Post-Inondations — Un nouveau système de drainage : la planche de salut ?

Les mauvais jours sont derrière nous, mais les pluies diluviennes et les nombreuses régions inondées de l’île nous ont prouvé une fois de plus que le changement climatique est bel et bien réel et que ses conséquences sur un petit État insulaire comme Maurice sont désastreuses, surtout lorsque les drains sont mal entretenus, qu’il y a des constructions sauvages avec notamment le bétonnage et le goudronnage des sols, l’incivisme et la pollution. Bref, les causes de nos malheurs sont multiples. Et les propositions de solutions le sont tout autant. Dans l’attente d’un Land Drainage Masterplan, qui pourrait être la planche de salut, les autorités tentent d’éponger les dégâts d’hier…

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« Le risque zéro n’existe pas ». C’est ce que nous affirmait en début d’année Nuvin Khedah, directeur de la Land Drainage Authority (LDA), en opération depuis 2018. Sollicité alors pour un article sur les campagnes de sensibilisation dans les collèges lancées par le ministère des Infrastructures publiques, avec pour but de justement parler des risques d’inondation et du changement climatique, il nous expliquait le rôle du système de drainage dans la prévention des risques d’inondation. Il était loin de se douter que la saison des pluies normalement de novembre à avril allait être aussi copieuse.

Ainsi, depuis fin 2020, la LDA détient une carte digitale de Maurice et de Rodrigues qui permet de générer et de visualiser le drainage naturel des eaux de pluie, notamment en cas de grosses averses. Avec les autorités « qui ont investi lourdement dans la technologie de pointe, la LDA vient de terminer un Digital Elevation Model grâce à un avion qui a survolé l’île pendant plusieurs mois et qui a pris les niveaux digitaux avec une précision de 10 cm. » Des données essentielles, recueillies par des experts d’une firme sud-africaine, AAL Geomatic, pour avoir l’alignement optimal du système de drains.  Ainsi, 289 zones inondables dynamiques ont été répertoriées par la LDA et 48 régions sont considérées comme des zones à haut risque. « 75 projets ont déjà été identifiés au coût de Rs 7,1 milliards. Et pour 2020-2021, un budget de Rs 1,1 milliard a été alloué pour les travaux. »

Il concède que le système de drainage actuel est dépassé et que le maintien de ces drains laisse à désirer dans certaines régions. « Nos drains existent depuis beaucoup de temps et ont été construits d’après la topographie de l’époque. Avec l’expansion des zones de construction, dans certaines régions, les drains sont dépassés », dit-il. En effet, ce n’est que très récemment que les travaux de réaménagement de drains ont été entamés, lentement mais sûrement, assure-t-il. « Cela prend beaucoup de temps à cause de l’acquisition de terrains. Souvent, il y a plusieurs propriétaires qui doivent agréer pour mettre leur terrain à la disposition de la NDU pour construire les drains. J’en profite pour lancer un appel à la population : on a besoin de la collaboration des personnes et des compagnies sucrières pour nous céder les passages identifiés pour pouvoir faire l’acquisition de ces terres et ainsi avancer dans nos travaux. »

De plus, il soutient qu’il est important d’investir dans un système de maintenance efficace, pour éviter les accumulations dans les cours d’eau. « Auparavant, il n’y avait pas de système bien rodé et la maintenance se faisait en partie. La LDA a répertorié tous les drains, soit 1 400 km de drains qui étaient construits et on a maintenant un système de maintenance. Et d’ailleurs, la maintenance doit se faire sur tout le tracé pour éviter toute obstruction. » Il cite le cas des inondations de mars 2013 où « 400 tonnes de déchets ont été enlevées du ruisseau du Pouce et dans les alentours. » Depuis 2019, un Maintenance Plan a ainsi été mis en place. « On devrait aussi avoir un personnel dédié uniquement à la maintenance des drains, car il faut avouer que le système de drains est un peu dans l’oubli: il faut donner plus d’importance à cela. »

Nuvin Khedah ne cache pas ses inquiétudes quant au changement climatique, notamment les « fortes intensités de pluie très localisée dans un court laps de temps et les drains dépassés n’ayant pas la capacité pour stocker toute l’eau. Le risque zéro n’existe pas. L’on peut faire toutes sortes d’aménagements, mais on ne peut pas éliminer les risques, on peut uniquement mitiger l’impact et les risques sur la population. » Une population qui a aussi son rôle à jouer dans cette équation. D’où le besoin d’éduquer les jeunes, en organisant des campagnes dans les collèges. Un exercice fort concluant, car les jeunes, très sensibles à la cause environnementale, ont été nombreux à exprimer leurs points de vue sur les constructions illégales dans leur localité.

“Il y a aussi le problème du changement climatique, le ceiling of the ground et les constructions illégales sur les berges des rivières, soit dans la Buffer Zone de 16 mètres de chaque côté. Quand il y a des crues, l’eau va monter et il y aura une expansion du lit de la rivière et si vous construisez dans cette zone d’expansion, vous allez être automatiquement inondés. Ne construisez pas sur les zones tampon”, dit-il. Pour ce qui est de gros projets de construction, Nuvin Khedah soutient que le LDA a désormais son mot à dire et “peut imposer des conditions, car on a les outils qu’il faut. On est dans le Morcellement Board depuis 2019. C’est très récent. On peut donc donner notre avis sur la construction de morcellements, etc., et préconiser certaines mesures comme la construction d’un cut-off drain pour canaliser l’eau, etc. Il nous faut des mesures proactives.”

Il explique par ailleurs qu’il est sacro-saint de sauvegarder les zones marécageuses, soit les wetlands, et avance que « le comblage de zones humides est une action extrêmement grave du point de vue de l’évacuation d’eau et crée des zones inondables. Pour nous, c’est zéro construction. Nous accueillons d’ailleurs favorablement le plaidoyer du ministre des Infrasructures publiques, Bobby Hurreeram, sur le Wetland Bill. » Aussi, le directeur de la LDA est convaincu que le problème des inondations et des accumulations d’eau ne repose pas uniquement sur le système de drains.

« La bataille contre l’inondation ne se fait pas uniquement avec les institutions, car sans la collaboration du public, on va faillir dans notre tâche. Et la responsabilité se trouve à trois niveaux : il y a d’abord le gouvernement pour investir dans les projets, ensuite les institutions pour répertorier les zones et assurer que les infrastructures se font correctement et, finalement, il y a le public qui a une responsabilité citoyenne pour ne pas jeter des déchets dans les rivières, entre autres, et salir. » Il est à noter que depuis mai 2019, un Drainage Impact Assessment est demandé pour les projets de développement au-dessus de 5 arpents pour « analyser les impacts sur le système de drainage et d’évacuation d’eau pluviale ».

Les collectifs citoyens sur le qui-vive

« Le premier constat est que cela fait très longtemps depuis qu’on n’a pas eu d’aussi grosses pluies, et cela est caractéristique du changement climatique », soutient Adi Teelock, de Platform Moris Lanvironnman (PML). Elle soutient que « le système des gestions des pluies est totalement déficient avec des conséquences tragiques » tant sur le plan humain que matériel. Elle aussi abonde dans le sens de presque tous pour dire que « les drains dans certaines régions sont dépassés » et ne peuvent contenir cette quantité d’eau de pluie dans un si petit laps de temps.

« Il aurait fallu un plan d’aménagement du territoire avec les impacts du changement climatique. Et il faut aussi que celui-ci soit lié à des solutions fondées sur la nature. En somme, on doit imiter la nature pour gérer ce genre de situation », dit-elle. Adi Teelock explique qu’il faut penser à des bassins hydrauliques ou encore traiter ce problème à la racine, soit « de la montagne à la mer ». Elle déplore à cet effet la disparition ou la non-efficacité — comme pour la canne —, des couvertures végétales qui permettent au sol d’absorber plus profondément l’eau de pluie. « Quand on abat les arbres, on détruit les zones tampon, et on a donc plus de systèmes d’éponge essentiels pour slow the flow de l’eau de pluie. »

Pour PML, une des solutions aurait été de mettre en place des lois plus sévères pour empêcher l’imperméabilité du sol à un certain pourcentage, notamment pour les nouveaux morcellements. Et dans les cas extrêmes, de reloger les gens habitant dans des zones à haut risque trop compactées en termes d’infrastructures. « C’est le dernier recours, mais pourquoi pas des maisons sur pilotis », dit Adi Teelock. Elle ajoute que le plan de l’aménagement du territoire doit décréter des zones non constructibles, « point barre! ».

Incivisme déploré à Curepipe

Après les inondations dans la ville de Curepipe, plusieurs exercices de nettoyage ont été effectués. Durant la semaine, le maire de la ville lumière, Hans Margueritte, écrivait sur sa page Facebook, avec photos à l’appui : « Voilà comment toujours nous aurons des personnes irresponsables qui jettent directement leurs frigidaires au bord des rivières. » Par ailleurs, malgré le déconfinement, les parcs publics restent fermés, mais cela n’empêche pas les mairies et les conseils de village de s’activer pour défraîchir les terrains publics. Encore plus après les récentes pluies diluviennes. «Nous prenons de l’avance, nous devons être prêts pour accueillir les gens dans les espaces publics», nous affirme Hans Marguerite. Depuis le début de la semaine, les opérations de désherbage dans les parcs et les jardins publics ont déjà commencé. «Évidemment, au début du confinement nous ne pouvions pas le faire, mais là avec la reprise, nous allons pouvoir nous occuper de tous ces espaces verts», nous dit-il. Par ailleurs, il soutient que le ramassage d’ordures se fait normalement dans les quartiers et que tout ou presque a bien repris.

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