Post-MV wakashio – Naufrage du Sir Gaëtan : À l’épreuve de l’inconsolable douleur !

La sourde colère des proches et collègues des trois victimes et du capitaine, toujours porté disparu en mer, face au silence cynique de la MPA

- Publicité -

Quatre jours après le drame en mer au large de La Pointe-Roches-Noires avec trois victimes Lindsay Plassan, Sylvain Addison et Sujit Kumar Seewoo, et le capitaine Moswadeck Bheenick, toujours porté manquant en mer à hier après-midi, les proches des victimes aussi bien que leurs collègues de travail affrontent l’épreuve de la douleur inconsolable. Alors que rien ne sera comme auparavant pour eux avec en plus le traumatisme de cette disparition soudaine, le silence cynique affiché jusqu’ici par la direction de la Mauritius Ports Authority est encore plus révoltant. Et ce, sans compter l’outrage indéfendable à la mémoire des victimes commis par le Chairman de cette même MPA, un dénommé Ramalingum Maistry, le jour du drame.

Comme pour aider à conjurer ce mauvais sort, des membres de la famille des victimes, en l’occurrence Rudy Plassan et Daniel Addison, les frères des défunts Lindsay Plassan et Sylvain Addison, qui sont également des marins, ont crié fort leur amertume et surtout leur colère devant les circonstances de ce drame en mer, avec les premières victimes du naufrage MV Wakashio au large de Pointe-d’Esny. Présents au point de presse de la Maritime Transport and Port Employees Union (MTPEU) à Roche-Bois hier, ils ont souhaité partager leurs dernières conversations avec les victimes avant l’opération consistant à ramener la barge de Taylor Smith, L’Ami Constant, de Pointe-D’Esny.

De son côté, le président du syndicat, Tirth Purryag, qui est aussi un collègue très proche de Moswadeck Bheenick, s’est permis de mettre en relief les zones d’ombre autour de cette opération de remorquage la nuit. Il a été l’une des dernières personnes, qui a eu des échanges avec le capitaine du Sir Gaëtan en plein drame en mer en début de soirée de lundi.

Des témoignages poignants partagés de manière spontanée dans l’espoir que la lumière soit faite autour du changement de plan intervenu lundi alors que les membres d’équipage avaient fait comprendre que « c’était une opération difficile par une mer démontée » à la nuit tombant…

L’une des victimes à son frère Rudy Plassan lundi matin

« Si twa osi to ale, lerla de frer Plassan perdi lavi »

Rudy Plassan est marin, mais c’est surtout le petit frère de Lindsay Plassan, une des victimes du naufrage du remorqueur Sir Gaëtan. Il est toujours sous le choc et ne parvient pas à digérer la perte dans des conditions dramatiques de son aîné. Les dernières paroles de Lindsay à Rudy, avant que le premier nommé n’entamât son dernier parcours le lundi 31 août, résonnent toujours dans sa tête. « Si nou tou lede ale, de frer perdi lavi », a lancé Lindsay à Rudy avant de lui ordonner de retourner sur son bateau.

Rudy Plassan confie qu’il devait faire partie de l’équipage du remorqueur Sir Gaëtan lundi dernier. « Je devais procéder à cette opération à bord du SGD. Mais quand j’ai vérifié la liste, je n’ai pas vu mon nom. Je suis alors parti parler avec mon frère, qui se préparait pour cette opération. Je lui ai dit que je devais aussi faire partie de l’équipage, mais que mon nom ne figurait pas sur la liste. Alors il m’a répondu : Ki to pe anvi ale twa, si nou tou lede ale, de frer perdi lavi. De frer Plassan perdi lavi anmer. Ces paroles résonnent toujours dans ma tête. Trop difficile d’oublier cette dernière conversation. J’ai l’impression que Lindsay avait le pressentiment que quelque chose allait arriver », confie Rudy en retenant difficilement ses larmes.

Poursuivant, Rudy se souvient que Lindsay lui a « ordonné » de retourner sur son bateau. « Il m’a dit de partir sur mon bateau. Je lui ai alors remis deux gilets de sauvetage. Je lui ai dit de faire attention car le temps s’annonçait mauvais », dit-il. Et de poursuivre : « Arrivé à Pointe-d’Esny, un membre d’équipage a appelé pour nous demander d’envoyer une équipe pour assurer la relève le lendemain parce qu’ils étaient fatigués. Je croyais que les autorités avaient pris les mesures nécessaires pour envoyer une deuxième équipe, mais tel n’a pas été le cas. Aujourd’hui, la famille Plassan, y compris moi, veut comprendre pourquoi le plan a été modifié à la dernière minute. Pourquoi une deuxième équipe n’a pas relevé la première équipe ? », s’interroge-t-il.

Daniel Addison, marin et frère de Sylvain Addison, une autre victime du drame de la Pointe-Roches-Noires abonde dans le même sens. « Nous exigeons des explications sur tout ce qui s’est produit dans la nuit du lundi 31 août au mardi 1er septembre. Mon frère n’est pas revenu vivant de cette opération. Pourquoi ? », lâche-t-il avec colère.

Tirth Purryag sur les derniers échanges avec le capitaine Bheenick:

« Linn dir mwa ki letan pa bon ek operasion-la difisil »

Le président de la Maritime Transport and Port Employees Union (MTPEU), Tirth Purryag, fait part aussi de sa dernière conversation avec son collègue et ami proche, le capitaine Moswadeck Bheenick, alors que le drame se jouait en mer. À noter que ce dernier était assistant trésorier au sein de la MTPEU. Son témoignage est aussi poignant.
Il était vers les 20 heures ce lundi, Tirth Purryag, qui venait de rentrer chez lui, avait reçu un appel d’un collègue, l’informant qu’un accident a eu lieu et que le remorqueur Sir Gaëtan commençait à prendre l’eau. « Mon collègue m’a demandé de revenir au plus vite dans les locaux de la MPA à Port-Louis. J’ai aussi appris que le remorqueur Sir Édouard était déjà en route pour porter secours aux membres d’équipage en difficultés. En route pour Port-Louis, j’ai appelé Moswadeck Bheenick pour un constat de la situation », relate-t-il.

Le capitaine Moswadeck Bheenick a raconté comment s’est déroulée l’opération. « Moswadeck Bheenick inn dir mwa ki letan pa bon ek operasion-la difisil. Li dir ki ena ene gro Towing me ki la kord inn kase an semin. Moswadeck dir ki linn koste Sir Gaëtan ek barz pou reatas lakord me bann gro vag finn pous barz kont Sit Gaëtan. Fine gagn enn gro trou dan remorker ek linn pran delo. Mo finn dir li ki li pena nanyan afer, zis zet kano sovtaz dan delo, dir mamb lekipaz met jaket sovetaz e sot dan kano. Mo finn dir ki mo pa pou pran boukou so le tan, fer le neseser et ki mo pou call li apre. Samem konversasion mo finn gagne ek li », affirme Turth Purryag.

« L’équipage a subi des pressions »

Il est catégorique. Le naufrage du remorqueur aurait pu être évité. Selon le président de la MTPEU, les membres d’équipage du SGD ont subi des pressions pour qu’ils reprennent le chemin du retour le lundi 31 août alors qu’ils devaient passer la nuit à Pointe-d’Esny. Il déplore que le plan initial n’ait pas été respecté.

Le président de la MTPEU revient sur ce jour fatidique. Selon lui, le remorqueur a été choisi par le chef du département de marine de la MPA pour ramener la barge de Taylorsmith de Pointe-d’Esny jusqu’au port. Toutefois, précise-t-il, il n’y avait aucune urgence pour cette opération. « Les démarches ont été entamées depuis le vendredi 28 août pour ramener la barge. Mais on ne sait pour quelle raison l’opération a été annulée. L’opération n’a eu lieu ni le samedi 29 août ni le dimanche 30 août. Dans la matinée du lundi 31 août, une équipe est déployée pour ramener la barge de Pointe-d’Esny. Il y avait deux plans », explique Tirth Purryag.

Le premier plan prévoyait une première équipe pour se rend à Pointe-d’Esny à bord du remorqueur Sir Gaëtan. Elle devait passer la nuit à Pointe-d’Esny avec le lendemain, une deuxième équipe ralliant le Sud-Est par la route pour assurer le relais de la première équipe à bord du remorqueur et ramener la barge au port. La première équipe devait retourner au port par voiture.

Le plan B consistait à l’envoi d’une équipe à Pointe-d’Esny à bord du Sir Gaëtan pour y passer la nuit. Puis, avec le temps s’améliorant le lendemain, soit le mardi 1er septembre, l’opération du remorquage vers Port-Louis. Or, aucun de ces deux plans n’a été respecté. « Nous ne savons pour quelle raison cette équipe a été forcée de reprendre la met le lundi 31 août. Selon les témoignages des rescapés, l’équipe avait subi des pressions pour reprendre le chemin du retour le soir même. La question qui se pose : d’où viennent ces pressions ? Qui a exercé de telles pressions sur les membres d’équipage, surtout que la station météorologique de Vacoas avait déjà signalé un mauvais temps. Des vagues à hauteur de cinq à six mètres étaient prévues par la station de météo. Selon un des rescapés, les vagues variaient entre six à huit mètres », déplore Tirth Purryag.

Par ailleurs, ce dernier avance que le remorqueur Sir Gaëtan date de 27 ans et que des remorqueurs plus fiables et plus équipés étaient disponibles au port de la MPA. « Par le passé, j’ai moi-même refusé de travailler à bord du Sir Gaëtan en raison de son état. Pourquoi avoir insisté que cette équipe sorte en mer à bord du remorqueur alors que leur vie était en jeu ? », se demande le président du syndicat. Déplorant l’état des remorqueurs disponibles au port, Tirth Purryag se demande pourquoi la Mauritius Ports Authority n’a pas fait l’acquisition d’un nouveau remorqueur à ce jour. « La MPA aurait dû faire l’acquisition de deux petits remorqueurs en 2015, d’un grand remorqueur en 2018 et d’un autre grand cette année. Mais ces engins ne sont jamais arrivés au port », dit-il.

Les travaux de réparation et de maintenance sur les remorqueurs ont aussi fait l’objet de critiques de la part du syndicat. « Au port, nous avons des personnes qualifiées pour réparer les remorqueurs. Mais il n’y a pas d’ingénieurs marins qualifiés pour les travaux de réparation et de maintenance à la machine. Qui contre-vérifie les travaux effectués sur les remorqueurs ? Voilà comment les autorités gèrent notre flotte de remorqueurs au port », déplore Tirth Purryag.

Le président du syndicat indique que cette opération n’avait rien de difficile. « Nous faisons bien plus que cela dans le port. Il fallait suivre le plan. De plus, nous avons toujours déploré l’état des remorqueurs. En janvier dernier, le syndicat avait envoyé un mail et une lettre à la direction, à savoir le directeur général, au Port Master ainsi qu’à son adjoint pour déplorer les conditions des remorqueurs. Le Tug Master avait aussi envoyé une lettre au sujet de l’état de la flotte. Mais ils n’ont même pas eu la décence de nous confirmer la réception des lettres », fait-il ressortir.

Le négociateur syndical Ibrahim Moussa, aussi employé au port, confirme que la Marine Authority compte aujourd’hui 225 anciens marins, dont les trois victimes de l’accident. Cela dit, ils ont une grande connaissance et beaucoup d’expérience en mer. « Le mardi 1er septembre, nous avons envoyé une lettre au directeur général de la MPA pour réclamer une enquête sur cet accident qui a coûté la vie à trois de nos collègues. Un autre collègue est toujours porté disparu en mer », dit-il.

Ibrahim Moussa avance que le poste de Port Master doit être aboli et il exige que le Chairman de la MPA, Ramalingum Chetty, soumette sa démission. Il allègue que les autorités feront bientôt l’acquisition d’un remorqueur de Dubaï et qu’un ingénieur marin indien sera employé pour remplacer le Port Master.

Un autre négociateur, Iyaroo Pillay, avance qu’un Support Vessel, le Standford Hawk, était au port du 26 au 29 août. Il y avait aussi le Boka Expedition qui est un remorqueur. « Pourquoi n’avoir pas envoyé l’un de ses deux bateaux pour ramener la barge au port ? » se demande-t-il.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -