State Business : L’antidote du coup d’État constitutionnel

  • C’est ce que prescrit le Premier ministre, Pravind Jugnauth, dans une tentative 
de reléguer au second plan avec l’ICAC la commission d’enquête sur la connexion 
Sobrinho avec l’Hôtel du gouvernement
  • Le «workload» du juge Ashraf Caunhye pourrait le désavantager pour la présidence de la commission d’enquête sur l’ancienne présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim
  • Groundwork du Central CID sur les tractations et contacts de l’entourage d’Ameenah 
Gurib-Fakim en vue d’une enquête sur la violation de la section 64 de la Constitution
  • Le nom de Me Gilbert Noël, avoué, cité comme étant le «go-between» avec sir Hamid Moollan, QC, pour la présidence de la commissiond’enquête mort-née de la State House
  • La présentation d’Alvaro Sobrinho le 6 août 2015 au ministère des Services financiers 
et l’e-mail du 6 mai 2016 d’Akilesh Deerpalsing, ex-Senior Adviser de Roshi Bhadain, 
consacré à l’Investment Banking Licence «in the frontline», remontent à la surface

À peine la page du passage d’Ameenah Gurib-Fakim à la State House tournée avec son départ en cours de matinée de vendredi que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est venu la remettre en perspective. Ainsi, en attendant la publication officielle des terms of reference, la commission d’enquête annoncée vendredi après-midi lors d’un point de presse au Treasury Building s’apparente à une mise en accusation pour coup d’État constitutionnel. Simultanément s’inscrit une tentative de marginaliser une demande quasi unanime en faveur d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur les connexions du multimilliardaire angolais Alvaro Sobrinho avec des VVIP du pouvoir depuis 2015. Sauf qu’en décidant de confier à l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) une lettre de dénonciations au sujet des faveurs et facilités financières arrosées par ce même Sobrinho, dont la Platinum Card, en retour des Investment Fund Licences et surtout l’Investment Banking Licence du 25 novembre 2016 octroyées par la Financial Services Commission (FSC) à l’ASA Group, Pravind Jugnauth livre à cette institution pieds et mains liés son ancien ministre des Services financiers, Roshi Bhadain. Mais il n’y a pas que celui-ci qui est ciblé dans la lettre du Corbeau en date du 20 mars. Un Top Gun du privé, de surcroît un grand-prêtre de la finance, pourrait être tracassé par le volet de l’enquête de l’ICAC par rapport à des transferts de fonds liés au groupe Sobrinho. Ces derniers éléments viendront se greffer sur le dossier de l’Investment Banking Licence du multimilliardaire angolais avec résidence en Suisse, enquête déjà diligentée depuis l’année dernière.
Au sein de Lakwizinn à l’Hôtel du gouvernement, l’on ne se garde pas de faire comprendre à voix basse que la principale attribution de la commission d’enquête dont a fait état Pravind Jugnauth porte sur un point essentiel : établir avec preuves à l’appui qu’il y a eu une tentative de coup d’État constitutionnel le vendredi 16 mars dernier avec le communiqué de la State House faisant état de la commission Moollan. « Depuis le jeudi 15, un homme de loi et politicien de l’opposition confiait à son entourage qu’Ameenah Gurib-Fakim allait surprendre le gouvernement en instituant une commission d’enquête sur Alvaro Sobrinho. Comment se fait-il qu’il soit dans les secrets des dieux pour des affaires au plus haut sommet de l’État ? C’est sûr qu’il devra s’expliquer devant la commission d’enquête sur ce complot planifié. Il ne faut pas également occulter des va-et-vient, pour dire le moins étranges, du côté de la State House en cette même fin de semaine », fait-on comprendre dans ces milieux.
D’autres recoupements d’informations effectués par Week-End de sources concordantes indiquent qu’au cours de la semaine écoulée, une escouade du Central CID avait eu pour mission d’entreprendre le groundwork sur un éventuel délit de complot pour un coup d’État constitutionnel. Des noms des protagonistes étaient même arrêtés pour des vérifications de leur emploi du temps respecfif par rapport à une éventuelle réunion se déroulant à Quatre-Bornes en vue de mettre au point la stratégie contre le gouvernement. Mais avec la décision de vendredi du Premier ministre, il se pourrait que ces éléments soient tout simplement communiqués à la commission au moment approprié.
La coïncidence constitutionnelle aura voulu que l’une des premières signatures de Barlen Vyapooree, qui assure la suppléance à la présidence de la République, sera apposée sur le document pour une commission d’enquête contre son prédécesseur, Ameenah Gurib-Fakim. Durant le week-end et en début de semaine, le Premier ministre et ses plus proches collaborateurs du Conseil des ministres, dont l’Attorney General, Maneesh Gobin, devront mettre au point les détails des attributions de cette commission d’enquête abordée lors des délibérations ministérielles de vendredi dernier.
D’ailleurs, devant les instances de son parti réunies au Sun Trust hier, le leader du MSM a repris en substance la thèse de la tentative du coup d’État constitutionnel avec un « accaparement de l’opposition » dans les dernières étapes de la prise de décision. Pravind Jugnauth a fait comprendre aux membres du Bureau politique et du Comité central que les travaux de cette commission d’enquête ne devront pas traîner en longueur vu la gravité de la situation. Il a indiqué que le State Law Office travaille sur ce dossier avec une ébauche officielle prévue pour le début de la semaine.
Déjà, intervenant face à la presse vendredi, le Premier ministre a esquissé les grandes lignes de ces terms of reference, à savoir si, en prenant la décision unilatérale le vendredi 16 de nommer sir Hamid Mollan à la présidence de cette enquête, Ameenah Gurib-Fakim se serait rendue coupable de violation de la section 64 (1) de la Constitution, où il est fait mention que « in the exercise of his functions under this Constitution or any other law, the President shall act in accordance with the advice of the Cabinet or of a Minister acting under the general authority of the Cabinet except in cases where he is required by this Constitution to act in accordance with the advice of, or after consultation with, any person or authority other than the Cabinet or in his own deliberate judgment. »
Transactions bancaires
Poursuivant son exposé, Pravind Jugnauth a ajouté que la commission d’enquête devra aussi faire la lumière sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas cru nécessaire de consulter le Cabinet ou encore l’Attorney General’s Office à ce sujet. La question d’usurpation illégale des pouvoirs sous la Constitution, la participation des conseils légaux dans le processus de drafting des terms of reference bien précis, les circonstances de la nomination de sir Hamid Moollan à la présidence de même que la séquence des événements entre le 6 mars, le jour où Ameenah Gurib-Fakim avait rejeté une proposition officielle de départ de la State House, au samedi 17 mars avec le de-escalation mood menant à la démission et l’utilisation inappropriée de l’Office of the President constituent autant d’éléments à être intégrés dans les attributions, sans compter les éventuelles infractions à l’autre section 64, soit de la Banking Act portant sur la confidentiality des transactions bancaires.
Alors que, jusqu’ici, l’Hôtel du gouvernement avait contesté la thèse au sujet des amendements à la section 30 de la Constitution, dont les provisions traitent du removal of the President, la commission se voit confier la responsabilité de faire des recommandations sur les lois existantes concernant l’usurpation des pouvoirs publics ainsi que les procédures adoptées sous la section 30 de la Constitution concernant le président et le vice-président en cas de mauvaise conduite.
L’autre volet des préoccupations à l’Hôtel du gouvernement concerne la composition de la commission d’enquête. Dans le scénario pour la nomination d’un sitting judge, le nom du juge Ashraf Caunhye est cité dans certains milieux. Mais le workload de ce juge de la Cour suprême, qui avait siégé en appel avec le chef juge, Keshoe Parsad Matadeen, renversant la condamnation à un an de prison infligée à Pravind Jugnauth dans le scandale du siècle « zot mem vande, zot mem aste » de MedPoint pourrait lui être un désavantage. Le nom d’un ancien chef juge est également évalué dans ce même contexte, alors que les assesseurs attendent d’être connus. Officiellement, l’on a fait comprendre à Week-End que, valeur du jour, ces noms relèvent des conjectures et que la décision officielle sera entérinée après consultations avec les parties concernées.
Par contre, la certitude se dessine quant à l’identité de ceux qui seront convoqués par la commission. Même si l’ordre des auditions est loin d’être établi, la star, pas nécessairement la star witness, sera sans nul doute Ameenah Gurib-Fakim. Mais quelle posture adoptera-t-elle ? Cherchera-t-elle de plaider la couverture de l’immunité constitutionnelle ? Ou encore soulèvera-t-elle le caractère privilégié des communications avec ses conseils légaux ? Ou bien jouera-t-elle cartes sur table en collaborant pleinement à cette enquête. Autant de questions qui surgissent probablement de façon prématurée.
Puis viennent les conseils légaux, avec en première ligne Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, Me Nadeem Hyderkhan et non Namdarkhan, nom cité dans Le Mauricien suite à une confusion, et Me Gilbert Noël, l’avoué de service. La version des faits sur le déroulement des tractations pourrait s’avérer intéressante à plus d’un titre. Interrogé à ce sujet, Me Mohamed concède à Week-End que « c’est plus qu’une évidence que l’équipe légale qui avait été approchée pour être aux côtés d’Ameenah Gurib-Fakim sera convoquée lors des travaux de cette commission d’enquête. Elle a le choix de ne pas pour autant dévoiler les discussions qu’elle aurait eues avec ses avocats, qui sont d’ordre confidentiel. Mais elle peut aussi demander que sa version corrobore avec celles des hommes de loi ».
« Camoufler la vérité »
De son côté, le doyen du Barreau semble pouvoir tirer son épingle du jeu, avec déjà une lettre d’explications au Premier ministre au sujet de sa nomination. « De par ses explications, sir Hamid Moollan pourrait bien être traité comme un main witness. Il a révélé que c’est Me Noël qui lui a téléphoné pour lui proposer la présidence de la commission. Il aurait laissé entendre qu’il n’aurait pas d’objection, dans la mesure où les paramètres de la loi étaient respectés. Il a ajouté que Me Noël aurait indiqué qu’il allait revenir vers lui », confient ceux qui ont eu pris connaissance de la teneur de cette correspondance.
Sur le plan politique, la démarche du Premier ministre privilégiant l’institution de la commission sur la tentative de coup d’État constitutionnel au détriment du scandale financier Sobrinho est interprétée comme une volonté du gouvernement « de camoufler la vérité dans cette sinistre affaire. » En guise de paravent, le chef du gouvernement prétend qu l’ICAC est l’adresse indiquée pour ce genre d’enquête portant sur des allégations de trafic d’influence et de pots-de-vin. Force est de constater que, depuis l’année dernière, l’Investment Banking Licence allouée par la FSC à Alvaro Sobrinho à la fin de 2016 après l’adoption du Finance Bill, présenté par Pravind Jug-nauth, fasse l’objet d’enquête. Jusqu’à tout récemment, cette enquête était low key, même si des Judge’s Orders avaient été obtenus pour recouvrer des documents compromettants à la FSC.
Avec la dernière lettre du Corbeau dénonçant des faveurs avec la Platinum Card et sous forme de propriétés immobilières à l’étranger, notamment au Portugal, et de grosses cylindrées en mentionnant Ameenah Gurib-Fakim, des « MP’s and members of the private sector », l’enquête de l’ICAC pourrait prendre une autre tournure à partir de deux dates spécifiques. D’abord, le 6 août 2015, avec une présentation par Alvaro Sobrinho dans les locaux du ministère des Services financiers en présence de Roshi Bhadain.
Cette réunion est documentée dans un Report on the ASA Group Companies LIcensing Applications sur du papier à en-tête de la FSC et signée de l’Acting Chief Executive, P. K. Kuriachen. Au paragraphe 4, mention est faite que « the Honourable Minister asked me the timeframe to issuing the relevant licences (for the setting up of two investment funds ». Pour l’ASA Fund, le PASET Fund et AS African Asset ManagementLtd, les licences ont été émises en huit jours ouvrables. L’Investment Banking Licence a été allouée en 41 jours vu que le groupe Sobrinho avait 23 jours pour apporter des précisions préliminaires.
Puis, il y a l’e-mail d’Akilesh Deerpalsing du 6 mai 2016 en vue d’inclure dans le budget « a new type of licence, namely Investment Banking and Corporate Advisory Licence » sous le contrôle de la Financial Services Commission. Après consultations avec la Banque de Maurice proposant l’élimination de l’Investment Banking Business dans la définition de bank sous la Banking Act, le Senior Adviser aux Services financiers est revenu à la charge avec des propositions formelles dans un autre e-mail en date du 24 mai 2016.
En tout cas, le règlement de comptes ne fait que commencer, avec des dommages collatéraux également dans le camp du privé, comme ce gros bonnet de la rue de la haute finance qui sent déjà la pression s’accentuer sur ses épaules…

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