Terres-Expropriation : Nouveaux obstacles aux Archives pour des recherches de titres de propriété

Dorénavant, ceux qui font des recherches ne pourront consulter les actes notariés qu’en présentant un affidavit certifiant leur filiation

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Didier Kisnorbo (Justice et Vérité) : « Un retour à la période sombre du colonialisme »

Alors que le gouvernement vient de mettre sur pied une Land Division à la Cour suprême, la bataille est loin d’être gagnée pour ceux qui ont dépossédé de leurs propriétés foncières. De nouveaux obstacles se dressent sur leur route. Depuis peu, ceux qui souhaitent consulter les actes notariés aux Archives nationales doivent se munir d’un affidavit, prouvant leur filiation avec les propriétaires des terrains concernés. Ce qui représente une barrière, surtout pour ceux qui n’ont pas les moyens. Cela est en totale contradiction avec la démarche affichée par le gouvernement de faire justice aux victimes d’expropriation, à travers la mise sur pied de la Land Division.

Didier Kisnorbo, membre de l’association Justice et Vérité, a écrit au ministre des Arts et du Patrimoine culturel, Avinash Teeluck, pour lui faire part de son incompréhension face aux nouveaux règlements en vigueur aux Archives nationales. Le principal intéressé, qui fréquente les Archives nationales depuis 20 ans pour faire des recherches sur des terrains appartenant à ses ancêtres et occupés par la compagnie sucrière Deep River Beau-Champ (aujourd’hui Alteo), s’est retrouvé face à des contraintes administratives, lors de ses dernières visites en juin et en octobre de cette année. « Pendant tout ce temps, les actes notariés étaient complètement accessibles. Quand je suis reparti aux Archives après le confinement, on m’a dit que je ne pouvais consulter les documents. Qu’il fallait dorénavant avoir un affidavit prouvant sa filiation. Ce qui est totalement incompréhensible car à travers le monde, les documents sont déclassifiés après 40 ans. »
Les Archives ayant mis en avant des dispositions de la Notaries Act pour justifier leur position, Didier Kisnorbo soupçonne que les notaires sont derrière ce nouvel obstacle. « Est-ce un moyen pour nous bloquer et nous empêcher d’aller plus loin dans nos recherches ? Le gouvernement a mis sur pied une Land Division, tant attendue, mais comment amener des cas devant la cour si on est bloqué au niveau de la recherche ?», se demande-t-il. Qui plus est, ce nouveau règlement ne concerne pas uniquement ceux qui se battent pour retrouver leurs terres, mais tout citoyen souhaitant faire des recherches sur sa généalogie ou des étudiants. « C’est une atteinte à ma liberté. Cette démarche des Archives nationales est anticonstitutionnelle et représente une violation à l’article 13 de la National Archives Act de 1999-2000. »

Celui-ci stipule en effet que le directeur des Archives doit permettre aux membres du public d’avoir accès aux documents dans la “research room”. Les seules objections concernent les cas pouvant troubler l’ordre public, causer préjudices à d’autres personnes ou qui ne serait pas d’intérêt public. Dans la lettre au ministre Teeluck, Didier Kisnorbo qualifie la situation aux Archives de « return to the dark ages of Colonialism and of discrimination as one has to prove his origin in order to be able to consult archived documents ». Et d’ajouter : « It is preventing the ordinary citizen of Mauritius from making searches and having access to information relating to his family roots, where and how they lived and what did they own. » Il demande ainsi au ministre de rectifier le tir et de faire en sorte que les actes notariés se trouvant aux Archives soient accessibles à tous les citoyens, sur présentation de sa carte d’identité.

Didier Kisnorbo ne cache pas sa détermination d’aller de l’avant avec cette affaire. « Si nécessaire, j’irai en cour pour demander à un juge d’interpréter la loi pour nous. Nous savons tous qu’un des plus grands maux de ce pays ce sont les notaires véreux qui ont permis le vol des gens vulnérables pendant de nombreuses années. Si on veut vraiment que la Land Court atteigne ses objectifs, il faut permettre aux gens de pouvoir faire des recherches. »

Réactions

Vijaya Teelock : « Maurice doit se mettre aux normes internationales »

Sollicité sur ce sujet, le Dr Vijaya Teelock, chercheuse de l’Université de Maurice et ancienne commissaire de la Commission Justice et Vérité, estime que les Archives nationales doivent préciser clairement pourquoi elles ne donnent pas accès à certains documents et quels sont les documents concernés. Selon elle, cette situation pose également un problème pour ceux qui font des recherches sur la généalogie. « Auparavant on pouvait faire des recherches librement, mais depuis la Commission, on a tout bloqué. Pourtant, il y a des recommandations à ce sujet. De plus, à travers le monde, les documents de l’état civil sont déclassifiés après 100 ans. Maurice doit se mettre aux normes internationales. »

LAND RESEARCH AND MONITORING UNIT

La présence de Ricardo Ramiah dérange

Danielle Trancrel et Clency Harmon, de l’association Justice et Vérité, ont eu une rencontre avec le Premier ministre adjoint et ministre des Terres, Steven Obeegadoo, cette semaine. Il a été question de l’avancement des travaux à la Land Research and Monitoring Unit du ministère et de l’entrée en opération de la Land Division de la Cour Suprême. « Le ministre nous a promis de mettre un comité de suivi sur pied, avec la participation de quelques déposants, pour aider à surmonter les obstacles. Il nous a aussi fait part du recrutement de trois arpenteurs et de deux avoués, qui ont déjà commencé leur travail », disent-ils.
Toutefois, Danielle Tancrel et Clency Harmon disent avoir été très surpris d’apprendre que Ricardo Ramiah, ancien directeur de la compagnie Gexim, mise en liquidation, se trouve parmi les arpenteurs recrutés. « C’est quelqu’un qui a été cité dans le rapport de la Commission Justice et Vérité. Dans mon cas, la compagnie sucrière concernée est venue produire en cour un document de M. Ramiah englobant mon terrain dans celui de ladite compagnie. Comment va-t-il aujourd’hui venir nous défendre ? Il y a conflits d’intérêts », précise Danielle Tancrel.

Dans l’affaire Laviolette/Labonté, le rapport de la Commission Justice et Vérité mentionne Clency Laviolette et ses proches réclament 160 arpents de terres au Morne Brabant, et dont ils auraient dû hériter de leur ancêtre, Jean Baptiste Labonté. Celui-ci était le premier propriétaire d’un terrain totalisant 210 arpents. Au décès de son ancêtre, David Labonté a acheté les parts des autres héritiers. Ses descendants disent avoir été dépossédés de 160 arpents par des transactions « illégales » à partir de 1899.

Le rapport précise : « The land has never been sold to either Joseph Keisler or Le Morne Brabant (…) All sale transactions right as from 1899 regarding this plot is illegal. This plot (160 arpents) surveyed by Land surveyor, Ramiah on behalf of Le Morne Brabant Co Ltd recently is declared to be a surplus described in the title deed of David Labonté as per volume 577 No 48. »

Henri Médan : « Beaucoup de difficultés pour les recherches »

Pour Henri Médan, du Cercle de généalogie Maurice-Rodrigues, les restrictions imposées par les Archives nationales « compromettent les recherches ». Il confie que beaucoup de personnes se plaignent des difficultés rencontrées pour avoir accès aux documents dans la recherche de leurs origines. Il dit ne pas comprendre une telle démarche. « Dans le monde, les registres sont déclassifiés après 100 ans. Dans certains pays, la limite est même de 75 ans. Je ne comprends pas pourquoi ici, il y a tant de complications. Cela aurait dû être du domaine public. Peut-être qu’il faut revoir la loi à ce sujet. »

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