Présence de requins dans nos lagons : « Faut-il un mort pour que les autorités réagissent ? » demandent les habitants de Grand-Gaube

« Au lieu de considérer les requins comme des envahisseurs dangereux, nous devrions nous attaquer aux causes et prendre des décisions responsables », dit l’océanographe Vassen Kauppaymootoo

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La semaine dernière, en quatre jours, de dimanche à mercredi, deux requins de presque 500 kg ont été pêchés dans le lagon de Grand-Gaube par le même pêcheur, âgé d’une vingtaine d’années. Depuis le début de 2018, dit-il, il en a pêché une quinzaine. Les pêcheurs de la localité abondent dans le même sens : il y a une présence de squales dans le lagon. Ce, alors que les ministres Koonjoo et Gayan affirment le contraire. “Kan gouvernema pou réagir. Eski enn dimoun bizin blessé ou soit mort, pou nou compran ?” demandent pêcheurs et habitants de Grand-Gaube, pointant du doigt la ferme aquacole installée dans le lagon qui, selon eux, attirerait les requins.

Depuis la capture de deux requins dans le lagon de Grand-Gaube, la polémique enfle sur ce phénomène qui perdure depuis plusieurs mois, non seulement dans le Nord de l’île, mais aussi dans le Sud, à Mahébourg. Avec une probable installation d’une ferme aquacole dans l’Ouest du pays pour l’élevage de quelque 40000 tonnes de poissons, dans un premier temps, et 100 000 à long terme, les inquiétudes fusent, d’aucuns estimant que ce sont les fermes aquacoles qui attirent les requins. Mais c’est un dialogue de sourds entamé avec les autorités concernées. Le ministre de l’Océanie, Prem Koonjoo, a trouvé à dire qu’en 75 ans d’existence, il n’a vu aucun requin s’attaquer aux gens à Maurice, et le ministre du Tourisme, Anil Gayan a, lui, après une visite d’une trentaine de minutes dans le lagon, affirmé n’avoir vu aucun requin.

“Be alor kot nou gagn sa bann requin-la ?” se demandent les pêcheurs de Grand-Gaube. “Nou pa ale lapeche requin, requin-là ki trap la bouette.” Ils disent que ce sont les fermes aquacoles qui attirent ces prédateurs qui, auparavant, avant l’installation des fermes aquacoles, étaient aperçus principalement près de la passe, vis-à-vis de ce que les pêcheurs connaissent comme la “Barrière”. Il y a toujours eu des requins à Grand-Gaube, mais en capturer est plus fréquent depuis deux ans, soutiennent les habitants de la région. Cette recrudescence de squales, si elle attire des curieux à chaque prise, inquiète les pêcheurs et les habitants de Grand-Gaube. “Eski enn dimoun bizin blessé ou soit mort, pou nou compran ?” demandent-ils, tout en rappelant que la réputation de Maurice est aussi en jeu. De même, disent-ils, outre l’aspect touristique et économique, c’est aussi la vie des pêcheurs qui est en danger, car ce sont eux principalement qui se retrouvent en mer : “Nou pa conner ki kapav arriver”, s’inquiètent-ils.

Des espèces de requins goûtent leurs proies avant de décider de les manger ou pas

Les requins bouledogues, tigres et blancs — plus rares — sont les trois espèces de requins qui représentent 80 % des attaques sur l’homme. La présence de deux premières espèces dans nos lagons suscite encore plus de frayeur. “Les espèces pêchées à Grand-Gaube, bouledogue et tigre, sont reconnues pour leur agressivité envers les humains. Ce sont, avec le grand requin blanc, le requin-marteau et le requin à pointe blanche océanique, les espèces généralement liées aux attaques”, dit l’océanographe et ingénieur en environnement, Vassen Kauppaymuthoo. La taille et les espèces retrouvées posent la question de la sécurité des baigneurs et des personnes pratiquant des sports nautiques, ajoute-t-il. “Une seule attaque de requin pourrait être fatale à notre industrie touristique”, fait-il remarquer, et ces espèces de requins “goûtent” leurs proies avant de décider de les manger ou pas. “C’est pour cela que nous retrouvons quelquefois des personnes, dans d’autres eaux, qui ont été mordues, mais pas dévorées par les requins”. 

Selon lui, les pêcheurs qui opèrent dans l’illégalité en utilisant des fusils sous-marins ou ceux qui traînent des poissons ensanglantés sont les premiers en danger. L’expert des milieux marins explique aussi que certaines attaques ont également eu lieu en eaux troubles, dans les baies et les estuaires de rivières lors des grosses pluies, principalement tôt le matin ou dans l’après-midi, après 16h. Il ajoute que certains scientifiques pensent que la forme de la planche des surfeurs ressemblent à la proie principale des requins-tigres : les tortues de mer.

D’autre part, la barbarie dont usent certains après la capture de requins donne la nausée à plus d’un. Les ailerons de requins sont très prisés et, face à la réputation de prédateur que traîne le requin, une capture représente une véritable prise. D’autres se demandent également si pêcher des requins est légale.

Rôle primordial pour l’écosystème marin

Vassen Kauppaymuthoo rappelle que les requins font partie de notre écosystème marin depuis plus de 360 millions d’années et qu’ils jouent un rôle primordial dans son l’équilibre, dans la régulation de la chaîne trophique, du nombre de prédateurs et de la chaîne alimentaire: “Même si cela paraît difficile à croire, sans la présence de requins, il y aurait un effondrement rapide des stocks de poissons à cause de la multiplication des prédateurs situés plus bas dans la chaîne alimentaire, et les conséquences seraient désastreuses sur la sécurité alimentaire mondiale.” Malgré cela, plus de 100 millions de requins sont pêchés à travers le monde chaque annéeprincipalement pour leurs ailerons qui sont exportés en Asie, sans quota, avec des modes de pêche cruels (les nageoires du requin sont coupées, et toujours vivant, il est rejeté à la mer, voué à la mort). Il en a ainsi résulté une chute et un déplacement des populations de requins à travers les océans.

Les bateaux industriels qui pêchent des requins, l’installation de fermes aquacoles qui agissent comme des dispositifs de concentration de poissons (radeaux), et le fait également que certains pêcheurs vident les poissons de leurs viscères dans la mer, c’est ce qui attire aussi les requins vers les côtes, dans les passes et dans les lagons, explique Vassen Kauppaymuthoo. D’où son appel “pour agir de façon responsable afin d’éviter les catastrophes, puis de ne pas diaboliser les requins ou de s’asseoir sur leurs dépouilles en les traitant comme des trophées”. L’océanographe ajoute que le comportement de ces animaux a changé. Ainsi, avec la “Crise Requins” à La Réunion, à moins de 200 km de nos côtes, on a commencé à se poser des questions sur les raisons pour lesquelles tant de personnes ont perdu la vie dans des conditions effroyables à l’île sœur, entraînant un effondrement du secteur touristique et d’activités nautiques, comme le surf, et même la baignade! La situation à Grand-Gaube serait-elle le présage d’une crise analogue à Maurice ? s’interroge-t-il.

La présence de requins à Grand-Gaube est inquiétante, non seulement à cause de la fréquence d’observations, mais aussi de la taille et des espèces. Qu’est-ce qui les attire ? Les requins sont des animaux qui utilisent beaucoup d’énergie pour se nourrir, et le fait de les retrouver dans le lagon de Grand-Gaube implique qu’il y a dans la passe et le lagon des stimuli qui leur indiquent la présence de nourriture, avance l’océanographe. Selon lui, cette situation pourrait être liée à la présence des fermes aquacoles à Grand-Gaube, car il est reconnu que ce type d’installations, qui contiennent beaucoup de poissons, attirent les prédateurs et, plus particulièrement, les requins-bouledogues, et c’est aussi le cas pour d’autres fermes. Il estime que la multiplication de ce genre d’installations risque d’attirer ce type de requin vers nos côtes et même dans les lagons, à travers les passes, et cela pourrait entraîner un risque requins et peut-être même une crise requins majeure à Maurice, avec des effets dévastateurs sur le secteur touristique, sans compter l’effet social catastrophique sur la population et la sécurité de nos concitoyens.

Pour l’expert en milieu marin, ces pêches de requins-bouledogues et requins-tigres représentent un signe annonciateur des impacts de nos activités délétères et du mal que nous faisons à nos lagons et nos océans: “Au lieu de considérer les requins comme des envahisseurs dangereux, nous devrions nous attaquer aux causes et prendre des décisions responsables, comme punir la pêche illégale au fusil sous-marin, enlever toutes les cages aquacoles dans les lagons et les passes, prévoir des endroits où les pêcheurs peuvent vider leurs poissons sans rejeter les viscères dans la mer, mais aussi prendre de vraies mesures par rapport à la pêche industrielle qui vide nos océans et affame les requins, les forçant à s’approcher des côtes.”

Devrons-nous attendre un drame humain avant de réagir et de prendre une décision nationale pour bannir l’aquaculture à Maurice ou essaierons-nous de dévier l’attention et de diaboliser les requins qui ont été présents dans nos océans et qui jouent un rôle primordial depuis des millions d’années ? La réponse est claire, dit-il, il nous faut agir et faire des choix aujourd’hui pour protéger notre avenir!


Le ministère de l’Océanie persiste et signe

“Aucun lien entre les exploitations aquacoles et la présence de requins dans notre lagon”

Au ministère de l’Océanographie, on insiste qu’il n’y a pas de lien entre les exploitations piscicoles et la présence de requins dans notre lagon. Le ministère s’appuie sur le fait que depuis près de deux mois, soit depuis la deuxième récolte dans les fermes aquacoles, il n’y a plus de poisson dans les deux cages flottantes de Grand-Gaube. “Les deux cages étaient vides lorsque les deux requins ont été capturés dans la région de Grand-Gaube”, la semaine dernière, insiste-t-on.

Une enquête menée par le Service de la protection de la pêche indique que des appâts vivants ont été trouvés près de ces cages flottantes dans le lagon de Grand-Gaube. Pour le ministère, le recours à cette pratique par les pêcheurs vise à attirer les requins, “il y en a peut-être qui attirent intentionnellement des requins pendant leurs prises”.

Une équipe technique du ministère de l’Océanographie a mené diverses enquêtes et d’exercices de surveillance sur les différents sites. “Ces enquêtes n’ont révélé aucune présence de requins à proximité des cages flottantes installées pour les activités aquacoles”, déclare le ministère, ajoutant que les informations recueillies auprès de La Ferme Marine de Mahébourg confirment également qu’à ce jour, aucune attaque de requin n’a été signalée sur leurs cages flottantes situées dans le canal du Vieux-Grand-Port. Pour expliquer ce qui s’est passé en mai dernier à Mahébourg, les autorités disent détenir un rapport de la société aquacole de la région qui fait état que le 25 mai le filet d’une des cages flottantes situées à Pointe-aux-Feuilles avait été coupé en trois endroits distincts entraînant la fuite de poissons, “ce qui indique clairement une intervention humaine, plutôt que d’attaques de prédateurs marins”. L’affaire a été signalée à la police.

Les autorités sont aussi en présence d’un autre rapport du Board of Investment relatif à l’impact potentiel du développement de l’aquaculture et de leurs influences sur les requins à Maurice. L’étude, menée par le Dr Jeremy Kiszka, chercheur à l’Université internationale de Floride, aurait notamment conclu qu’il n’existe aucune preuve dans le monde que les activités de pisciculture soient liées aux attaques de requins. Ce rapport avance également que l’aquaculture n’a pas d’impact sur la prolifération des requins et, en tant que tel, le développement futur dans ce secteur ne devrait pas être différé.

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