Profession légale : Onde de choc ou lame de fond !

Depuis jeudi matin, avec la confirmation de l’arrestation par l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) de l’ancien magistrat et Senior Member-at-the-Bar Me Rex Stephen, une onde de choc ébranle la profession légale, avec ses quelques 800 membres faisant partie de l’Ordre des Avocats. D’autres n’hésitent pas à évoquer une lame de fond balayant le Barreau, dans la mesure où cette inculpation provisoire pour infraction aux dispositions de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) et connexion alléguée avec les parrains de la drogue, ne constitue nullement un acte isolé d’un quelconque règlement de comptes.

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D’autres avocats, et non des moindres, dont Me Raouf Gulbul, le Legal Adviser du Premier ministre et leader du MSM, Pravind Jugnauth, dans l’appel MedPoint au Judicial Committee of the Privy Council, se réveillent chaque matin avec la hantise d’une convocation formelle pour interrogatoire under warning soit au QG de l’ICAC soit dans les locaux du Central CID. Dans le cas de Me Gulbul, le compte à rebours a déjà été enclenché au Central CID avec l’examen des itemised billings des principaux protagonistes pour le rendez-vous de St-Jean du 11 juillet 2017, tout comme ce fut le cas dans le dossier de Me Stephen avec l’appel téléphonique du 24 avril 2017 permettant à l’ICAC d’établir de manière irréfutable le missing link avec le parrain des parrains de la mafia de la drogue, Veeren Peroumal. En parallèle, face à cette conjoncture des plus compromettantes, la Mauritius Bar Association mise sur The 3 I’s Initiative et la conférence du 21 au 23 novembre pour redorer le blason de la profession, surtout en termes d’intégrité ou tout au moins de s’offrir une bouée de sauvetage.

Du 26 avril 2017, marquant le début de l’enquête des Rs 1,5 M du trafiquant Veeren Peroumal à Me Stephen par une filière bien établie et au-dessus de tout soupçon, au 25 octobre 2018, jour de l’arrestation et de l’inculpation provisoire de ce Senior Magistrate engagé dans l’un des plus importants procès de droits constitutionnels en Cour suprême, un réseau de cartes SIM enregistrées au nom de travailleurs étrangers venus du Bangladesh et opérant dans  la région de La Tour Kœnig, Pointe-aux-Sables, a pesé de tout son poids avant d’être démantelé. Mais les informations récupérées avec l’arrestation en février dernier du cerveau de la cellule de communication du réseau Peroumal-Kistnah, un dénommé Laval Pitchee, aussi connu sous le nom de Duke, se sont avérées des plus cruciales pour connecter Me Stephen au trafiquant se promenant en prison avec une chaîne en or valant plus de Rs 1 million.

Avant la dernière semaine du mois de février de cette année, l’ICAC avait un casse-tête chinois à résoudre dans l’enquête sur les Rs 1,5 M, dont Rs 748500 saisies dans une armoire au bureau personnel de Me Stephen lors de la descente des lieux du vendredi 5 mai 2017. Compte tenu de cette high profile probe, Il fallait à tout prix établir l’axe Stephen-Peroumal beyond reasonable doubt. À ce stade, la principale difficulté se résumait au fait que le Chief Clerk d’Astor Law ProfessionalChambers, Nawaaz Aboobakar Ibrahim, celui qui avait répondu à l’appel téléphonique avant de réceptionner l’enveloppe contenant le pactole, était réticent à coopérer avec les enquêteurs de la commission anticorruption.

Toutefois, l’arrestation de Laval Pitchee, l’homme aux 2 000 cartes SIM, devait remettre les pendules à l’heure et relancer l’enquête de l’ICAC sur des bases encore plus solides que le simple exhibit des Rs 748 500. Cette question de cartes SIM enregistrées au nom de ressortissants étrangers intriguait déjà la commission d’enquête Lam Shang Leen. Mais des tangible pieces of evidence manquaient à l’appel. Se prévalant des Judge’s Orders, l’ICAC allait décrypter quelque 5 000 appels à partir de ces cartes pour confirmer l’appel du 24 avril 2017 en vue de la remise de l’enveloppe de Rs 1,5 M de Veeren Peroumal à Me Stephen au sujet de future legal cases.

Mais pour assurer les liens de l’intérieur de la prison avec les trafiquants purgeant leurs peines et leurs complices à l’extérieur, les services d’un Prison Officer constituent une condition sine qua non. À ce titre, le Prison Officer Pedro Duval, qui avait été entendu par la commission Lam Shang Leen, a été appréhendé par l’ICAC vers la fin de mars dernier. Opérant sous le nom de code Sanjay, ce Prison Officer a été démasqué comme l’interlocuteur de l’appel téléphonique du 24 avril au nom de Veeren Peroumal pour informer le Chief Clerk de Me Rex Stephen qu’une envoyée spéciale de Veeren Peroumal allait se présenter pour remettre cette somme de Rs 1,5 M à l’étude de l’homme de loi.

« Nobody is above the law »

Dans le cadre de cette enquête, avec une première inculpation logée jeudi devant la magistrate Meenakshi Bhogun, siégeant au tribunal de Port-Louis, sous la section 3 (1) de FIAMLA contre Rex Stephen, trois autres complices de Veeren Peroumal peuvent se voir inculper par l’ICAC à tout moment. Il y a encore le sort du Chief Clerk qui doit être décidé, de même que celui des autres avocats d’Astor Law Professionals, dont Me Bernard Marie, qui ont bénéficié de paiement d’honoraires de cette somme en marge des charges formelles.

Le rapport de la commission d’enquête Lam Shang Leen est très sévère à l’égard de Me Rex Stephen à ce chapitre. Difficile à dire si la requête pour une Judicial Review en Cour suprême, soumise par cet ancien magistrat, est devenue caduque avec la remise en liberté sous caution de Rs 25 000 et une reconnaissance de dettes de Rs 75000. Outre ce développement avec la justice, Me Stephen devra affronter la Mauritius Revenue Authority sur la place du redressement fiscal. « Bearing in mind that the notorious drug trafficker said that he paid counsel with drug money, Mr Stephen ought to have been on his guard and to ascertain as to the source of fund, the more so he should be aware that there is bound to be a restraint order on all assets of drug trafficker. In accepting such huge amount and most certainly of tainted origin, it was his duty to report the matter which he said he should have done at the time of his arrest by ICAC », lit-on à la page 230 du rapport Rotin Bazar sous forme de preliminary indictment.

La conjugaison de ces derniers commentaires du rapport de la commission d’enquête et de la décision de l’ICAC d’inculper Me Stephen pousse des membres du Barreau à revoir tout le système professionnel en vigueur. « Nous pensons qu’à la lumière de ce que vient de subir Me Stephen, nous avons besoin de revoir les pratiques adoptées. Il sera plus prudent d’avoir recours à des written instructions dans des cas de nature pénale quant aux instructions du client, aussi bien que le montant agréé pour les legal fees. Avec un tel document signé par le client, comme c’est la pratique en Grande-Bretagne, nous devrons être à l’abri de surprises. Il y a urgence en ce sens », faisait-on comprendre dans les milieux de la profession en ce last Friday of the month avec les magistratures ne procédant pas à la tenue des procès.

« Pour ne rien cacher, cette arrestation et cette inculpation d’un Senior Member-at-the Bar après 18 mois have shaken the system, même si ce n’est pas la première fois qu’un membre du Barreau fait face à une charge provisoire. Mais dans ce cas précis, le fond du débat est différent, prouvant que nobody is above the law. À cela est venu se greffer un fear factor across the board », poursuit-on dans les milieux professionnels, redoutant les conclusions des enquêtes initiées au niveau de la Task Force sous la présidence du directeur général de l’ICAC, Navin Beekarry, sur recommandation de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen.

Dans cette perspective, la prochaine décision du Central CID dans l’enquête sur le volet de Devir Lanket avec Me Raouf Gulbul en point de mire est suivie avec une appréhension redoublée dans les milieux de la profession légale en raison de son potentiel de dommages collatéraux pour l’écologie du judiciaire. L’enquête supervisée par l’ACP Mannaram du Central CID a atteint un stade avancé. Le retour à Maurice ce week-end de l’ancien magistrat Me Mahmad Baccus devra permettre de boucler le chapitre de ceux présents au rendez-vous du big black bag de Rs 10 millions de St-Pierre pendant la campagne pour les élections législatives du 10 décembre 2014. Le maulana concerné affirme n’avoir rien d’autre à ajouter.

« Put our house in order »

Si toute la question de blanchiment de fonds avec l’argent de la drogue finançant la campagne électorale relève de l’autorité de l’ICAC, le Central CID se penche sur d’éventuels délits sous le Code Pénal, dont ceux s’apparentant à un « conspiracy to pervert the course of justice. » Aux Casernes centrales, le rendez-vous du 11 juillet 2017, “arrangé” par l’ex-Chairman de la Gambling Regulatory Authority, avec deux témoins assignés devant la commission Lam Shang Leen, en l’occurrence Mes Ashley Hurhangee et Samad Goolamally, représente une pièce maîtresse dans le dossier d’accusation, avec les numéros de téléphone cellulaire tissant les liens.

Jusqu’ici, Me Gulbul a nié une telle rencontre, de même que les accusations de complot pour induire la commission en erreur. L’examen a voluntario des itemised billings des principaux protagonistes à cette « rencontre secrète » devra mettre les points sur les “i” de manière rapide sur les événements du 11 juillet 2017 à St-Jean. Néanmoins, un détail précis entourant ces appels pourrait ajouter aux déboires du clan Gulbul et cela bien avant que le dossier ne soit soumis à l’Office of the Director of Public Prosecutions for necessary advice dans le cas de l’ancien Chairman de la Law Reform Commission, Raouf Gulbul, avec des risques de « bringing the legal profession into disrepute. »

Entre-temps, les dirigeants de la Mauritius Bar Association, réfusant de s’ingérer dans les enquêtes au criminel en cours avec des membres du Barreau en tant que suspects, mettent l’accent sur la préparation de la conférence sur The 3 I’s Initiative Intergrity, Independebce, Innovation. « Cette conférence devra se présenter comme un soul-searching exercise pour la profession, comprenant pas moins de 800 professionnels, avec la grande majorité se rangeant dans le camp des law-abiding citizens. Ce n’est pas en raison de la présence de quelques brebis galeuses engagées dans des pratiques répréhensibles that we should let the legal profession go to the dogs », s’indignent des avocats ne se présentant nullement comme des sages du Barreau, mais visiblement pris au dépourvu par la tournure des événements et réclamant un sursaut de la part de la Mauritius Bar Association.

Les attributions de The 3 I’s Initiative en vue de la conférence de la fin de ce mois pourraient faire de la place à un rethinking sur le plan éthique. D’ailleurs, dans la documentation de présentation, la Mauritius Bar Association note avec force que « the Code of Ethics for barristers refers to obligations owed to the public for whom the existence of a free and independent profession bound together by respect for rules is an essential means of safeguarding human rights and other interests in society. » Plus loin, les organisateurs de la conférence ajoutent que « if this assumption is true, il will not remain so unless we put our house in order. Everyone stands to gain if the legal profession is able to earn back its attribute of noble and lead by example. Help us get it right. »

D’un point de vue général, cet appel de la Mauritius Bar Association devrait être entendu, même si des doutes peuvent prévaloir quant à la capacité des clans dynastiques au sein de la profession de se surpasser pour se serrer les coudes, même si le mois de novembre pourrait également être synonyme de turbulences vu la pression exercée par les conclusions des enquêtes de la Task Force sur la drogue.

 

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