TELFAIR SAGA — Tribunal de Moka : Pleins feux sur le triangle gagnant Appanna-Sawmynaden-Nuckhed

  • L’homme d’affaires de La Louise, acculé de questions de Me Bhadain, rappelé à l’ordre par la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath

Si Vinay Appanna, qui en est à sa quatrième audition dans l’enquête judiciaire au tribunal de Moka, dit « tout faire dans les règles du jeu » quand il fait affaire à Maurice, il a néanmoins été confronté une nouvelle fois à ses relations, qui lui auraient permis de décrocher des contrats ou de permettre à des proches, comme Deepak Bonomally, de bénéficier de centaines de millions sous des Emergency Procurements avec des institutions parapubliques. Me Rouben Mooroongapillay devait d’ailleurs le confronter au fait que sa manière d’opérer était d’incorporer des compagnies, mais en utilisant des prête-noms, affirmation aussitôt contestée par le principal intéressé. Me Roshi Bhadain devait le confronter à la thèse du triangle Appanna-Sawmynaden-Nuckched, pivot de Dealings en tous genres, et plus particulièrement sur les Rs 2,7 millions injectées sur le compte bancaire de la compagnie par Vinay Appanna pour l’importation de bois afin de construire sa maison. Et ce, alors que NeeteeSelec n’avait aucune expérience dans ce domaine depuis son incorporation, le 21 avril 2020, en plein confinement.

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L’audition de Vinay Appanna aura été assez particulière hier, que ce soit par rapport à ses omissions ou encore du fait de la teneur de ses réponses en Cour alors qu’il était face à des questions fusant de toutes parts. Il devait déjà provoquer l’ire du représentant de l’Office du Directeur des Poursuites Publiques, Me Azam Neerooa, au sujet des ses approximations. À commencer par le numéro de téléphone qu’il utilise depuis juillet 2020, enregistré au nom de sa belle-sœur, et dont il a eu du mal à se rappeler… le prénom dans un premier temps.

Vinay Appanna devait aussi admettre n’avoir pas révélé aux enquêteurs qu’il utilisait ce numéro de téléphone, car étant « stressé », dit-il, vu que c’était la première fois qu’il était interrogé par la Major Crime Investigation Team (MCIT), justifiant ainsi qu’il n’avait pas jugé opportun de dévoiler ce numéro, puisque n’étant pas enregistré à son nom. Il a aussi confirmé que Me Ganessen Mooneesawmy, qui défend les intérêts de Deepak Bonomally dans le cadre de cette même enquête judiciaire, est non seulement un parent, mais aussi le conseil légal pour ses compagnies. Et d’admettre que c’est par son intermédiaire que Me Mooneesawmy a été présenté à Deepak Bonomally, présenté comme «  un employé de mes compagnies ».

Lorsque Vinay Appanna a été questionné sur le fait que son numéro de téléphone était enregistré au nom de sa belle-sœur, il devait alors expliquer qu’il avait « peur d’être suivi » depuis que son nom a été étalé dans la presse et que l’on parlait « de milliards » sur son compte. « Après le 14 juillet 2020, je ne sortais presque plus et je n’allais même plus dans les centres commerciaux », dit-il, affirmant que « des personnes faisaient le va-et-vient près de chez moi, et mes voisins me disaient que ces individus me cherchaient partout ». Raison pour laquelle, dit-il, il aurait décidé de quitter son domicile, à La Louise, pour se rendre au Cyber Village d’Ébène.

Au sujet des caméras CCTV qu’il avait fait installer à La Louise, Vinay Appanna a d’abord précisé qu’il y en avait au moins huit, « installées vers août ou septembre 2020 », mais que c’est un « cousin » qui s’en était chargé, vu qu’il avait déjà quitté les lieux. Et d’avancer toutefois que son épouse pouvait visionner les images des caméras à partir de son téléphone portable.

Me Neerooa voulait alors le confronter à certaines approximations, à savoir qu’il disait « avoir eu peur de sortir » mais qu’il avait lui-même auparavant dit qu’il lui arrivait de se rendre au centre commercial à Bagatelle avec son épouse, après avoir visité le site de construction de sa maison. Vinay Appanna devait alors répondre : « C’est mon épouse qui y va, pas moi. Vous pouvez vérifier avec les caméras sur place ! » Et le témoin d’indiquer qu’il n’a « jamais rapporté quelconque incident à la police, car je me sentais en sécurité auprès de ma famille ».

« Usage de prête-noms »

De son côté, Me Mooroongapillay s’est concentré initialement sur les compagnies incorporées au nom de Vinay Appanah et sa manière d’opérer. Quand l’homme de loi lui a rappelé des témoignages selon lesquels Soopramanien Kistnen avait dit « mo pou fer zot tou grene kouma zanbalak » et que ce dernier voulait dénoncer des pratiques douteuses à l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), il devait rétorquer « ne rien savoir de tout cela ». Il devait toutefois confirmer la charge provisoire de blanchiment d’argent retenue contre lui.

Il a aussi été question des Rs 38 millions que Bo Digital Co Ltd avait versées sur le compte bancaire de sa compagnie AV Techno World Co Ltd, et que Kistnen était au courant de ces transactions suspectes. Ce à quoi Vinay Appanna a insisté qu’il n’en savait rien, ajoutant : « J’ai nié toutes les charges devant l’ICAC. » Me Mooroongapillay est aussi revenu sur l’affaire de station-service et d’une entité, soit Myfill Service Station Co Ltd, vendue à un trust. À ce stade, le nom d’un certain « Simpson » a surgi. Et lorsque l’homme de loi l’a confronté au fait que cette personne serait un agent politique, qui plus est en possession d’un 4×4 blanc et qui serait un « intermédiaire pour obtenir des contrats », il a répondu par la négative à toutes les questions.

Le témoin a ensuite affirmé qu’il rencontrait rarement des gens pendant le confinement, et que lorsqu’il le faisait, il leur parlait « à travers un mur », disant ainsi craindre de contracter la COVID-19 « en raison de mon état de santé ». Il a aussi fait comprendre qu’il est comptable de formation, et ce, même s’il n’a pas complété ses études en ACCA. Me Mooroongapillay a enchaîné avec une série de questions.

RM : Votre père vous a aidé à lancer votre business ?
VA : Au départ, oui. Mais après, je me suis débrouillé seul.
RM : Est-ce que votre père a été nommé à la présidence du National Wage Council par le nouveau régime en place ?
VA : Oui.
RM : Et avec l’ancien régime, il était président du Pay Research Bureau, n’est-ce pas ?
VA : Oui.
RM : Avez-vous eu des contrats avec la MRA ?
VA : C’est possible. Après dix ans dans la publicité et tellement de contrats…
RM : Et avec la Mauritius Ports Authority ?
VA : Je ne m’en souviens pas.
RM : Et le CEB, vous vous rappelez ? Et qu’en est-il de la Mauritius Housing Corporation ?
VA : C’est possible, si c’était pour de la publicité.
RM : C’est à travers votre père que vous avez obtenu ces contrats ?
VA : Non.

Me Mooroongapillay devait alors rétorquer à Vinay Appanna qu’il opérait de manière à incorporer des compagnies puis d’utiliser des prête-noms. Ce à quoi Vinay Appanna a répondu avec force : « I don’t operate in this manner that is to incorporate compagnies and put other people’s name in it. » Et l’avocat de s’appesantir en lui disant que c’est pourtant le cas de Bo Digital Co Ltd, dirigée par Deepak Bonomally. Mais le témoin d’affirmer que ce dernier « n’est pas un prête-nom ».

RM : Vous voulez faire croire à la Cour que votre ex-employé, désormais consultant, Deepak Bonomally, a décroché un contrat de Rs 300 millions, soit bien plus que votre compagnie n’a pu avoir ?
VA : Oui. Si sa compagnie a obtenu ce contrat, que puis-je dire d’autre ?
RM : Avez-vous rencontré Yogida Sawmynaden le 14 octobre 2020 ?
VA : Non.
RM : En octobre 2020 ?
VA : Non.
RM : Quand l’avez-vous rencontré pour la dernière fois ?
VA : Probablement vers février 2020.

La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath d’intervenir par la suite
VMJ : Vous devez vous rappeler quand vous rencontrez un ministre… Cela n’arrive pas à tout le monde, non ?
VA : Le fait est que je rencontre beaucoup de ministres, de PPS, de présidents de conseils de district…

La magistrate a tenu par ailleurs à avertir le témoin de ne pas « induire la Cour en erreur délibérément », ajoutant que cela pourrait engendrer des sanctions. Elle a aussi interrogé Vinay Appanna sur son emploi du temps du vendredi 16 octobre et l’anniversaire de ses nièces, dont il s’est rappelé. Si la magistrate lui a demandé la raison pour laquelle il ne s’était pas rendu à cet anniversaire, il devait indiquer que « c’était l’anniversaire des filles de ma petite cousine », ajoutant : « je sortais rarement, pour ma sécurité, depuis le 14 juillet 2020. »

Les amis d’enfance

Lors de l’audition d’hier, Me Roshi Bhadain est revenu sur les relations de Vinay Appanna avec Yogida Sawmynaden et des “deals” qui ont suivi. Il a souligné que : « Vous êtes le dénominateur commun, car vous êtes lié au couple Poonyth et à Deepak Bonomally, en plus de Yogida Sawmynaden, qui est à son tour l’ami d’enfance de Neeta Nuckched. »
Vinay Appanna a soutenu que ses compagnies sont des « entités distinctes », mais Me Bhadain a renchéri en faisant part du « triangle » Appanna-Sawmynaden-Nuckhed, plaque tournante, dit-il, pour l’obtention de contrats et d’affaires fructueuses. Et de rappeler que Soopramanien Kistnen avait été présenté à Deepak Bonomally par le témoin lors d’une réunion tenue en juin 2020 pour la construction d’abribus, ajoutant mais qu’au final, c’est Deepak Bonomally qui avait engagé le défunt comme contracteur, et payé une avance de Rs 225 000, pour la construction de marchepieds et de plaques de béton pour des conteneurs que Deepak Bonomally avait récupérés avec NeeteeSelec, engagée pour lui fournir ces mêmes conteneurs.

Me Bhadain est aussi revenu sur les Rs 2,7 millions injectées sur le compte bancaire de NeeteeSelec par Vinay Appanna pour l’importation de bois en teck dans le cadre de la construction de sa maison, et ce, « alors que vous n’aviez qu’un dépliant de la société et un échantillon de bois remis par Ashwin Poonyth ». Ce sont ce fameux triangle et les liens entre Vinay Appanna et ces différentes parties que Me Bhadain dit vouloir « tirer au clair », ce qui sera d’ailleurs l’objet des auditions de ce vendredi.

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