Mario Ramsamy : « J’ai toujours été un provocateur »

De retour sur le sol mauricien pour un unique concert prévu ce 6 septembre à Casela, à l’initiative de Titanium Events, Mario Ramsamy se sent visiblement toujours connecté à ses racines. Le chanteur évolue en solo, sans Images, et en dix mois, il a signé plus d’une soixantaine de concerts en France, avec pour projets la sortie d’un album fin novembre, en plus d’un livre. Il travaille actuellement aussi sur un projet musical avec Joëlle Coret, Si to loin… avec un son musical qui implique notre mauriciannité. Sa réussite, Mario la doit à son côté provocateur et à l’aboutissement d’une forme de résilience en tant qu’enfant issu de Cité Roche-Bois. Pour lui, sa vraie rencontre avec les Mauriciens, c’est maintenant à travers sa carrière solo.

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Vous êtes présent à Maurice pour un concert le 6 septembre, vous permettant une reconnexion avec votre île natale. Quel sentiment éprouvez-vous ?
Je suis parti d’une idée que nul n’est prophète dans son pays. C’est pour cela que je me suis fait tout petit ces dix dernières années, où je n’ai pas mis les pieds à Maurice. Et il se trouve que ce sont mes fils, qui sont moitié mauricien, moitié français, qui m’ont dit : « Papa, il va falloir rentrer dans ton pays un jour. »

Je leur ai répondu : « Je ne sais pas comment. » Après toutes ces années de show-biz, je ne sais pas si c’est politiquement parlant, ou si c’est voulu. J’ai l’impression qu’on m’a brimé par rapport aux médias. Et le fait qu’il y ait un Mauricien (Moshin Moossa, de Titanium Events, NdlR) qui s’intéresse à me faire venir ici à Casela en concert m’a permis de faire un bond. Et je me suis dit : « Enfin. Peut-être que ma vraie rencontre avec les Mauriciens, c’est maintenant. »

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Vous m’avez rencontré musicalement, mais vous ne me connaissez pas vraiment. Je suis un homme heureux de revenir dans le pays où je suis né. La mentalité mauricienne est devenue plus européenne, les infrastructures sont bétonnées. Mais Maurice garde ce côté très proche de la terre, de notre philosophie religieuse, qui a un impact fort sur notre île. J’espère qu’on continuera de se dire qu’on est créole, hindou, chinois, indien, blanc, mais d’une seule voix, Mauricien avant tout.

On voit deux aspects de vous : le Mario de ces années de lumière avec Images, et le Mario d’aujourd’hui, qui mène une carrière solo. Cette transition, et surtout le fait d’être seul dans votre nouvelle quête musicale, est-ce un peu comme un manque, une sorte de sensation d’avoir loupé un truc ?
Non, je n’ai pas de manque, car dans ma vie, tout a été une évolution forte. En 1986, quand j’ai fait Les démons de minuit avec le bassiste Christophe Després et le batteur Jean-Louis Pujade, je partais de Cité Roche-Bois. De là, j’ai été projeté sur la scène du show-business du jour au lendemain, sans savoir ni comment, ni pourquoi, cela se passerait pour moi, et surtout si j’aurai une quelconque considération en France. Sur tout ce qui m’a surpris, c’est d’avoir vendu 40 000 disques par jour pendant trois mois et demi en France. Cela voulait dire que 50 millions de singles se trouvaient dans les foyers français, soit un par foyer, et cela m’a touché.

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J’ai pensé qu’après ce succès, on allait m’oublier, et c’est là que je dis que le Mauricien a le sourire extrêmement fort, extrêmement marquant. Je pense que j’ai marqué chaque foyer français aujourd’hui, et que sans Jean-Louis, le batteur du groupe Images, sans Emile Wandelmer, du groupe Gold, le jour où j’ai décidé de partir seul, cela fait dix mois, je suis resté présent dans leurs cœurs. En dix mois, j’ai signé plus d’une soixantaine de concerts en France. De plus, j’ai un album à venir, qui sortira fin novembre/début décembre.

Justement, parlez-nous de la couleur de cet album ! Vers quel style s’orientera-t-il ? Et quid de votre livre, à paraître, et qui fait aussi partie de vos projets ?
Je voudrais raconter ma petite expérience de vie en tant que Mauricien, d’où je sors, les études que j’ai faites et comment j’ai pu m’intégrer en Europe. Finalement, je me sens plus citoyen du monde que juste quelqu’un ayant une appartenance à un pays. Quand j’ai décidé de partir seul en Europe, j’étais un homme en proie à douter d’absolument tout, et cela m’a empêché d’avancer. Le jour où j’ai été père de deux enfants, je n’ai plus eu de doutes de ce que j’étais. J’ai eu mes enfants tardivement, l’un à 28 ans et l’autre 30, et je dis à tous les Mauriciens : « Enlevez les doutes qui vous accaparent ! Soyez forts et regardons la vie en face ! »

La vie est belle. J’ai fait des sacrifices pour arriver là où j’en suis en France. J’ai mis mon ego de côté pour pouvoir être en résilience vis-à-vis de Jean-Louis et Emile qui, eux, étaient dans le métier. Quand on est en Europe, il faut agir comme un Européen. Cela peut être vénal, mais il faut savoir profiter d’une situation qui se pose face à soi. Il faut savoir aussi être égoïste. Le Mauricien n’est pas égoïste…

Avez-vous eu un clash avec Images au point d’envisager cette séparation ?
Il n’y a eu aucun clash, juste que j’ai fait Images et qu’à un certain moment, en faisant un concert à Tour, il y avait Emile qui avait quitté son groupe Gold et fait notre première partie. Et il ne s’est pas passé grand-chose par rapport à lui. Je suis monté sur scène, il y a eu une émulsion au niveau du public qui était explosif, et à la fin, il vient me voir et me dit : « Laissez-nous chanter jusqu’au bout de la nuit. »

Il avait déjà réfléchi à cela, moi pas. C’est ce côté d’avoir un coup d’avance. Les gens te voient, mais toi, tu ne les vois pas arriver. Il faut savoir aussi être opportuniste. Nous, Mauriciens, dans la nature perdue dans cette petite île, nous n’avons pas cette foi. Nous avons une foi amicale, familiale, mais pas à mener une guerre face à son propre caractère, face à ce que l’Europe est… Il y a une façon à Maurice d’articuler les choses tout en gardant notre authenticité. Ce que la France aime chez moi repose sur mon authenticité et ma franchise.

Sortir d’un endroit comme Cité Roche-Bois pour faire une percée musicale en France est exceptionnel. Quel a été l’élément déclencheur ?
J’ai toujours été un provocateur. En premier lieu face à ma famille. Après mon HSC, mon père collait les affiches pour un parti politique, et j’ai eu un poste, allons dire pistonné, dans une boîte d’assurance, où je suis resté un mois. Au bout d’un mois, un gars m’a dit que le Club Med était à la recherche d’un chanteur. Chanter, c’était déjà ma vie. Je chantais du Mike Brant. J’avais 13 ans. Et j’ai eu pour famille d’accueil, à Mount, les Thomas. Ce qui m’a évité de devenir ce qui m’était destiné de devenir à Cité Roche-Bois.

Grâce à cette famille, j’ai appris la musique, à chanter, notamment Laisse-moi t’aimer, de Mike Brant. Il y a eu mon premier radiocrochet, puis, quelques années plus tard, je me suis retrouvé dans l’émission de Patrick Sébastien, une pointure de l’époque. Et me voir chanter avec les musiciens de Mike Brant est encore pour moi un instant mémorable.

Mike Brant a donc été votre référence musicale… Jusqu’où sa voix vous a-t-elle porté ?
La voix de Mike Brant était pour moi l’essence même de ce que voulait dire savoir chanter et de maîtriser le son, la langue française sans accent… Je pense que cette réadaptation, nous avons tous cela en nous. C’est juste qu’il faut être en éveil avec cela.

Il y a aussi cette anecdote avec une fan qui avait neuf ans à votre première rencontre et qui, adulte, est revenue voir un de vos concerts. C’est votre compagne aujourd’hui. Vous croyez aux signes du destin ?
Effectivement. Sandra est ma compagne aujourd’hui. Cela remonte à l’époque où j’étais en tournée avec le groupe Images. Son père et sa mère étaient fans de moi, et elle avait neuf ans. Je l’ai prise dans mes bras pour une photo, et il y avait ses parents à mes côtés… Les familles françaises ne sont pas comme les familles mauriciennes. Nous faisons des enfants en France sans se sentir obligés de les suivre. Alors qu’à Maurice, les familles se sentent encore obligés de suivre leurs enfants, car ils gardent encore le cordon ombilical.

Donc, quelques années plus tard, alors que j’étais en concert à Bordeaux, une voix m’interpelle : « Monsieur, c’est moi. J’ai fait une photo avec vous quand j’étais petite. » Je regarde la photo et je remarque qu’elle n’a pas changé, et c’est ce visage qui n’a pas changé dans ma tête qui m’a plu. Je lui ai posé des questions, et elle n’avait plus personne, ni même ses parents. Je lui ai parlé de ses études, et elle était perdue. Alors j’ai appelé mon comptable et lui ai demandé si je serai exonéré d’impôt si je payais ses études et son appartement, ne connaissant en effet pas les lois fiscales françaises. C’est ainsi que j’ai pu l’aider, car l’argent sert aussi à cela.

Je l’ai aidée pendant six ans à payer ses études, son appartement… Elle est aujourd’hui Docteur en mathématiques appliquées en épidémiologie, et je suis fier de Sandra. Je ne peux pas dire que j’étais amoureux d’elle, mais elle, si, car dans son regard, j’ai vu une étincelle, et peut-être que j’ai senti un regard sincère. Car même avec mon ex-épouse, je n’ai jamais ressenti cet amour universel. Je ne parle pas d’amour entre un homme et une femme, mais d’un amour universel, plus humain que ce que j’ai jamais ressenti, et j’étais bouleversé.

Elle travaille dans un institut de recherches sur le cancer, et je suis fier d’elle. Nous n’avons pas d’enfants, car j’en ai déjà deux et je n’ai pas souhaité en avoir d’autres en dehors de mon premier foyer, car je trouve cela injuste d’avoir des demi-frères et demi-sœurs. C’est difficile dans ce monde d’élever des enfants. Il faut dire que j’ai été obligé de mener ma propre guerre pour faire justice en France. Mes enfants se sont fait battre et voler dans la rue quand ils avaient 15 ans, et je me suis vu obligé de payer des gens pour mettre la main sur les coupables. Je n’ai pas honte de le dire, car la justice en France, c’est impossible. J’ai finalement réussi à mettre la main sur ces gars, et ils se souviennent toujours qu’avec moi, il ne faut pas déconner.

Vous avez mûri artistiquement avec des projets plus ciselés pour 2024. Mais, pour ce nouvel envol musical, à quoi votre public doit-il s’attendre ?
L’humain. Nous sommes comme nous sommes, mais nous faisons ce que nous sommes. Nous nous aimons comme nous sommes, mais au fait, nous nous plaisons. D’ici ou d’ailleurs, nous ne sommes pas différents, nous sommes tous frères et sœurs, tous un peu parents, depuis la nuit des temps. Nous avons la même couleur de cœur, c’est un peu cela ma mission.

Cette ritournelle renvoie un peu à cette « Métisse » que Zulu et vous avez chantée en duo. Qu’en est-il de votre amitié avec Zulu ?
C’est plus profond avec Zulu. C’est un gars de Mahébourg, je suis de Cité Roche-Bois et j’ai réussi en Europe. Si cela pouvait le faire démarrer ici, c’était vraiment une main tendue, et je suis fier que ce gars soit resté très « culturel » dans sa musique. Il est un peu devenu une star, c’est le b.a.-ba de l’humain. Je suis fier d’avoir participé à une chanson qui a réveillé tous les sens musicaux des Mauriciens. D’ailleurs, j’adore l’écriture de Zulu. C’est un furieux de la vie, un conquérant. C’est juste qu’il faut de temps en temps un petit coup de pouce de gauche à droite, car on n’a pas l’encadrement voulu à Maurice.

Je suis content de voir Maurice dans une avancée économique et de voir les jeunes s’intéresser à la culture et dans la promotion des artistes, même si, malgré l’inflation, Maurice ne pourra jamais se payer d’artistes de grosse pointure, à l’instar de Coldplay, alors qu’en France, c’est possible. Par chance, il y a encore des sponsors qui sont là pour pouvoir faire avancer la chanson et la culture mauriciennes. C’est pour cela je suis d’ici et d’ailleurs, sinon je n’aurai jamais pu, en tant que Mauricien, venir à Maurice et chanter pour les Mauriciens.

Avec du recul, votre côté provocateur s’est-il apaisé ?
Non. Je continue d’être un provocateur, et cela depuis que j’ai provoqué cette mise en situation de partir de Cité Roche-Bois pour chanter Mike Brant. J’ai provoqué mon père en déclinant le poste qu’il m’avait décroché après avoir collé tant d’affiches pour les politiciens et partir au Club Med pour Rs 450 par mois. Je savais que j’allais pouvoir quitter Maurice un jour ou un autre, car c’était le passeport qui m’intéressait, avec un visa dessus pour pouvoir aller jusqu’au bout de mes rêves, chanter pour les Européens. J’ai provoqué cela.
Idem lorsque j’ai provoqué Emile et Images, et maintenant, je me provoque moi, Mario Ramsamy en solo. Je joue pour ma culture, pour sortir de mon africanité et mettre cela en valeur pour donner des exemples aux enfants mauriciens sans mettre une couleur quelconque sur les enfants, car nous sommes tous des Mauriciens. Avec pour exemple, Yes, we can. Je veux aller jusqu’au bout de cette idée et je ne veux pas rester dans l’histoire, mais laisser un état d’esprit et une façon de penser.

Quel est votre regard actuel sur Maurice et votre message pour les artistes mauriciens ?
Nous ne croyons pas suffisamment en nous. Le problème, c’est ce manque de foi en soi. Est-ce que notre système d’éducation et le système dans lequel nous vivons permettent d’avoir cette foi ? Ce sont toutes ces questions que je pose aux Mauriciens. Est-ce qu’on vous permet de penser librement et vous donner les moyens pour y arriver en étant sincère avec soi ? C’est de là que réside mon message de cœur. Le fait de ne pas se la raconter est la plus belle bénédiction du ciel.

Après Zulu, j’étends ma collaboration musicale à Joëlle Coret. Elle a écrit un texte qui, pour moi, implique les Mauriciens en leur permettant de croire en nos histoires. Quand Joëlle m’a raconté son histoire, seule à élever un enfant, je me suis dit que c’était une vraie raison pour aider une artiste. Avec cette chanson, Mem si to loin, en reggae, on m’a dit : « Mario, toi… tu fais du reggae. »

Je vais dans un son musical qui implique notre mauriciannité. Nous avions eu Kaya, mon voisin de Cité Roche-Bois, avec du seggae, et il a été inventif. Je trouve qu’un endroit comme Cité Roche-Bois est prolifique. Il y a là-bas un foisonnement de talents. Peut-être qu’il faudrait écouter davantage cette petite cité laissée pour compte.

Mario, s’il fallait en un seul mot résumer votre carrière, ce serait lequel ?
L’aboutissement des mots. L’aboutissement d’une forme de résilience en tant que Rocheboisien, et cette réussite que j’ai eue en Europe, parce que je l’ai provoquée. D’où le mot « provocation », que j’évoquais un peu plus tôt. Et ce regard que le Mauricien a sur moi quand je vais manger au restaurant mauricien à Paris.

Je fréquente les quartiers mauriciens, je mange toujours du biryani, des dholl puri, du piment écrasé… Pour dire que c’est ma culture et que cela le reste. E an plis, mo konn koz kreol bien… L’important est de rester authentique. Zordi, bann Afrikin pe fer sega, nou pa kapav fer sega nou… C’est pour cela que je produis Joëlle Coret. Je veux qu’avec un titre en kreol, nous prenions un son du séga africain, que nous le chantions en kreol et que nous le sortions en Europe.

Nous pouvons mettre en avant notre langaz morisien. Nou langaz, mo kontan twa. N’importe quel Français comprend cela. Idem pour Kot to pe ale ! Le mot « aller » est français. Il faut réfléchir et, surtout, être malin. Quand nous avons de bonnes idées derrière un texte, Mem si to loin, to mazine ki porte sa ena dan leker sak Morisien. Si jamais je réussis ce titre pour Joëlle, pour moi, ce sera un honneur de le mettre en valeur.

« De tout ce qui m’a surpris, c’est surtout d’avoir vendu 40 000 disques par jour pendant trois mois et demi en France. Cela voulait dire que 50 millions de singles se trouvaient dans les foyers français, soit un par foyer, et cela m’a touché »

« Le fait qu’il y ait un Mauricien (Moshin Moossa, de Titanium Events) qui s’intéresse à me faire venir ici en concert m’a permis de faire un bond. Et je me suis dit : “Enfin. Peut-être que ma vraie rencontre avec les Mauriciens, c’est maintenant.” »

« Je voudrais raconter ma petite expérience de vie en tant que Mauricien, d’où je sors, les études que j’ai faites et comment j’ai pu m’intégrer en Europe. Finalement, je me sens plus citoyen du monde que juste quelqu’un ayant une appartenance à un pays »

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