YATIN VARMA : Pas vraiment bien placé pour administrer des leçons de bonne conduite

Entre ses lettres quémandant « enn ti travay » dans des organismes paraétatiques alors qu’il était député et sa démission forcée en 2013, une mystérieuse histoire d’ingurgitation d’herbicide
Expulsé du PTr quelque temps après avoir coécrit avec Rama Valayden une tribune réclamant le départ de Navin Ramgoolam, le nouveau
président du Bar Council se verrait bien Attorney General

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Yatin Varma est devenu mardi le nouveau président du Bar Council. Une élection qui s’est jouée entre trois candidats, l’ancien Attorney General, lui-même, le Whip de l’opposition, Shakeel Mohamed, et l’outsider Jacques Tsang Man Kin. Autant pour lui, sauf que le président fraîchement élu du Conseil de l’Ordre s’est précipité pour annoncer sa feuille de route, en insistant lourdement sur l’intégrité et l’éthique. Or, il n’est pas vraiment bien placé pour administrer des leçons de bonne conduite à ses pairs. L’illustration par les faits.

Ce qu’il faut savoir de l’orientation politique de Yatin Varma, c’est qu’il a été expulsé du PTr en février 2020 après une série de sorties publiques visant Navin Ramgoolam et d’autres membres de la direction rouge après les résultats du scrutin du 7 novembre 2019. Il était un des rares à avoir trouvé que ces élections n’avaient pas été entachées de faits contestables et avait cosigné avec nul autre que Rama Valayden — dont il critique aujourd’hui les méthodes — une tribune publique pour réclamer le départ de Navin Ramgoolam suivant sa deuxième défaite personnelle à une élection. Yatin Varma dit même dans une interview à Week-End qu’il serait éventuellement candidat au poste de leader du PTr. Rien que ça!
Après son expulsion, le leader des rouges avait accusé Yatin Varma d’avoir tenu des propos peu amènes à l’endroit de son collègue de parti Satish Faugoo, alors qu’il était censé être le campaign manager du PTr au No 7 où son collègue était candidat. Comme il est devenu moins critique vis-à-vis du MSM et de Pravind Jugnauth, contre qui il avait pourtant consigné une déposition aux Casernes centrales en décembre 2012 pour avoir traité le gouvernement auquel il appartenait alors de «pédophile». Il avait aussi entamé une action judiciaire contre les amendements à l’ICT Act en 2018, les jugeant restrictifs pour les libertés individuelles et qu’il avait fini par retirer.
Certains pensent qu’avec ses manœuvres récentes, ses critiques contre le leadership du PTr, sa polémique avec Dev Virahsawmy sur Narendra Modi pour qui il a pris fait et cause, son profil correspondant aux sensibilités très socioculturelles du MSM, il se verrait bien Attorney General, poste qu’il a occupé de 2010 à 2013. Jusqu’à sa démission forcée du 18 juin 2013. Maneesh Gobin aurait alors tout le loisir de s’occuper à plein temps de l’Agro-Industrie.
Il faut dire que c’est très tôt que le jeune Yatin Varma, 25 ans, s’engage au PTr. Fonceur et déterminé, du genre à croire qu’il est promis à un grand destin en raison de son profil, et même pas contrarié par les grands événements de 1999, il est remarqué par Navin Ramgoolam qui lui octroie une investiture en 2000 à Mahébourg/Plaine-Magnien, alors même qu’il n’a pas encore été assermenté comme membre du barreau.
« Appoint me as legal adviser on a monthly retainer basis… »
Le vieux routier local Vasant Bunwaree mordant la poussière, le candidat Varma est lui aussi sèchement battu pour son baptême du feu. Déçu, certes, mais pas découragé, il continue à labourer le terrain. En 2005, il est élu en tête de liste devant Richard Duval alors que Vasant Bunwaree, considéré comme le pilier du No 12, finit bon troisième. Un malaise va naître de ces résultats, d’autant que lui reste sur le backbench de la majorité pendant que Vasant Bunwaree est fait ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Industrie.
Une rivalité ouverte va opposer les deux colistiers. C’est l’époque où des lettres du député du PTr, pas n’importe lesquelles, vont se retrouver sur la place publique. Adressées en 2006 à plusieurs de ses collègues ministres, il quémande du travail en ces termes: «I would be grateful if you could kindly consider appointing me as legal adviser on a monthly retainer basis to one of the institutions falling under your responsability.»
Lorsque l’affaire éclate et qu’elle fait grand bruit, le député Varma évoque une seule correspondance de cette nature, mais le leader de l’opposition d’alors, Paul Bérenger, circule, lors d’une rencontre avec la presse, de nouvelles lettres envoyées notamment au Medical Council.
Plus accablant pour celui qui se pose ces jours-ci en professeur d’éthique, c’est que suite à des questions parlementaires, le public découvrira que le député du PTr, qui expédiait des lettres à la ronde pour obtenir un job de Legal Adviser, était déjà conseiller légal de la SILWF, de la MFDC, de l’ICTA, du CEB et des municipalités de Quatre Bornes et de Vacoas/Phoenix.
Et, comble d’ironie, il fait tout ça pendant qu’il préside le comité parlementaire de l’ICAC. Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition réclame sa démission et une enquête de l’ICAC pour trafic d’influence allégué. Une enquête est bien diligentée, mais la commission conclut que la faute relève plus d’un manque… d’éthique qu’à un délit sous la POCA.
En 2010, lorsque le PTr est en alliance avec le MSM et le PMSD, Yatin Varma est sacrifié pour faire de la place à Mahen Jhugroo au No 12. Il est désigné comme campaign manager au No 5 avec promesse d’être fait Attorney General. Ce qu’il devient après les élections, ce poste pouvant aller à un non-élu avec une expérience dans le domaine légal.
Comme Attorney General, il envoie des signes contradictoires: il est pour la peine de mort tout en faisant voter une loi autorisant l’avortement dit thérapeutique et pilotant un texte sur la transplantation d’organes. A un colloque vendredi organisé à l’initiative du collectif Arc-en-ciel qui milite pour les droits des LGBTQ, Yatin Varma n’a pas hésité à se prononcer pour des modifications légales pour aller dans ce sens.
Il devra toutefois démissionner de son poste le mardi 18 juin 2013. Remplaçant au poste de leader de l’opposition Paul Bérenger, parti soigner son cancer en France, Alan Ganoo adresse une Private Notice Question au Premier ministre sur une affaire de subordination de témoins impliquant l’Attorney General Yatin Varma. Il réclame sa démission et l’obtient de Navin Ramgoolam. Une décision sans grande conséquence pour un non-élu, puisqu’elle n’est pas suivie d’une partielle.
Un mois plus tôt, le 4 mai 2013, éclatait une affaire d’accident survenu non loin de la résidence de l’Attorney General à Sodnac, au cours duquel l’Attorney General aurait asséné des coups de poing au jeune Florian Jeannot, dont la voiture aurait accroché sa BMW. Lorsque l’incident s’ébruite et que la victime commence à dénoncer publiquement le comportement de l’Attorney General, ce dernier vient se montrer avec un gros bandage à la télévision en se posant en victime.
L’affaire est entre les mains de la police, lorsque s’ébruite une information indiquant que Yatin Varma avait, par l’intermédiaire de ses amis parlementaires Maurice Allet et Reza Issack, tenté de négocier avec la famille Jeannot pour un retrait de plainte.
Petits cadeaux à la famille Jeannot
Les événements prennent une toute autre tournure avec des dépositions de Mario Jeannot, un proche du MSM et occasionnellement un traiteur pour le Sun Trust, indiquant qu’il n’avait pas reçu seulement des excuses de la part de l’Attorney General, mais la démarche était aussi assortie de petits cadeaux comme du chocolat et du mousseux et même de l’argent. Une somme de Rs 1,5 million est évoquée et récupérable auprès d’un certain Raj en Afrique du Sud.
Ces faits étalés en public et contraint à la démission, Yatin Varma se retrouve ce 18 jun 2013 dans un état déplorable et dans une certaine détresse psychologique. Victime d’un malaise, il est conduit à la clinique Darné. Il est alors établi que l’Attorney General démissionnaire avait ingurgité de l’herbicide et que c’est la présence de son ami Nuvin Unoop de la Voice of Hindu venu lui témoigner sa solidarité après sa démission qui a constaté qu’il «s’était trompé de flacon».
La version du dirigeant de la VOH est prise avec beaucoup de circonspection dans la mesure où d’autres informations émanant tant des services de santé que de la police indiquent que le principal concerné aurait admis avoir délibérément avalé une dose d’herbicide. Cette version étant contredite par Nuvin Unoop, la police va mettre sur le compte des effets de la substance les propos confus de l’attorney General démissionnaire.
A l’issue de l’enquête sur cette tentative d’entrave à la justice et de subordination de témoins, la CCID référera le dossier au DPP. Yatin Varma avait été arrêté et laissé en liberté contre une caution de Rs 20 000 et une reconnaissance de dette de Rs 100 000. Les autres protagonistes de l’affaire sont aussi sous le coup d’une inculpation provisoire.
Mais en avril 2014, le DPP décide de rayer les charges, faute de preuves concordantes, mais maintient celle de l’agression perpétrée par Yatin Varma et de conduite dangereuse à l’encontre de Florent Jeannot.
Dans un jugement rendu en juillet 2014, la magistrate Meenakshi Gayan-Jaulimsing avait jugé Yatin Varma non coupable. Le DPP avait un temps songé à interjeter appel, mais il n’a pas donné de suite à cette intention. Quant à Florent Jeannot, il a écopé de Rs 3000 d’amendes devant la magistrale Sophie Chui Yee Chong en décembre 2016 pour conduite dangereuse. Cela marquait la fin de cette triste saga.
Eh oui, c’est cet homme qui préside depuis mardi aux destinées de la profession d’avocat. L’élection au Bar Council s’est déroulée dans l’indifférence des ténors de la profession, ceux qui sont capables de belles envolées oratoires et d’impressionner magistrats et juges. Cela veut tout dire sur la santé du barreau.

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