POST-COVID – TOURISME : Bel-Ombre et Chamarel au bord de l’asphyxie

On est très loin de l’image dorée que certains hôtels veulent encore vendre. Avec la fermeture temporaire des hôtels et le manque de touristes à cause de la Covid-19, la situation est tendue à Bel-Ombre et Chamarel. Plusieurs familles sont à bout de ressources. Sans compter les problèmes de santé, d’infrastructures, de scolarité… Ces familles en appellent aux autorités pour un plan de restructuration à l’intention de ceux qui dépendent du tourisme.

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Les régions de Bel-Ombre et Chamarel ont beaucoup de mal à se réveiller et accusent encore le coup dur porté au tourisme par la Covid-19. L’angoisse et l’incertitude sont désormais le quotidien des habitants de ces régions. Perte d’emplois, difficultés financières, fermeture de la plupart des restaurants, pêcheurs et artisans dans le flou… ces habitants ont devant les yeux un tableau sombre et les quelques restaurateurs qui résistent se trouvent à la croisée des chemins. Les visages se crispent, les émotions sont à fleur de peau et on est très loin du cliché où les touristes faisaient la fierté de ces régions et permettaient un meilleur train de vie à ses habitants. La Covid-19 a ébranlé les esprits et si ceux qui se sentent pris en otage par cette crise sanitaire s’attendent à un grand réveil avec l’ouverture des frontières, il n’en demeure pas moins qu’ils craignent aussi une deuxième vague de l’épidémie.

Anand et deux poulets en compagnie de Gangassamen Bhawon et Krishnasawmy Curpen

Mardi matin, un vent frais hivernal et la pluie gâchent le paysage verdoyant de Bel-Ombre. Cette partie de l’île avant la crise sanitaire s’épanouissait grâce à une industrie touristique florissante. Aujourd’hui longer toute la route côtière et entrer dans le cœur de Bel-Ombre à la rencontre de ses habitants offre une scène de vie des plus inquiétantes. Les habitants vivent dans l’angoisse, les quelques économies restantes pour certains sont vite puisées de la tirelire. Et les témoignages de certains téméraires jettent un froid sur la situation qui prévaut. On est très loin de cette ambiance mouvementée avec le va-et-vient des touristes, des chauffeurs de taxi qui s’empressent de faire des courses à la ronde. La farandole autour d’un bon séga typique est archivée dans un tiroir aux souvenirs. Aujourd’hui, la dépression a pris le dessus, doublée d’une angoisse sur des jours incertains.

« Klian pena mem dan restoran »

Marline et Marilyn Monroe, deux sœurs qui ont hérité du talent de leur grand-mère, grand chef cordon-bleu, ont lancé chacune leur propre restaurant. L’un porte le nom de la célèbre actrice Marilyn Monroe et l’autre Bistro Anvers. Envers et contre tous, elles ont essayé de remonter la pente dès l’annonce du déconfinement. Marilyn a vite déchanté. « Fermtir frontier finn blok nu biznes. Regardez toutes mes tables et chaises retournées. » Lorsqu’on lui parle de la distanciation sociale, elle rétorque : « Eou lamadam, ki distansiasion sosial, klian mem pena. Metiers ki pe viv lor tourism dans dife. » Les deux sœurs se sont spécialisées dans la cuisine locale du terroir mauricien dont raffolent les touristes. Marline, elle, montre sa tente vide. Pas la peine, dit-elle de s’approvisionner en légumes. Les deux sœurs se demandent comment entretenir un restaurant sans clients et trouver de l’argent pour payer les employés.

Selon Marline, ses clients étaient des touristes du So Sofitel, Tamassa et d’autres établissements hôteliers du coin. Désorientées, les deux sœurs restent incertaines quant à la survie de leur restaurant. Et d’ajouter : « Gouvernman bizin ekut lapel detress bann restorater. Pas zist nu, bane ti metier ki ti pe viv lor tourism dan dife, peser pa pe gag lavi, lotel, restoran pa fonksione. Pena mem dimouun lors simin. On a baissé le prix du gaz ménager, ce qui est une bonne chose, mais qu’est-ce qu’on va cuire ? Il n’y a pas de clients, pas de rentrée d’argent. Nou zanfan ki pou manze ? » Clenford Cousinery, pêcheur et fournisseur de poissons, parle d’avenir incertain. « Poison kapav pese, me ar ki pu vande. Kan la mer pa bon, kouma nou pou gagn nou lavi. Kot pou livre poison, restoran mem pena klian. Mo ti pe kapav gagn enn ti Rs 1 000 par zour ar lavant mo bann poison, pena nanyen zordi. » Avant, il livrait sa pêche aux restaurateurs du coin. Aujourd’hui, lui aussi trouve que les Rs 5 100 du gouvernement ne suffiront pas pour faire nourrir dans les mois à venir sa famille. « On demande au gouvernement de nous apporter une aide financière jusqu’à ce que les touristes reviennent dans notre île. »

« Label “Made in Moris”, oui, me pena travay »

Dany Sola, Conseiller du district council de Bel-Ombre, fait état de quelques soucis pendant le confinement concernant la distribution de “foodpacks” par le privé qui n’aurait pas atteint toutes les familles méritantes. Pour l’heure, il trouve que le gouvernement devrait proposer une solution adéquate aux habitants de Bel-Ombre qui vivent principalement du tourisme. « C’est une bonne chose de promouvoir le label Made in Moris mais il n’y a pas de travail. Les hôtels n’opèrent plus, le tourisme est en otage avec la fermeture des frontières, les restaurants n’accueillent plus les clients touristiques et les Mauriciens qui vivent à Bel-Ombre préfèrent plutôt planter et préparer eux-mêmes leurs mets pour leurs familles. Il faut que le ministre de la Santé vienne avec un plan effectif pour rassurer les Mauriciens qu’avec la réouverture des frontières, il n’y aura pas une deuxième vague et que ces familles pourront subvenir à leurs besoins. Il faut trouver aussi une formule pour éviter des pertes d’emplois dans les hôtels dont certains ont déjà fermé leurs portes. Qu’adviendra-t-il de ces employés sur le pavé ? Avec quoi, ils vont nourrir leurs familles ? Dans le budget, il est prévu une facilité d’emprunt à 0.5% auprès de la DBM pour les PME, mais en quoi les gens vont investir et comment ils vont payer leurs dettes ? La plupart des familles de Bel-Ombre vivre de la pêche, de l’agriculture, mais comment faire refonctionner des foyers quand il y a perte d’emplois, chômage à l’horizon. » Dany Sola propose un plan de regroupement des métiers et de permettre à ceux qui ont perdu leur emploi de s’organiser et se recycler. « Quelqu’un peut vendre le pain, un autre des légumes, et un autre encore des poissons. Cela pourra aider en attendant l’ouverture des frontières. Avec la cumulation des emplois, chacun pourra vivre. »

Une idée que partage Krishnasawmy Curpen, Gangassamen Bhawon et Anand. Le premier travaillait dans la section sécurité au Sofitel avant son licenciement ; le deuxième, ancien chef responsable d’une équipe de cuisine dans un autre établissement hôtelier a été licencié et Anand, jardinier d’hôte, a été également remercié. Pour Krishnasawmy Curpen, la situation est difficile, et il se demande pendant combien de mois il pourra tenir. Il lance un appel au gouvernement de venir à Bel-Ombre pour écouter les doléances des habitants. Idem pour Gangassamen Bhawon, prêt à se recycler dans un autre métier. Anand qui vient d’acheter deux coqs de basse-cour à Rs 50 l’unité pour un p’tit curry se désole d’être au chômage. « Ki pou manze, zordi mo pe aste poul bas-kour, dimin ki pou kui pena kasss. »
Le klaxon d’un van retentit dans l’allée, un homme y vend des produits ménagers, des rouleaux de Kleenex et autres produits pour l’entretien de la maison. Dans une autre ruelle, un autre procède à la livraison de légumes et d’oeufs. Selon Gangassamen Bhawon, les habitants de Bel-Ombre vivent dans la crainte. « Ouvertir frontier sinifi pou regagn tourist, manze dan katora, me osi reamen enn deziem vag kovid. Si dimann nou swazir, nou de lamain atase, pena tourist nou mor, ena touris, covid touy nou. Nou bizin manze et pou manze, nou bisin travay et pou travay nou bizn lanplwa e pou lemoman nou bizin gouvernmen donn nou enn alokasion sirvi. »

Shirley Bergicourt, ex-présidente du village de Bel-Ombre, et Antonio Louis, ex-vice-président du Black-River District Council, mettent l’accent sur les activités des associations de femmes qui sont restées en suspens avec la Covid-19. Selon Shirley Bergicourt, avant les femmes venaient au centre pour faire valoir leur talent dans le domaine de l’artisanat alors qu’aujourd’hui le Centre Saint-Martin de Bel-Ombre Village Hall accueille deux chiens errants devant son portail et toutes les portes sont fermées par manque d’activités. Antoine Louis dit que les infrastructures ne sont pas entretenues et qu’il y a une stagnation de drains à Berri Blanc Bel-Ombre. « Nanyen pa pe fer. Zis ava eleksion truv bane dimun, apre ni minis ni depite ne pli interese ar Bel-Ombre. Il faut redonner le pouvoir aux conseillers de village. Pa fasil non pli pou ban madam gagn travay aster. » Il déplore aussi le fait que rien n’a été fait pour les Scavengers. « C’est un métier et il n’y a pas d’éboueurs à Bel-Ombre. Le budget alloué au tourisme est énorme, mais les frontières sont fermées. Cet argent aurait pu servir pour relancer les emplois perdus et les secteurs où les touristes sont aujourd’hui invisibles. »

Chamarel, le grand sommeil

On ne peut mieux rêver que faire une halte à Chamarel connue pour ses réserves naturelles, ses traditions culinaires, son artisanat. Autant dire qu’avec la Covid-19, le constat n’est plus le même. Révolue cette époque où les rues étaient bondées et où on pouvait croiser à chaque détour des touristes, des coupeurs de cannes. Chamarel sombre aujourd’hui dans un grand sommeil et la plupart des restaurants n’opèrent plus, sauf celui de Rico L’Intelligent du Palais de Barbizon qui a pu accueillir six visiteurs le jour de la fête des Mères. Quant au restaurant La Citronelle qui a beau poster des flyers, faire des pubs astronomiques, il attend toujours après le déconfinement de recevoir son premier client. Même le Mauricien ne vient plus à Chamarel pour manger.

Mme Emilien et un de ses employés du restaurant La Citronelle, à Chamarel, face à la conjoncture des tables vides

Du jamais vu ! Les ruelles désertes de Chamarel confirment bien cet état de choses. Certains restaurateurs ont décidé de mettre la clé sous le paillasson. Shreematee Émilien qui gère La Citronelle ne cache pas son angoisse quant à l’avenir. « On a même proposé un service “take away” mais personne n’en veut. Dix ans depuis que j’ai ouvert mon restaurant, il restait bondé et accueillait 150 couverts en temps normal. Il n’y avait qu’à voir la file d’autos, aujourd’hui c’est le silence. Je n’ai pas le cœur à mettre mes employés à la porte qui sont au nombre d’une dizaine, mais je ne sais plus quoi faire, vers qui me tourner. Travay pena. J’ai dépensé de l’argent pour 10 000 flyers, mais point de clients, j’ai eu mon Work Access Permit touristique, mais voyez mon restaurant complètement vide. Comment relancer mon business ? Pour moi, il faudra revoir l’ouverture des frontières et la sécurité des Mauriciens. Autrement, il y aura beaucoup de chômeurs et des personnes se retrouveront avec de gros problèmes financiers. »

Rico L’Intelligent : « Les services de santé doivent faire les tests à l’aéroport »

Rico L’Intelligent est le seul restaurateur de Chamarel à avoir eu six clients pour la fête des Mères. Et mardi, à l’heure où Le Mauricien l’a rencontré, il expliquait que lundi, c’était le néant et qu’il fallait attendre pour voir le déroulement durant la semaine. « Chamarel a perdu de sa magie et est plongé dans la grande obscurité totale. Tous les centres d’activités, comme la Terre des sept couleurs, l’Ebony Forest, le Curious Corner et les restaurants, sont fermés. Chamarel a été comme pris en otage et attend un déclic pour se réveiller », dit-il. Évoquant la réouverture des frontières, Rico trouve que les services de santé doivent faire des tests à l’aéroport et qu’il serait même envisageable d’avoir un grand bâtiment en annexe pour le dépistage sur place de la Covid-19. « Cela minimiserait du coup les risques d’infection liée à cette pandémie », estime-t-il.

Rico L’Intelligent estime que les autorités doivent proposer un plan de relance

Parlant de la survie de son restaurant, Palais de Barbizon, il dit avoir ouvert ses portes à la fois aux touristes et aux Mauriciens, ce qui fait sa force. Par ailleurs, Rico L’Intelligent trouve que les autorités auraient dû venir au Village Hall de Chamarel pour expliquer la situation aux habitants qui sont dans le flou et incertains de retrouver un travail. « La situation est chaotique à Chamarel. Les chauffeurs de taxi ont, à la place des clients touristiques, investi dans des légumes. Il y a eu une grande reconversion de travail. Pendant le confinement, une balle de riz “ration” se vendait à Rs 800 au lieu de Rs 300. La Covid-19 a été un coup dur pour les gens dans le besoin », explique-t-il. Rico L’Intelligent précise que, même avec deux clients, les normes d’hygiène restent de mise dans son restaurant. Il insiste sur le fait que la situation est « catastrophique » à Chamarel et que les autorités doivent venir de l’avant avec un plan de relance.

José Hitié, Varangue-sur-Morne : « On veut au plus vite avoir cette application de Safe Travels »

La réouverture du restaurant Varangue-sur-Morne à Plaine-Champagne a pris effet le 6 juin et le restaurant a accueilli une vingtaine de personnes. Et le lundi 8 juin, une quinzaine. Pour José Hitié, le tourisme intérieur « a du potentiel » et il est bon de viser la clientèle mauricienne. La force de Varangue-sur-Morne réside dans la possibilité de manger à l’intérieur et à l’extérieur avec vue panoramique sur le paysage. La distanciation sociale est respectée sans oublier la prise de température et la salle qui a été préparée selon les normes requises, notamment quatre mètres carrés. Un nouveau chef, Patrick Babooram, a concocté une carte faisant la part belle aux palmistes, poissons grillé, échalotes, dessert à la noix de coco et coulis aux fruits rouges, soit sept menus à la carte.
Une des préoccupations de José Hitié est de voir au plus vite l’application de Safe Travels sur le site web de la Tourism Authority. « C’est un label très important et comme tous les opérateurs du tourisme, nous aurons à nous réinventer en proposant d’autres activités, notamment autour de la pêche à la ligne au beryl rouge, les mini-randonnées à la cascade, des cooking classes, des activités pour évoluer en attendant l’ouverture des frontières. » Dans l’immédiat, José Hitié évoque des difficultés pour la relance les affaires car, selon lui, Varangue-sur-Morne dépend de 94% du marché touristique et 6% du marché mauricien. « On est loin du compte. Notre avantage réside dans le positionnement de Varangue-sur-Morne et le désavantage vient de la longue distance. » L’interlocuteur qui se décrit comme un optimiste dit toutefois qu’il ne faudrait plus regarder le tourisme d’un point de vue sectoriel. « Il ne faut pas que les hôtels qui n’ont pas de clients mettent l’accent sur le package et les “incentives”. Le “All-Inclusive” signe la mort lente du tourisme, il faut que le tourisme soit considéré dans sa globalité et non que les hôtels protègent leur propre marché. »

En ce qui concerne le présent Budget 2020-2021, José Hitié dit qu’il ne faut pas que « cela soit un simple exercice de comptabilité » mais que dans la pratique il y ait aussi des actions « Je prends les Rs 5 100 d’allocation, cela reste un peu dans le flou. Les gens sont encore dans la confusion. » José Hitié souhaite en conclusion que le gouvernement ne tarde pas à procéder à la réouverture des frontières en commençant par les Seychelles, Rodrigues, La Réunion. Ce qui générera un esprit psychologique positif en attendant la grande reprise du tourisme de manière grandiose.

Le restaurant Chez M Chamarel demande l’introduction d’un « péage social »

Umesh Rampersad, du restaurant Chez M, à Chamarel, indique que Chamarel comprend 400 habitants et qu’environ 13 à 16 restaurants dépendent du tourisme. En temps normal, Chamarel accueille jusqu’à 800 touristes par jour, mais avec la Covid-19, les régions de Chamarel, Baie-du-Cap et Case-Noyale sont très affectées.

Pour Umesh Rampersad, les entrepreneurs, restaurateurs, PME et artisans sont « tous en difficulté et n’arrivent pas à faire rouler leur business », qui dépend uniquement du tourisme. Il suggère ainsi que le gouvernement permet aux Rodriguais de venir à Maurice, vu qu’il n’y a aucun cas de Covid-19 dans cette île. Il propose de faire un « péage social » à Chamarel en utilisant les trois entrées Rhumerie, Case-Noyale et Baie-du-Cap. Umesh Rampersad proposera, lui, de mettre à ces trois entrées des Desinfecting Channel Cabinet (de 4 x 8 pieds sur une hauteur de 6 pieds), comprenant une “UVC Light”, la prise de température, du “hand sanitizer” et des “shoe sanitizer”. Ce qui permettra, selon lui, de permettre aux gens « de ne plus avoir peur » et de se sentir en sécurité du point de vue sanitaire. Avec l’espoir que cela permette aux habitants de Chamarel et des régions avoisinantes de redémarrer leurs activités.

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