SUD-EST : RELANCE ÉCONOMIQUE POST-WAKASHIO : Le compteur à zéro en 2021

  • Plus de 1 300 opérateurs économiques dans le rouge. La marée noire a asphyxié Mahébourg
  • Pour rebondir, le village névralgique et historique de la région est appelé à se réinventer pour ne plus dépendre que de la mer

La résilience de plus d’un millier d’opérateurs économiques, quasiment tous concentrés à Mahébourg, sera soumise à l’épreuve en 2021. Malgré les Rs 38 M décaissées par l’Etat pour les aider à maintenir la tête hors de l’eau, ils ne pourront rattraper les pertes encourues durant ces cinq derniers mois à cause de la marée noire provoquée par le naufrage du MV Wakashio à Pointe d’Esny en juillet dernier. Frappé par deux drames, sanitaire et écologique, Mahébourg n’aura d’autre choix que de se relever et se réinventer. Centre névralgique du Sud-Est, Mahébourg dépérit sans le tourisme, secteur sur lequel il a toujours compté. Pourtant, le village qui a hérité du nom de Mahé de Labourdonnais, attestant de sa position clé dans l’histoire du pays, abrite des vestiges et des lieux qui ne demandent qu’à être réhabilités pour séduire le tourisme interne et créer des activités pour redynamiser son économie. Le ministère du Patrimoine culturel a un rôle à jouer ici. La formation de la main-d’oeuvre locale sera lancée par une ONG avec des institutions publiques dans l’optique de préparer des hommes et des femmes à la relance du marché de l’emploi. Mais avec une année où il faudra remettre le compteur à zéro, l’optimisme n’est pas de mise pour tous.

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Contrairement à Bambous-Virieux, Bois-des-Amourettes, Rivière-des-Créoles, régions côtières aussi grandement touchées par la marée noire, Mahébourg dépend non seulement de la pêche, mais aussi de toutes les activités qui en découlent. Après l’épisode du MV Wakashio, Mahébourg, qui était à genoux, a commencé à se relever, mais sur un pied uniquement. Se mettre debout et, sans jeu de mots, avoir la tête hors de l’eau, est pour le moment impossible. La Wakashio Solidarity Grant (WSG) de Rs 10 200, accordée dans un premier temps aux pêcheurs, banians et plaisanciers du Sud-Est, et depuis étendue à d’autres opérateurs, est certes un support financier aux foyers affectés. Toutefois, selon le témoignage des bénéficiaires eux-mêmes, cette aide ne suffit pas pour assurer les dépenses courantes. Jusqu’ici, seuls les pêcheurs retraités qui en ajoutant les Rs 9000 de leur pension et le WSG arrivent plus ou moins à s’en sortir.

A l’instar de Hidley Marianne, 63 ans, pêcheur de Bambous-Virieux, qui confie que ce revenu mensuel lui permet de soutenir aussi ses petits-enfants. D’ailleurs, il n’a pas hésité avec une dizaine d’autres pêcheurs à s’inscrire à une formation dispensée par le Mouvement pour l’autosuffisance alimentaire et la Fondation Ciel pour se lancer dans l’élevage de pondeuses afin de gonfler quelque peu son portefeuille. Il y a quelques jours, c’est tout heureux qu’il nous confiait avoir déjà collecté des oeufs de ses pondeuses. Mais Benjamin, 44 ans, pêcheur de Mahébourg, comme beaucoup de ses collègues, dit ne pas “gagn kouraz pou al fer lot travay an-deor lamer, parce que, insiste-t-il, “mo lonbri dan lamer”. Alors, le pêcheur qui, comme beaucoup d’autres également, ne pourra pêcher en dehors du lagon faute de moyens, concède qu’il attendra les jours meilleurs. Mais, entre-temps, il reconnaît que “les dettes ne cessent de grimper!”

“Bizin travay kot gagne”

L’épisode catastrophique du MV Wakashio a aussi démontré combien la reconversion des vieux loups de mer est difficile. Par contre, les plus jeunes, les moins de 45 ans, sont contraints de trouver des alternatifs afin de joindre les deux bouts. Tous les jours, Fabien Virrasamy quitte Mahébourg pour travailler comme maçon sur un chantier à Port-Louis. “Bizin travay kot gagne”, dit-il. Mais aussitôt le lagon ouvert pour la pêche, Fabien Virrasamy délaissera le ciment pour la mer.

Pour l’instant, la pêche en dehors du lagon, selon des pêcheurs, ne réussit pas à tout le monde. “D’une part, nous ne sommes pas tous bien équipés pour pêcher en haute mer. Et, d’autre part, nous sommes tributaires du temps. A la levée des restrictions le 12 décembre, nous sommes restés à terre pendant plusieurs jours. Mais quand le temps le permettra, c’est sûr que nous allons pouvoir gagner un peu d’argent”, explique Hidley Marianne qui, comme beaucoup de ses collègues du Sud-Est, a perdu pas mal de casiers depuis le confinement. La fabrication d’un casier peut coûter de Rs 2000 à Rs 3000 et à partir de Rs 6000 pour des casiers à langoustes. Avec la possibilité de pêcher en haute mer, la pose des casiers est désormais envisageable et gagner de quoi boucler les fins de semaine.

Il n’est donc pas certain que la communauté des pêcheurs soit grandement représentée dans les sessions de formation qui sont annoncées pour janvier 2021. “Pour rebondir, il faut se réinventer”, insiste Sébastien Sauvage, de l’organisation non gouvernementale Eco-Sud. Et qui dit se réinventer, dit aussi reconversion et formation. Avec la vingtaine de millions de roupies récoltées par le biais de donateurs étrangers au moment où Maurice était sous les feux des projecteurs internationaux après le déversement dans la mer de près de 800 tonnes d’hydrocarbures, l’ONG a injecté une partie de cet argent dans la formation professionnelle des habitants du Sud-Est.

A la mi-décembre 2020, 150 personnes —une majorité de femmes—se sont inscrites au programme intitulé “Alternative Livehood” avec en annexe la question “Ki ou pou fer dime?” A la première annonce pour le recrutement, seulement 20 participants avaient démontré de l’intérêt. “Notre communication n’avait alors pas bien marché”, explique Sébastien Sauvage. Pour atteindre les personnes les plus concernées, l’ONG a pris le parti de faire du porte-à-porte dans plusieurs régions, notamment Cité La Chaux, Ville-Noire, Grand-Sable, Trou d’Eau-Douce… Ces formations gratuites seront dispensées pendant deux mois avec l’aide des institutions publiques Mauritius Institute of Training and Development, Food and Agricultural Research & Extension Institute, Small and Medium Enterprise Mauritius, National Social Inclusion Foundation… et des partenaires privés, La Ferme Coco, JAM… Les participants seront armés pour être guides terrestres ou marines, coiffeurs, électriciens, agriculteurs écologiques, plombiers… Les perspectives pour les femmes seront relativement larges. “De nombreuses femmes”, rappelle Sébastien Sauvage, “ramassaient des mollusques et autres crustacés dans le lagon pour faire bouillir la marmite”. Elles sont depuis privées d’une source alimentaire importante.

Grâce au financement dont elle dispose, Eco-Sud lancera un appel à projets, ciblant tous ceux qui ont été touchés par le naufrage et la marrée-noire. Les projets à portée économique les plus intéressants seront dotés d’un budget de Rs 300 000 pour leur concrétisation. Et, d’autre part, la crise économique découlant de la Covid-19 et les conséquences du naufrage du vraquier ayant exacerbé la précarité d ses foyers, les actions solidaires vont perdurer et continuer à émerger. Avec la collaboration de Caritas et de Mahébourg Espoir respectivement, Eco-Sud se penche sur la création d’une boutique solidaire à Ville-Noire. L’obtention d’un terrain de 4 arpents d’un donateur privé, indique encore l’ONG, donnera lieu à des ateliers d’initiation à vocation agricole. “Notre intention est de créer une cité des artisans à Mahébourg. En ce faisant, nous allons développer le savoir-faire pour ne plus avoir à dépendre de l’économie du tourisme”, dit Sébastien Sauvage.

La chance est donnée à Mahébourg de repenser sa vocation. Mahébourg est malgré lui appelé à ne plus être ce village de pêcheurs qui lui colle tant à la peau. Il lui est possible de devenir aussi un village d’artisans avec un circuit touristique interne basé sur les vestiges qu’il possède. Et si l’occasion est donnée aux Mahébourgeois de participer à la restauration du wagon du gouverneur, qui pourrit à l’arrière du musée naval, la maison du chef de gare à Pointe-Canon, l’ancienne gare de train… De remettre en état ces petites maisons créoles dans des rues quadrillées qui remontent à la colonisation française. Pourquoi est-ce que le ministère des Arts et du Patrimoine et le Mauritius Museum Council ne donneraient pas un nouveau souffle au musée naval et à ses boutiques artisanales moribondes, ainsi qu’au musée Frederik Hendrik de Vieux-Grand-Port?

«Qui va louer une chambre pour passer un week-end à Mahébourg?»

Le front de mer est un espace sale, sans attrait, si ce n’est que la vue panoramique qui s’étend de Mouchoir-Rouge à Vieux-Grand-Port. Pourquoi ne pas nettoyer et rendre attrayant ce coin pourtant habituellement fréquenté par de nombreuses familles le week-end? Et, au final, (re)donner l’envie aux Mauriciens des autres villes et villages de redécouvrir Mahébourg, y compris sa biscuiterie de manioc, son lavoir, son marché… En redynamisant les atouts de Mahébourg, il y a plus de chance de susciter un intérêt pour le tourisme interne et les activités thématiques.

Débourser Rs 38 M en guise de support aux opérateurs économiques touchés par la marée noire ne relèvera pas Mahébourg! “Il y aura encore des licenciements”, prévoit Sébastien Sauvage. Les diverses enseignes, maisons d’hôtes, centres de plongée, boutiques artisanales, restaurants… qui n’accueillent plus de touristes risquent d’attendre encore longtemps avant de revoir ces derniers franchir en nombre le seuil de leurs commerces. “Dans l’esprit populaire, Mahébourg est un village de pêcheurs. Même si on a ouvert la mer, qui va louer une chambre pour passer un week-end à Mahébourg? Les Mauriciens ne vont pas à Mahébourg pour aller à la plage! Et les touristes qui viennent à Maurice vont continuer à aller en quarantaine dans des hôtels de luxe et non dans des guest houses”, se désole Nathalie Henry, directrice de Chill Pill, une maison d’hôtes de 15 chambres.

A pareille époque en 2019, toutes les chambres, dit-elle, étaient occupées par des Français, Anglais, Allemands… «C’était animé, c’était bien», regrette-t-elle. Cette année, Nathalie Henry n’a pas eu de réservation. Elle a certes ouvert son établissement aux professionnels mobilisés et autres volontaires pendant la marée noire, sur une base bénévole, mais pour ce qui est de ses activités économiques, Chill Pill est au point mort. Nathalie Henry a gardé ses quatre employés, payés grâce au Wage Assistance Scheme et injecte toujours près de Rs 100 000 mensuellement dans l’entretien des lieux et les factures. Se réinventer dans ce genre de cas n’est pas toujours réalisable. Quoi faire de plus, si ce n’est la baisse du tarif du séjour ? “Nous louons nos chambres à Rs 1 500, soit la moitié du prix normal. Mais rien à faire. Récemment nous avons organisé un marché de Noël… je ne vois pas ce que nous pouvons faire de plus. Je peux vous assurer que nous n’avons pas le coeur à la fête! Et nous sommes encore plus inquiets pour 2021”, confie Nathalie Henry. Chill Pill fait partie des 120 maisons d’hôtes de la région qui appréhendent la nouvelle année. Si Nathalie Henry reconnaît d’emblée avoir toujours misé sur la clientèle étrangère, elle est loin d’être la seule. Dans leur quête de se réinventer, des hôteliers, des tenanciers de maisons d’hôtes, des plaisanciers, entre autres, de Mahébourg et d’ailleurs, devront retenir la leçon imposée par la Covid-19 en matière de ciblage. En clair, il ne faut pas faire des yeux doux aux Mauriciens uniquement après le naufrage d’un bateau.


Aides financières post-Wakashio

Paiement après mi-janvier

Ce sera après la mi-janvier que les nouveaux bénéficiaires de la Wakashio Solidarity Grant et de la Business Community Grant recevront leur aide financière. Le paiement sera assuré par la National Social Inclusion Foundation (NSIF). Ce sont la Mauritius Tourism Authority, Beach Authority et les autorités du transport qui ont transmis les données à la NSIF afin que celle-ci puisse établir la liste des bénéficiaires.

Ajay Sowdagar, président de la NSIF, explique que les agences de location de voitures percevront elles aussi les aides financières post-Wakashio. Elles n’étaient pas comprises dans la liste des bénéficiaires énoncée par la Wakashio Assistance Support Cell. L’extension de la Wakashio Solidarity Grant concerne 790 plaisanciers, 281 propriétaires de taxi, 4 compagnies de location de scooters, 59 restaurants, 120 maison d’hôtes, 32 opérateurs touristiques (dont des centres de plongée sous-marine), 56 marchands de plage et 29 commerçants de plage.Impacts sanitaires, socio-économiques et écologiques


Aucune indication, 5 mois après la catastrophe

C’est en privé que certaines personnes ayant été en contact pour différentes raisons avec l’hydrocarbure déversé par le vraquier japonais battant pavillon panaméen confient avoir senti des effets sur leur santé. Essoufflement, boursouflure… 350 personnes du Sud-Est s’étaient présentées auprès de la cellule d’écoute et médicale qui avait été mise en place dans le sillage des conséquences de la marée noire.

«Mais son impact sur la santé humaine est jusque-là méconnu. Une exposition à long terme aux éléments volatils du Very Low Sulphur Fuel Oil peut engendrer des maladies chroniques qui se manifesteront après plusieurs années», relève Jay (nom modifié), scientifique qui effectue des recherches dans le lagon du Sud-Est pour le compte d’une institution publique. Il faut aussi retenir qu’entre-temps, un certain nombre de personnes continuent à consommer les produits de pêche du lagon, malgré les interdictions.
En plus de l’impact sanitaire et socio-économique — une étude approfondie, insiste notre interlocuteur, est nécessaire pour parer aux assistances voulues —, il demeure, selon lui, que l’impact écologique est tout aussi inconnu. «Le déversement de cette huile nouvelle génération est une première dans le monde. De ce fait, les impacts à court, moyen et long termes sont toujours inconnus. Cette situation unique a été une chance pour les chercheurs et académiciens de l’île de démontrer leur savoir-faire et de réaliser des études sur l’impact environnemental. Malheureusement, par manque de soutien et de volonté, cela ne s’est pas fait et il est trop tard pour évaluer les effets immédiats», observe le scientifique.

Il va plus loin : «Le manque de transparence des analyses effectuées sur les poissons et autres organismes marins dans la région est aussi déplorable et contribue à l’impression du je-m’en-foutisme. Mêmes les sites où les poissons ont été prélevés n’ont pas été dévoilés. Les éléments qui transpirent par le biais des communiqués de presse ressemblent à une partition de musique où on ne peut lire que le quart des notes. Pour instaurer un climat de confiance, les détails des analyses incluant les sites de collecte des échantillons, les méthodes d’analyse et les résultats auraient dû être mis à la disposition du public, par exemple, un site internet. Pour des raisons inconnues, l’Université de Maurice a maintenu profil bas depuis le début de la crise. Sachant que les écosystèmes, tels que les forêts de mangroves, ont été sévèrement frappés, des études poussées sur le devenir de ces zones, dont l’évolution de la composition des organismes ou encore l’impact sur les micro-organismes, sur les poissons au stade larvaire, sur les mollusques n’ont pas été réalisées.»

Jugeant l’arrivée du Integrated Environment Monitoring Plan post-Wakashio tardive, Jay est d’avis que celui-ci aurait dû avoir été mis en place depuis longtemps. Ce retard, assure-t-il, réduirait les coûts que devraient débourser l’assureur : Japan P & I Club.

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