Squatters – Mélanie Vigier de Latour Bérenger (psychosociologue) : « Enfants comme adultes se sentent… invisibles ! »

Mariam Gopaul (consultante et pédagogue) : « C'est bafouer la Convention des droits des Enfants que de les faire dormir dehors ! »

Bientôt 90 jours que 95 enfants vivent dans des conditions plus que précaires à Pointe-aux-Sables, Riambel et Malherbes ! Ce sont des enfants de squatters qui, pour certains, ont vu leurs maisons être bulldozées sous leurs yeux. Des enfants et des ados contraints de dormir dans des cases de fortune, à la belle étoile, sans toilettes et salles de bains, et par le grand froid et les pluies… Des traumatismes certains, estiment Mélanie Vigier de Latour Bérenger, psychosociologue, et Mariam Gopaul, consultante et pédagogue, et qui ont définitivement des répercussions sur à la fois leur santé physique, mentale et psychique que le comportement.

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Vendredi dernier, 14 août, la Platform Sitwayen Drwa a enn lakaz organisait une nuit de solidarité à Pointe-aux-Sables, sur le terrain occupé par des squatters dont les cases en tôle ont été rasées par des bulldozers, en mai dernier. À Pointe-aux-Sables, comme à Riambel et à Malherbes, dans ces groupes de personnes contraintes à vivre dans ces conditions précaires, il y a des enfants. Plus précisément : 29 à Pointe-aux-Sables, 60 à Riambel et 6 à Malherbes. Cela implique 16 mineurs à Pointe-aux-Sables, et 13 au Foyer Fiat ; 54 qui sont scolarisés et 6 bébés, à Riambel, et 6 enfants à Malherbes. A partir de partages, de dialogues et de collecte d’informations avec les squatters et les enfants qui sont amenés à vivre dans ces situations précaires, actuellement, explique la psychosociologue Mélanie Vigier de Latour Bérenger, membre du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM) et du Kolektif Drwa Imin (KDI) : « l’une des retombées de cet exercice réalisé par la société civile, c’est que tous ces êtres humains se sentent invisibles, isolés et exclus aux yeux de la société. Et de cet état de délogement et d’exclusion, beaucoup de complications, de difficultés et de souffrances émergent. »

Ces enfants vont inévitablement grandir avec des séquelles des traumatismes vécus

Qui plus est, ajoute-t-elle, « les conditions dans lesquelles la destruction des maisons s’est effectuée occasionnent la peur et le questionnement dans la confiance possible dans les autorités. Car plusieurs partagent le manque de respect et considération avec lesquels on s’est adressé à eux lors de la destruction des maisons. »
Toute période de transition, « liée au développement de l’individu sur les plans biologique, psychologique et socioculturel, continue la psychosociologue, ainsi qu’aux changements de l’environnement physique et social, constitue une période critique dans la vie de toute personne. Et l’étayage social au moment du changement, l’étape du cycle de vie (enfants en bas âge ou personnes âgées), la vulnérabilité accrue due à la mobilité imposée, sont des facteurs importants à considérer, je cite ici des études et recherches menées, dans les situations de mobilité et ont un impact sur le sentiment de bien-être et les incidents de santé.  Cette situation de délogement est donc déjà fragilisante.»

Symptômes post-traumatiques

« Cette destruction, ou la menace latente, puisqu’ils vivent dans cette hantise, élabore la psychosociologue Mélanie Vigier de Latour Bérenger, rajoute un stress supplémentaire sur les enfants et leurs familles. Ce qui peut amplifier les facteurs liés au stress, notamment après une situation de pandémie, causant, déjà son lot d’anxiétés et de pressions : isolement social, exposition à la menace, impuissance acquise (une situation problématique qui se répète et il ne semble pas y avoir de solution). Le cerveau, dans ce cas, pourrait renoncer à se défendre et aller vers une « réaction » dépressive. » Pire encore, continue notre interlocutrice, « certains enfants développent des symptômes post-traumatiques, associés aux événements soudains. Ils éprouvent, ainsi, entre autres, des difficultés de concentration, la perte d’intérêt pour les activités et sont sujets à des souvenirs intrusifs. Tous ces symptômes sont susceptibles, bien évidemment, d’affecter leur scolarité. » Il peut y avoir une multitude de signes chez les enfants ayant vécu cette expérience traumatisante, auxquelles il faut être très attentif.» Elle cite, à cet effet, «le sentiment de revivre l’événement et la détresse ressentie; la réactivité physiologique, comme développer des eczémas, l’évitement de ce qui rappelle l’événement douloureux; l’irritabilité; des réactions de sursaut exagérées, dès qu’ils entendent un gyrophare, par exemple…»
Et quid de leur hygiène, au quotidien ?, s’interroge Mariam Gopaul. La consultante et pédagogue de se demander par ailleurs : « Qu’en est-il de l’hygiène corporelle pour ces enfants et ces ados ? Qu’advient-il des jeunes filles qui ont leurs règles ? Comment font-elles pour rester propres car il va sans dire que de tels espaces ne disposent pas de toilettes et de salles de bains décentes !» Les séquelles qu’ont ces événements sur la vie de ces enfants et adultes impactent forcément sur l’avenir de ceux-ci, insistent nos interlocutrices.
M. Gopaul fait remarquer que « il est clair que tous, des plus petits aux ados, vont porter des séquelles de cet épisode traumatisant ! Cela va se traduire dans leurs rapports avec leurs études, mais aussi avec leur entourage immédiat : parents, adultes, autorités… Et cela ne va pas aller en s’améliorant : personne ne va guérir par miracle et en sortir indemne. Il faut, bien évidemment, un encadrement, un suivi et un accompagnement pour veiller à ce que les dommages et dégâts moraux et mentaux soient pris en compte. C’est le rôle de l’État de veiller à cela.»

Hantise permanente de séparation

Mélanie Vigier de Latour Bérenger souligne que «l’enfant se rapporte à son environnement immédiat, dont sa maison, de manière affective. Il développe un sentiment d’appartenance avec l’endroit où il vit et évolue et ce, que ce soit une case en tôle, une ‘camping tent’ ou une maison à étage ! » De fait, avec la menace constante d’expulsion au-dessus de leurs têtes, « ces jeunes, estime la psychosociologue, développent la hantise permanente d’être séparés de leurs parents. » Idem pour les adultes, continue notre interlocutrice : « C’est le cas de plusieurs parents qui sont très soucieux de la santé de leurs enfants, qu’ils soient protégés au maximum. Ils ont, pour cela, dû mettre leurs enfants dans des familles qui pouvaient les accueillir. Ce qui est une expérience très dure autant pour les enfants que leurs parents. »
La membre du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM) et du Kolektif Drwa Imin (KDI) renchérit : « Avoir une maison/terrain pour l’avenir de leurs enfants est très important. Beaucoup de parents l’ont communiqué, lors du forum du 28 juin Drwa a enn lakaz : platform sitwayenn, d’ailleurs. Il faut arrêter de stigmatiser les gens et de leur coller des étiquettes. Nombre de ces personnes en situation de délogement sont en souffrance, soucieuses de leurs responsabilités face à leurs familles, et font du mieux qu’ils peuvent. Ils travaillent et veulent assurer un toit pour leur famille et ne veulent absolument pas vivre dans ces conditions inhumaines ! Écoutons ce que ces êtres humains vivent, ressentent et ont a dire par rapport a leur expérience d’accès a un logement.»

Mariam Gopaul : « Convention bafouée !»

La consultante et pédagogue Mariam Gopaul est très remontée : « Un des articles de la Convention des Droits des Enfants stipule que toute décision qui est prise, doit l’être dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, la, en ce qui concerne ces familles jetées à la rue, la Convention a été tout bonnement bafouée ! Car faire dormir des enfants dehors, c’est inadmissible. Ça va totalement à l’encontre de tous les droits humains fondamentaux. » Mariam Gopaul poursuit : « Dans chaque décision qui est prise, par un gouvernement, il est vital de privilégier la santé et la survie de l’enfant. L’environnement dans lequel évoluent actuellement ces enfants, à Pointe-aux-Sables, à Riambel et à Malherbes, est loin d’être convenable. Et l’on s’étonnera que ces enfants développent des pathologies et des maladies, par la suite ? » Notre interlocutrice ajoute que « et il ne faut pas oublier que dans de telles circonstances, où l’État n’assure pas la protection de ces enfants, ils sont livrés à la promiscuité avec tout ce que cela engendre…» Mariam Gopaul est catégorique : « L’État ne peut laisser ces enfants continuer à vivre dans ces conditions extrêmes : c’est révoltant ! Et on se dit un « high income country » ? Quelle blague. »

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