre Roshi Bhadain. L’explication la plus plausible est que l’Integrity Reporting Services Agency ne dispose pas d’assises solides pour imposer ses empreintes. C’est ce qu’avancent des observateurs aguerris et ayant une expérience du terrain.

- Publicité -

« S’il y a une réelle volonté politique, cela commencera par redynamiser et renforcer ce département… », affirment ces personnes très actives sur le terrain optant pour l’anonymat parce que certains fréquentent « de près des dealers et des personnes impliquées dans le business ». Ils font comprendre que le “lockdown” ne constitue nullement un “deterrent” pour les parrains de la drogue. « Il y a certainement eu une foule d’autres entrées de cargos de drogue, sans que les autorités aient eu vent de cela. Ou alors, ces commanditaires étaient très bien rencardés par des taupes… dans la police ou ailleurs, et ils ont fait le nécessaire pour que leurs produits arrivent à bon port, sans éveiller les soupçons des autorités », rajoutent-ils.

Ils font remarquer que l’un des éléments clés pour savoir qu’il y a un trop-plein de drogue sur le marché local, « c’est quand il n’y a pas de Subutex ». Dans cette conjoncture, l’équation est simple : il y a suffisamment, voire trop d’héroïne, sur le marché pour que les accros se ruent sur le Subutex ! Ce médicament utilisé dans le traitement de désintoxication des Usagers de drogues injectables (UDI), principalement ceux qui consomment le Brown Sugar, dérivé de l’héroïne, est « un “remplaçant” approprié quand les toxicos n’ont pas de Brown sur le marché ».

« Trop tard ! »

Ce qui amène à ce constat effarant et effrayant : « Actuellement à Maurice, nous avons atteint un niveau bien trop avancé pour croire pouvoir renverser la vapeur. La situation a beaucoup trop empiré… Il y a une dizaine ou même une quinzaine d’années, on pouvait encore sauver la mise. Maintenant, c’est beaucoup trop tard. » Et de rappeler que « cela fait longtemps déjà qu’aucun gouvernement n’a commandité ni réalisé de rapport scientifique pour établir combien de Mauriciens sont actuellement accros aux drogues ».
Force est de constater que dans différentes régions « de plus en plus de jeunes, filles comme garçons, sont impliqués dans le trafic de drogues, pour la principale raison que c’est un business ultra-lucratif ». L’attrait de l’“Easy Money” est trop tentant pour satisfaire des besoins artificiels et éphémères de « simplement mener la belle vie, frimer, porter de beaux habits, sortir et aller dans des endroits in, flamber du fric… » Quoi, l’adrénaline qui fait bouger ces jeunes.
Il y a encore ces anonymes, qui ne touchent aucunement aux drogues. « C’est-à-dire des personnes qui ne viennent pas directement dans la ligne de distribution et de vente des drogues. » Des bailleurs de fonds. « La personne place, par exemple, Rs 200 000 dans un réseau bien rodé avec l’appui et le soutien de ceux impliqués, il y a là financiers, comptables, légistes… des blanchisseurs, en somme. Et au final, cette somme deviendra Rs 2 millions ! »

Rs 3 000 le gramme d’héroïne

Ce que redoutent surtout, à ce stade, ces activistes, c’est l’escalade. « Pour l’heure, entre eux, ceux qui sont engagés dans le trafic règlent leurs comptes… à leur façon. Par exemple, ils dénoncent ceux qui ne respectent pas les normes pratiquées, comme le prix des produits. Zot vann zot bann rival lerla, zis pou biznes pa soufer… »
Un exemple de cette rivalité : « Un clan devenait un peu trop gourmand. Ils avaient trouvé l’astuce pour accélérer les ventes et gagner plus de sous. Un gramme de Brown Sugar, non coupé, se vend, en moyenne, à Rs 4 500 ou à Rs 5 000. Cet autre groupe, lui, avait décidé de baisser le tarif à… Rs 3 000 le gramme. On imagine l’effet sur le marché ! Quand les autres ont eu vent de cet état de choses, ils ont essayé de raisonner leurs pairs. Mais ça n’a pas marché… Parce qu’ils devaient “protéger” leur part du marché, ils ont fini par livrer ces autres aux autorités. Et on devine la suite… »
À un moment, dans les années 70, certains caïds réglaient leurs comptes à coups de couteau, par exemple. « Pour l’heure, on le dit bien, pour l’heure, cela n’est pas le cas, ici. Mais on craint une dégénération et que des armes à feu, entre autres, ne deviennent monnaie courante pour les gangs qui veulent régler leurs comptes, entre eux. »
Et un “Trail” avec accent sur “The Color of Money” est, à coup sûr, la voie royale pour porter le coup fatal à ces trafiquants de drogue. Mais à ce jour, très peu d’indications d’une montée en puissance de la garde assurée par la Financial Intelligence Unit, l’Independent Commission Against Corruption ou encore l’Integrity Reporting Services Agencies, des cerbères contre le blanchiment dans le circuit financier.

——————————————

« Zot mem bann Bos-la ! »

Les activistes sont catégoriques : « Nous avons affaire à une très jeune génération de trafiquants et de dealers. Au temps des Gaffoor, Hobass, Bacsoo, Jeewooth et autres La Tête Omarsaïb, cités dans le rapport de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par sir Maurice Rault, les données étaient différentes. Il s’agit d’adultes qui étaient impliqués dans le business. Les temps ont changé et les règles du jeu également…»
Les travailleurs sociaux reviennent sur le phénomène de rajeunissement et aussi une touche plus féminine dans le circuit de la drogue. De ce fait, pour eux, dans l’affaire Gurroby, « zot mem bann Bos-la » ! Le fonctionnement a changé. « Souvent, on pense (à tort, dans nombre de cas) qu’il y a des personnes impliquées à plus haut niveau qui tirent les ficelles… Cela n’est pas forcément toujours le cas. »

Ils poursuivent : « Cette génération actuelle de dealers et de trafiquants comprend des jeunes qui veulent vivre la belle vie… Filles comme garçons : ce qui les intéresse, c’est la frime, une vie de luxe, sortir dans des endroits chics, porter de beaux vêtements… C’est typique de cette génération actuelle qui veut vivre comme dans les clips musicaux. »
Ils ajoutent que « ces jeunes tirent eux-mêmes les ficelles de leur business : ils emploient des personnes qui deviennent leurs jockeys et intermédiaires ». Et de souligner : « Ces jeunes ont bien retenu la leçon de la génération des années 70/80, ils n’ont que trop bien compris les règles du jeu ! C’est pour cela qu’ils préfèrent eux-mêmes gérer leur business. Et c’est avec cette idée en tête qu’ils ajoutent des VVIP, comme des politiques, dans leurs cercles de fréquentation… »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -