Quand les prix donnent le tournis…

En cause: une nette dépréciation de la roupie; la hausse conséquente des coûts du fret et les augmentations des prix des carburants, du sucre et du maïs

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Suttyadeo Tengur (APEC) : « Il faut réviser la liste des produits qui détermine le taux d’inflation »

Reeaz Chuttoo : « Que l’État subventionne les denrées de base jusqu’ici exclues de toute subvention »

Le niveau des prix des denrées alimentaires et des médicaments, notamment, donne de plus en plus des étourdissements aux consommateurs qui se rendent dans les commerces pour s’approvisionner. En cause, la nette dépréciation de la roupie par rapport aux devises d’importation ; une hausse substantielle des coûts de fret et des augmentations des prix des intrants de production comme ceux des carburants, du sucre et du maïs. 

L’évolution comparative de quelques prix de produits alimentaires d’utilité courante dans des foyers à bas revenus avant le premier confinement et aujourd’hui a de quoi donner le tournis. Une boîte de pilchards en conserve qui passe de Rs 70.00 à Rs 98.00 ; une bouteille d’huile de cuisson auparavant affichée à Rs 47.00 désormais vendue à Rs 75.00 ; une boîte de beurre avant à Rs 55.00 désormais vendue à  Rs 85.00.

On pourrait, comme ça, étendre à l’infini les prix à la hausse de plein d’autres produits alimentaires. Du kilo de viande de bœuf frigorifié qui passe de Rs 270.00 à Rs 345.00 ; de la bouteille de jus concentré qui sort de Rs 142 à Rs 222 ; de la boîte de sardines autrefois à Rs 15.00 dorénavant vendue à Rs 23.00 ; du paquet de fromage vendu avant à Rs 60.00 et désormais affiché à Rs 82.00 ou encore le poisson frigorifié précédemment vendu à Rs 180.00 le kilo et aujourd’hui à Rs 300.00.

Et pourtant, selon les statistiques officielles, l’inflation tourne encore, ces jours-ci, autour des 2,2%. Suttyadeo Tengur, de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs (APEC), se refuse quand même de parler de « manipulation du chiffre’’ de cet indicateur économique par des fonctionnaires de Statistics Mauritius.

Il estime, en revanche, que le mal vient du choix des produits qui font partie du panier indicatif servant à déterminer l’indice des prix à la consommation (Consumer Price Index (CPI)). Selon le responsable de cette association de défense des consommateurs, même si ce panier indicatif des tendances de consommation a été, une nouvelle fois, remis à jour il n’y a pas si longtemps, les produits de consommation qui seraient retenus ne reflèteraient pas réellement les habitudes modernes de consommation du Mauricien moyen.

Suttyadeo Tengur cite en exemple le fait qu’aujourd’hui, les jeunes mères ont abandonné l’utilisation de langes pour emmailloter leurs bébés pour des couches bien plus hygiéniques. Reeaz Chuttoo, de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), qui assure une veille de l’évolution des prix des produits de consommation depuis plusieurs années, souligne à ce propos que le coût d’un paquet de couches pour bébés a connu, ces temps derniers, une hausse de Rs 150.00 à Rs 200.00.

Dès le premier confinement de l’année dernière, donc, et encore plus depuis ces derniers temps, plusieurs facteurs ont, en contribué à faire monter en flèche les prix des produits de consommation. D’abord, selon les spécialistes, les mesures de confinement dans nos marchés d’approvisionnement avec la pandémie de la Covid-19 ont influé négativement sur les opérations de logistique pour le convoiement des marchandises.

C’est ainsi qu’entre la période du pré-confinement à aujourd’hui, le coût du fret maritime a connu une hausse conséquente, les prix d’affrètement des porte-conteneurs ayant connu des augmentations substantielles. Mais cette hausse a été encore plus substantielle pour le fret aérien dans la mesure où, avec la fermeture des frontières, la nette diminution des vols passagers n’a pas aidé à subventionner, comme c’est normalement le cas, le transport des marchandises par avions.

Roupie : « -25% face au dollar et -20% vis-à-vis de l’euro »

Il y a, ensuite, la dépréciation graduelle de la roupie par rapport aux devises étrangères avec lesquelles nous négocions toutes nos importations. À titre indicatif, en une poignée années, la roupie mauricienne a perdu au moins 25% de sa valeur par rapport au dollar américain et plus de 20% vis-à-vis de l’euro.

La hausse de Rs 2.00 par litre de carburants à la pompe décidée lors de la présentation du récent budget 2021/2022, après une précédente hausse de ces produits stratégiques en avril, aura vite fait d’occasionner des hausses en cascade. Déjà, des opérateurs d’autobus font entendre leurs récriminations de même que les propriétaires de taxis. Sans parler des School Buses et des industries utilisatrices de l’huile lourde comme source d’énergie.

La taxe sur le taux du sucre dans des produits alimentaires comme les sucreries et les boissons gazeuses n’a pas manqué, non plus, d’avoir une incidence sur le porte-feuille des consommateurs. Tout comme la hausse de cet autre produit stratégique qu’est l’huile de friture.

Pourtant, fait remarquer M. Tengur, il fut un temps où, avec la libéralisation de l’importation de l’huile comestible, l’on parvenait à importer à un tarif « zero rated » ce produit de pays du COMESA (Marché commun de l’Afirque de l’Est et australe), bloc économique régional auquel appartient Maurice. Ce qui, dit-il, favorisait une saine compétition au bénéfice du consommateur. Jusqu’à ce que…

Face à cette forte perte du pouvoir d’achat du consommateur, l’animateur de l’APEC estime nécessaire que le gouvernement se prépare, dès à présent, en vue de légiférer pour une compensation salariale adéquate aux salariés et aux bénéficiaires des prestations sociales.

Suttyadeo Tengur estime, de plus, que pour favoriser plus de compétition au bénéfice ultime du consommateur, la State Trading Corporation (STC) devrait être encouragée à importer et à distribuer, au moins, d’autres produits essentiels. Des médicaments, par exemple comme il importe, déjà, outre le riz dit ‘’de ration’’, du riz basmati.

‘’La STC comme agent régulateur des prix’’

Reeaz Chuttoo précise, lui aussi, que des produits comme les couches pour bébés ou les compléments alimentaires pour diabétiques sont autant de produits susceptibles d’être importés par la STC. Sans, pour autant, que cette corporation n’obtienne l’importaion exclusive de ces produits.

Le syndicaliste pense, en revanche, qu’en la présente situation de crise économique, il faudrait se montrer prudent en matière de demande de compensation salariale importante. La raison ? Le risque que cela ne serve de prétexte à des licenciements pour difficultés économiques.

Toujours est-il que l’animateur de l’APEC s’insurge contre la hausse, selon lui, conséquente des prix des médicaments dans le privé. Des augmentations qui, dit-il, atteignent les 50% dans certains cas. « Le fameux maximum mark-up sur les prix des médicaments, c’est de la fumisterie », fulmine-t-il.

Aussi, M. Tengur demande-t-il un contrôle des prix de ces produits. À tout le moins, sur ceux des médicaments essentiels pour le traitement de maladies courantes comme le diabète, l’hypertension, les maladies cardiaques ou le cancer.

Pour sinon arrêter, du moins atténuer les hausses des prix de manière générale, le responsable de la CTSP demande, lui, que l’État subventionne un certain nombre de denrées de base jusqu’ici non subventionnées. Il réclame aussi un renforcement de la loi sanctionnant les publicités mensongères qui, déclare Reeaz Chuttoo, sont autant d’attrape-nigauds.

Il souhaite, en sus, que l’Agricultural Marketing Board (AMB) ouvre davantage de comptoirs de vente à travers l’île afin qu’un maximum de consommateurs puissent acheter ses produits vendus à des prix bien plus compétitifs. Il s’étonne, dans ce contexte, de l’absence d’un tel comptoir au marché de Rose-Hill, par exemple.

TVA

« Pourquoi, donc, un ‘Flat Rate’ de 15% ? »

Tengur pour une ‘’humanisation’’ du mode d’application de cette taxe sur la consommation

Il y a depuis toujours chez nous à Maurice des absurdités dans le mode d’application de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), que l’on peine à comprendre. Pourquoi, par exemple, le thé et l’huile de cuisson sont exemptés d’imposition, alors qu’une TVA de 15% est imposée sur le café et le vinaigre ?

Pourquoi aussi à Maurice la TVA est à un taux uniforme d’imposition de 15% qu’importe si le produit concerné est bas de gamme, moyenne gamme ou haute gamme ?

Pourquoi, encore, alors que le prix de la farine est subventionnée et que la TVA n’est pas imposée sur ce produit de base, une TVA de 15% frappe les nouilles chinoises (mines) en sachets ?

Encore plus quand on sait que le prix du pain – produit ‘VAT exempted’ – est contrôlé ?  Pourquoi, de même, le poisson frigorifié entier est exempté de TVA alors qu’il est imposé quand il est écaillé, tranché et vendu en barquettes ?

« Voilà autant de questions qui auraient dû, logiquement, être soulevées au sein de cet éléphant blanc qu’est le Price Advisory Council ! », s’insurge le dirigeant de l’APEC. Suttyadeo Tengur rappelle que, contrairement à Maurice, à travers le monde, le mode d’application de la TVA a connu des changements en profondeur.

« Il faut humaniser l’application de cette taxe sur la consommation. En finir, par exemple, avec l’imposition d’une flat rate de 15% et proposer, à la place, un taux d’imposition progressif en taxant davantage les produits surtout consommés par les riches et taxer à un plus faible taux les produits surtout consommés par les économiquement faibles et la classe moyenne », estime le représentant de l’association de consommateurs.

Le syndicaliste Reeaz Chuttoo souscrit totalement à cette idée d’une TVA à taux progressif. « Plutôt que d’augmenter la TVA, différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont préféré laisser les prix prendre l’ascenseur. Ainsi, plus les prix sont à la hausse, plus la TVA au taux unique de 15% qui frappe, tout à la fois, les riches comme les pauvres et les salariés comme les sans-emplois rapporte davantage au Trésor public’’, fait-il ressortir.

Le dirigeant de la CTSP réclame, en sus, que les services de télécommunication – téléphone et Internet – soient exemptés de la TVA. Le syndicaliste fait remarquer, à ce propos, que d’autres services publics tels l’électricité et l’eau potable ne sont pas frappés de la TVA. « Cette demande, dit Reeaz Chuttoo, est d’autant plus justifiée que, chaque année, Mauritius Telecom (MT) engrange des profits par milliards »’.

Mercuriale des légumes

Des prix plus acceptables, mais encore …

Eric Mangar, agronome : La sécurité alimentaire plus que jamais à l’ordre du jour’’

Les prix des légumes reviennent à des niveaux bien plus acceptables après les hausses vertigineuses suivant, surtout, les pluies torrentielles d’avril qui avaient provoqué des dégâts importants dans les plantations. Néanmoins, en ces jours d’hiver austral bien plus favorables aux cultures maraîchères, les prix sont généralement un peu plus abordables quand même.

Hier matin, au populaire bazar de Buckingham en banlieue rosehillienne où les prix sont très concurrentiels, la pomme d’amour se négociait à Rs 50.00 le demi-kilo ; le lalo à Rs 30.00 ; la margoze à Rs 40.00 ; le giraumon à Rs 30.00 également ; le poivron dit local à Rs 15.00 ; la tête de laitue à Rs 30.00 / Rs 35.00 ; le brède chou-chou à Rs 20.00 / Rs 25.00 ; le chou-fleur à Rs 35.00 / Rs 40.00 et la carotte locale entre Rs 30.00 et Rs 40.00.

« Comparé à la période suivant les dernières inondations, les prix ont bien baissé mais à cette période de l’année, les légumes se vendent normalement à des prix encore plus bas », laisse entendre Eric Mangar, responsable du Mouvement Pour l’Autosuffisance Alimentaire (MAA).

Selon cet agronome, il n’y a que les bringelles – ces jours-ci attaqués par une larve – ainsi que le concombre – victime de la mouche des fruits – qui sont plus rares sur le marché et vendus à des prix plus élevés. À Buckingham, le concombre était à Rs 45.00 / Rs 50.00 l’unité. Alors que, selon Eric Mangar, quand on les trouve, les bringelles sont affichées à Rs 60.00 / Rs 65.00 le de mi-kilo.

Selon l’animateur de la MAA, une des raisons pour laquelle les prix des légumes n’ont pas encore baissé davantage est la cherté des intrants – semences, fertilisants et pesticides. Conséquence, sans doute, là encore, de la dépréciation de la roupie et de la hausse du fret maritime.

À propos des frais d’affrètement en nette hausse, Eric Mangar évoque le cas particulier du maïs, produit stratégique qui rentre dans la production de nourriture pour animaux de basse-cours comme le poulet. C’est, en effet, d’aussi loin que de l’Argentine que nous vient notre ravitaillement en maïs.

Et on s’imagine alors aisément les conséquences sur les prix du poulet de table et des œufs. « Le prix en gros d’un sachet de 25 kg de la nourriture pour poulet qui était de Rs 393.00 est passé à Rs 450.00’’, dit l’agronome. D’où l’importance plus que jamais, selon lui, de trouver des marchés plus rapprochés d’approvisionnement en maïs. Madagascar ou l’Afrique du Sud, par exemple, suggère-t-il.

Pour l’animateur de la MAA, la pandémie de Covid-19 et ses conséquences socio-économiques sont venues, plus que jamais, mettre en exergue l’urgence pour le pays et ceux de la région, de manière plus générale, d’assurer leur propre sécurité alimentaire. « Que l’on se défait, une fois pour toutes, des lourdeurs bureaucratiques et que l’on se mette au travail », plaide-t-il.

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