WORLD AIDS DAY | Témoignage : Philippe (36 ans) :« Ki serti pran konprime kan vant vid ? »

Il ajoute : « De jour en jour, je perds de nombreux amis, séropositifs comme moi, mais qui n’ont nulle part où aller, ni rien à manger…»

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Il n’a pas un parcours de toxicomane typique : Philippe, porteur du VIH depuis 2009, s’est tourné vers les drogues, seulement après avoir appris qu’il était malade. Accueilli par Lakaz A, à Port-Louis, l’homme explique que s’il prend au sérieux son traitement médical, c’est grâce au soutien et à l’encadrement qu’il a auprès des membres de Lakaz A. En revanche, dit-il, « nombre de mes amis, qui sont séropositifs comme moi, et qui n’ont plus de maison ni de famille, meurent car ils ne peuvent se soigner et la plupart du temps, ils n’ont rien à manger ! »

Philippe a 36 ans. Jusqu’à pas très longtemps, il errait dans les rues de la capitale. C’était après qu’il a découvert qu’il était atteint du sida et il s’est jeté dans la drogue. « Je me suis shooté à l’héroïne (Brown sugar), mais j’ai aussi touché au crack, à la cocaïne…» Avant cela, il avait femme et enfants, un toit, un emploi stable, bien rémunéré et menait une vie comme des milliers d’autres Mauriciens. Puis a débuté le cauchemar. Il est en prison en 2009, quand il apprend qu’il est séropositif. « C’était la fin du monde pour moi. Je pensais sérieusement que j’allais mourir dans les jours qui suivaient », témoigne-t-il.

Celui qui lui annonce qu’il est porteur du virus est un infirmier de la prison, Cadress Rungen. Travailleur social aguerri et fondateur des Groupe A de Cassis, Soldats de Port-Louis et des Régions Avoisinantes (SPLERA) et de la “half-way home” qu’est Lakaz A, l’homme prépare Philippe à ce qui l’attend, tout en lui insufflant espoir et courage pour la suite… « Si Cadress ne m’avait pas aussi bien encadré, j’aurais probablement mis fin à mes jours ! C’est tout ce que j’avais en tête… Pou moi, lavi finn arete ! Mo ti pe trouv moi pe mor dan pa lontan…», soutient-il.

Quand il retrouve la liberté, Philippe perd femme et enfants — deux fils, Steve et Stephan, 19 et 16 ans, et une fille, Chelsea, 14 ans, actuellement. « Ma femme a souhaité refaire sa vie avec un autre homme, je la comprends, et elle a pris la responsabilité d’élever nos enfants », concède le trentenaire. Lui entamait alors sa descente dans l’enfer de la drogue… « Mes enfants ne m’ont pas rejeté, de même qu’une tante. Ils me soutiennent toujours, mais ne peuvent être à mon chevet en permanence », reconnaît Philippe. Mis à part eux, le malade n’avait « aucun autre soutien » et voyait rapidement sa condition physique se détériorer… D’autant qu’il fait aussi une crise cardiaque qui lui laisse des séquelles graves, et à la suite de laquelle il ne peut plus travailler.

Ses pas l’amènent, un beau jour, sur le seuil de la porte de Lakaz A, rue Saint-Georges, Port-Louis. « Mo ti faim, soif… Ils m’ont donné une tasse de thé et à manger. On m’a accueilli, on m’a parlé et surtout, on m’a écouté. Au final, ils m’ont donné beaucoup plus que du thé et de la nourriture. Ils m’ont donné de l’amour, une place dans leur vie et m’ont rappelé que je suis un être humain qui mérite amour, attention, respect et considération. » Au fil des jours, Philippe est devenu un « zanfan lakaz » de la structure d’aide et d’accompagnement. « Il a grandi avec nous », dit d’ailleurs de lui, avec émotion et attachement, Mary, l’une des animatrices de Lakaz A.

Le plus important, cependant, Philippe l’admet. « C’est grâce à eux au fait que j’ai cette nouvelle famille qui m’accepte et m’aide, qui m’accueille aussi gentiment et me parle, que je parviens à prendre mes médicaments (antirétroviraux). Ici, on me donne à manger et à boire. Si vant vid, ki serti pran medsinn ? » Ce qui est d’ailleurs le cas de nombre de ses « amis ». Philippe confie : « Je connais de nombreuses autres personnes qui dorment dans la rue depuis qu’elles ont contracté le sida. Cette année, j’en ai perdu beaucoup… Boukou inn mor. » Interrogé sur la raison, l’homme explique que certains sont d’anciens toxicomanes et que d’autres sont toujours consommateurs de drogue. « Mais dans l’ensemble, on est tous pauvres et à la rue. Certains vivent de petits boulots qui ne rapportent pas grand-chose, ou ils perdent ces emplois, quand la maladie s’aggrave. »

De fait, décline tristement Philippe, beaucoup meurent, parce qu’ils ne prennent pas leurs médicaments. « Me kouma pou pran medsinn si pa gayn manze ? Lestoma pou klate ! Les “side-effects” seront importants si on ne mange pas convenablement et qu’on prend ces cachets. » Lui-même indique qu’à « au moins trois reprises, j’ai failli mourir ». Sa condition physique se détériorant tellement, il a frôlé la mort. « S’il n’y avait eu Lakaz A et le fait qu’ils m’ont fait soigner, j’aurais pu y rester. »

En ce samedi 1er décembre, Journée internationale de la lutte contre le sida, Philippe conseille à tous les porteurs du virus de prendre leurs médicaments. « Ils sont très nombreux à ne pas manger à leur faim, j’en appelle aux autorités de nous aider. Ne nous laissez pas mourir… La vie est belle. Laissez-nous une nouvelle chance de la vivre », dit-il.

 

Ragini Rungen (Lakaz A) : « Sortir les malades de la  précarité est prioritaire »

Coordinatrice de Lakaz A, Ragini Rungen souhaite qu’avant toute chose, l’État aide le grand nombre de malades à sortir de la grande précarité dans laquelle ils vivent. « Au niveau de Lakaz A, avec le peu de moyens que nous avons, et les rares ressources humaines, nous faisons le maximum pour offrir à ceux que l’on accueille un cadre de vie décent, un peu de nourriture, un espace où rencontrer d’autres personnes dans le besoin, un coin pour prendre une douche… Ce n’est pas évident, car chaque jour, nous avons entre 15 et 30 personnes qui viennent nous demander à manger. Nous attendons vraiment la toute dernière minute avant de faire cuire le riz afin qu’il y ait suffisamment pour le plus grand nombre. Lakaz A est une “halfway home” pour beaucoup d’âmes en quête d’un peu de réconfort et de soutien. Nous avons des toxicomanes, des travailleuses du sexe, des malades du sida… Pendant une même journée, nous accueillons une quarantaine de personnes qui nous sollicitent », ajoute Ragini Rungen.

Le thème de la World AIDS Day 2018 est “Know your status”, décidé par l’ONUSida. Selon R. Rungen, quand l’Etat mène des campagnes de dépistage, par exemple sur les plages publiques, le projet est un “whole package”, c’est-à-dire qu’on propose aux gens de venir se faire tester pour le diabète, le cholestérol, et d’autres pathologies, en sus du VIH. « Cela réduira, à mon sens, le poids discriminatoire attaché au seul dépistage de cette maladie ! »

 

Imran Dhanoo (CIG) : « Craintes d’une paupérisation grandissante des patients du sida »

Le Centre Idrice Goomany (CIG) de Plaine-Verte a opté pour un projet de formation des métiers à l’intention de ses patients. À ce jour, selon Imran Dhanoo du CIG, ils sont une vingtaine à bénéficier d’un projet de formation qui a été rendu possible grâce au Groupe Currimjee, qui y a contribué à hauteur de Rs 300 000. Depuis presque une dizaine d’années que le CIG a démarré ces projets d’“economic empowerment”, il a touché une centaine de personnes dont des ex-toxicomanes, ainsi que des malades du sida. Les modules de ce projet mené conjointement avec la NEF concernent des formations en élevage de poules, productions alimentaires (confection d’achard, miel, pixidou, dholl puri, boulettes, pistaches…), cordonnerie, entre autres. « Ce sont surtout des métiers pour lesquels ces personnes n’auront pas à faire face à des obstacles majeurs que sont le certificat de moralité, par exemple », soutient-il.

Ainsi, poursuit Imran Dhanoo, les patients des banlieues de la capitale s’adressent au CIG. « Or, nous avons réalisé qu’il y a un nombre grandissant de personnes vulnérables qui vivent dans une très grande précarité. Quand nous réalisons un “needs assessment” pour prendre des personnes sur les projets d’“empowerment”, il nous revient qu’une grande partie ne perçoit même pas un salaire minimum de Rs 8 000 ! Beaucoup n’ont pas de maison… De ce fait, nous devons sélectionner des candidats qui ont un endroit où stocker les équipements qui leur seront confiés ! »

Le travailleur social de longue date dit craindre, de ce fait, « une paupérisation grandissante des personnes vulnérables, surtout parmi les malades du sida. » Et d’ajouter : « Sachant que ceux-ci vivent déjà dans une grande précarité, je crains que cette situation n’empire. » Imran Dhanoo suggère « que l’on songe, surtout de la part de l’État, que l’on remette au goût du jour la célèbre formule “roti, kapda aur makaan” (à manger, de quoi se vêtir et un toit) ! » Car on aura beau donner des médicaments et demander aux gens de les prendre, de se faire soigner, mais comment y arriver si on ne mange pas à sa faim ? Et d’ajouter : « On n’a pas les “basic necessities”, c’est-à-dire se vêtir et avoir un toit au-dessus de la tête. » Le directeur du CIG estime, dans la foulée, que « si l’on réalise une étude sur la situation des SDF à Maurice actuellement, ce ne serait pas étonnant qu’ils soient cinq ou six sur dix à être des toxicomanes et des porteurs du sida ! »

Nicolas Ritter (PILS) : « Danger réel que l’épidémie  se propage dans la population ! »

Dans le rapport de l’Observatoire National des Drogues, en date de mars de cette année, il est stipulé que le pourcentage d’Usagers de drogues injectables (UDI) qui sont porteurs du sida est passé de 92% en 2005 — ce qui était son point le plus fort — à 33% en 2016. Selon les estimations du ministère de la Santé, le nombre des UDI composant la communauté des Personnes vivant avec le VIH (PVVIH) est donc en diminution. Ce qui amène Nicolas Ritter, directeur de PILS (Prévention, Information et Lutte conte le sida), à tirer la sonnette d’alarme : « Le risque que le virus se propage dans l’ensemble de la population est donc bel et bien réel… si ce n’est que le mal est peut être déjà fait ! Si l’épidémie concerne donc, de moins en moins, les UDI, ce sont les “autres” qui sont désormais directement concernés. » D’où, soutient le directeur de PILS, « l’urgence pour une action coordonnée et de dégager une réelle synergie entre tous les acteurs engagés dans la lutte contre le sida ! » Pour Nicolas Ritter, il est plus que temps de concrétiser le HIV & Drugs Council annoncé depuis le début de l’année par le Premier ministre. Car cela ne concerne plus que la Santé et les Ongs, mais également l’Éducation, la Sécurité Sociale, entre autres.

Nicolas Ritter retient que « ce sera encore plus complexe et délicat de “address the issue” à partir du moment que l’épidémie concerne l’ensemble de la population. » Car il s’agit là de la transmission par voie sexuelle, et cela touche dès lors l’intimité, la vie privée et sexuelle des uns et des autres. « Comment le faire sans heurter les sensibilités, en respectant l’intimité des personnes, et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour contrer un danger réel ? Tel est l’enjeu qui nous guette et qu’il nous faut tous ensemble, comprendre et résoudre », fait comprendre le responsable de PILS.

Dans les jours qui suivent, PILS organise sa quête annuelle pour marquer la World AIDS Day. De même, l’Ong a lancé la campagne #ESKITONNFERLI, en marge de la thématique internationale décrétée par l’ONUSida, “Know your status”. La campagne de PILS concerne une série de vidéos réalisées avec notamment des politiques et des personnalités qui parlent ouvertement du sujet. Ces clips peuvent être vus en tapant les mots suivants : https://www.youtube.com/results?search_query=eskitonnferli

Nicolas Ritter salue la participation de nos politiques qui ont accepté de jouer le jeu… « C’est déjà un bon début ! », dit-il. Par ailleurs, l’équipe de PILS sera ce samedi 1er décembre sur le parking de Winners’ de Camp Levieux pour une série d’activités à l’occasion de la Journée internationale du sida.

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