À Jacquemine, à ton sourire taquin et bienveillant

DOMINIQUE BELLIER

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Une enfant du pays, Jacquemine Latham Kœnig, a rendu son dernier souffle dimanche 27 novembre, dans une unité de soins palliatifs de l’hôpital Jean Jaurès à Paris. Son fils Vincent apporte ce témoignage qui lui ressemble tant : « Jacquemine était tranquille, sereine et surtout lucide jusqu’au bout. C’était important pour elle et elle a pu profiter de ses derniers jours en toute conscience… Chaque jour pendant plusieurs semaines, elle a reçu des visites et des appels de toutes parts. Elle me racontait ces visites qui lui apportaient le carburant de ses journées. »

Ceux qui l’ont aimée, ceux qui ont œuvré avec elle aux soins des adolescents dans un hôpital de jour, ceux qui l’ont connue en tant que psychanalyste ou qui ont travaillé avec elle au sein de l’association Analyse freudienne ont pu lui rendre une dernière visite ce mardi 6 décembre, au crématorium du Père-Lachaise, à Paris.

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Souvenir d’un moment de convivialité à Maurice, offert par Nathalie Kœnig

La lucidité jusqu’au bout, la puissance et la force de l’esprit font partie des qualités qui ont impressionné tous ses proches, tout au long de sa maladie, à l’instar de sa sœur, Marie-Ange Piat, qui exprime une admiration infinie pour le courage dont elle a fait preuve. Jusqu’à très récemment, elle continuait de suivre des patients en analyse et en septembre dernier, elle participait au congrès annuel d’Analyse freudienne. Robert Levy, avec qui elle a partagé la présidence de cette organisation témoigne, qu’à la veille de sa mort, ils ont échangé, dans sa chambre, sur un des thèmes au programme de leurs activités.

« Jacquemine, nous dit-il aussi, n’a jamais coupé le lien avec son travail et avec la psychanalyse… Durant toutes ces années où nous avons collaboré, elle était quelqu’un avec qui je pouvais discuter à bâtons rompus à peu près de tous les sujets, même si nous n’étions pas d’accord, et d’ailleurs parfois nous parvenions à nous faire changer d’avis mutuellement. Elle n’érigeait pas la psychanalyse en religion ou en nouvelle croyance. Elle avait un talent particulier à adopter une position de doute et d’incertitude qui nous faisait avancer dans la réflexion. Elle avait aussi un talent de transmission et de pédagogie tout à fait impressionnant. Et puis, elle savait écouter toutes les positions qui pouvaient se présenter, fussent-elles différentes,

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sans aucun esprit de clan. En tant qu’analyste, je lui ai adressé pas mal de patients, car elle savait les accueillir avec une écoute d’une exceptionnelle humanité. »

La psychanalyse à Maurice

À Maurice, les psychologues et thérapeutes gardent un vif souvenir des deux grands colloques organisés grâce à elle, par Analyse freudienne conjointement avec la Société des professionnels en psychologie et l’Université de Maurice, et qui ont réuni ces spécialistes avec des universitaires, des artistes, écrivains et intellectuels de Maurice et d’ailleurs sur des champs de recherche aussi cruciaux pour notre pays que « L’inconscient et les langues » en 2005, puis « Identification de la violence, Violence de l’identification » en 2010. Il en reste deux passionnants recueils des différentes interventions données lors de ces rencontres, publiées pour le premier colloque par Les carnets de la psychanalyse, puis aux Éditions du crépuscule pour le second. Jacquemine a par ailleurs régulièrement publié dans la revue d’Analyse freudienne, ou encore dans les Cahiers de Ville d’Avray.

Le regard d’une fleur…

Ambitionnant d’introduire la psychanalyse à Maurice, elle a aussi décidé de revenir au pays, en 2008, non seulement pour y exercer, mais aussi en animant un séminaire de psychanalyse mensuel ouvert à tous, qui s’est tenu une fois par mois notamment au Centre Charles Baudelaire, puis à l’Institut français de Maurice, de 2008 à 2015. Elle le proposait en collaboration avec une jeune psychanalyste tout juste rentrée au pays, Ariana Cziffra, et sur des thèmes choisis en écho aux programmes d’Analyse freudienne. Des intervenants extérieurs y étaient invités, tels que Brigitte Compain, membre de l’École Lacanienne ou encore Patrick Delaroche, avec qui Jacquemine a codirigé l’hôpital de jour de Ville d’Avray…

Il faut savoir en effet que Jacquemine Latham-Kœnig a consacré environ trente-cinq ans de sa vie au soin des adolescents en difficulté psychique dans cet hôpital spécialisé de Ville d’Avray, qu’elle a rejoint au début des années 70 en tant que psychologue clinicienne. Créé en 1964, cet établissement est né dans la mouvance de nouvelles expériences prometteuses, qui ont fleuri dans les années 50 et 60, dans le domaine de la santé mentale, sous l’impulsion de personnalités telles que Jacques Lacan, Françoise Dolto, Jean Oury et Félix Guattari.

Une expérience originale et fondatrice…

Cet hôpital accueillait en journée des jeunes souffrant de troubles psychiques, âgés de 13 à 20 ans, qui avaient tous en commun la volonté et la capacité de poursuivre leurs études secondaires de la 5è à la terminale. Sous tutelle du ministère de la Santé, cet établissement spécialisé pouvait prendre en charge 54 adolescents à la fois, qui étaient encadrés par 18 psychologues, 4 médecins psychiatres et deux rééducatrices/orthophonistes. Les psychologues étaient recrutés notamment en fonction de leur capacité à également prodiguer un enseignement aux patients… En Mauricienne parfaitement bilingue, Jacquemine assurait par exemple les cours d’anglais jusqu’à la terminale, en plus de ses responsabilités de psychologue. Des ateliers d’art, d’artisanat et de culture figuraient aussi en bonne place à côté des programmes scolaires. Lorsque la directrice est partie en retraite, Jacquemine a relevé le défi de lui succéder, et ce fut un succès. Collègue et amie, militante dans la même organisation syndicale qu’elle, la psychologue Odile Mourre nous raconte que cette période où Jacquemine partageait la direction avec le Dr Patrick Delaroche a été, de l’avis de ses consœurs et confrères des plus enrichissantes, car cette direction a su maintenir un cadre thérapeutique et éducatif consistant, avec une grande rigueur et toujours dans le respect du travail de chacun, patients comme personnel soignant.

Jacquemine et son fils Vincent Henderson

Odile nous confie : « La dernière fois que j’ai vu Jacquemine, dans l’unité de soins palliatifs, elle était très heureuse de m’annoncer qu’une ancienne collaboratrice, avec qui elle avait eu des conflits à l’époque, venait de l’appeler pour la remercier chaleureusement pour tout ce qu’elle lui avait appris… Cette institution a été très forte pour tous ceux qui y sont passés. C’était une expérience originale fondatrice, où l’on prenait autant au sérieux l’aspect clinique que la scolarité des jeunes que nous admettions, et qui ne voulaient pas perdre leur temps. » La rigueur avec laquelle les enfants étaient suivis, s’appuyait sur des fondements théoriques précis. Tous les psychologues avaient pour obligation de suivre une cure analytique. Et s’ils ne pratiquaient pas à Ville d’Avray en tant que psychanalystes, leur travail était imprégné des acquis de cette discipline. Chaque patient/élève était admis par un psychologue et un médecin, qui devenaient ses interlocuteurs privilégiés pour son suivi jusqu’à sa sortie et pour tout problème qui pouvait se poser. Ce binôme ne pouvait les avoir en classe, pour qu’il n’y ait pas d’interférence dans leurs relations. Les psychologues et psychiatres se réunissaient très régulièrement pour faire le point sur l’évolution des jeunes patients. « Les grands ados étaient souvent dépressifs et trop fragiles pour aller au lycée. Les plus petits avaient quant à eux des pathologies plus lourdes, mais aucun n’avait de déficience intellectuelle importante et tous avaient envie d’aller à l’école. Nous étions

très attachés à ce qu’ils ne décrochent pas de leur scolarité. » De nos jours, même s’il reste quelque chose en chacun de ces pratiques où le patient est réellement au centre des préoccupations, cette institution est en butte aux mêmes problèmes que l’ensemble du secteur de la santé en France où la rentabilité est devenue un mot clé…

Et en dehors du travail ? Sa sœur Marie-Ange vous dirait : « Jacquemine pratiquait exclusivement les sports intellectuels ! » Personnellement, j’adorais aller au cinéma ou dans des expositions avec elle, car les conversations qui s’ensuivaient étaient toujours passionnantes. Elle aimait tous les arts et y voyait probablement plus de sens caché que le commun des mortels. Il n’est pas étonnant qu’elle ait aimé, alors qu’elle étudiait encore, un Maître de conférence en littérature française, du nom d’Elliot Henderson, néo-zélandais lui-même fils de la grande écrivaine et éducatrice Sylvia Ashton-Warner. De cette union, est né Vincent, qui a aujourd’hui deux grands enfants, Raoul, 22 ans, qui étudie la physique fondamentale à l’École Normale Supérieure Paris-Saclay et Léonore, 17 ans, qui termine son cycle secondaire consacré au design et aux arts appliqués. Jacquemine est née le 6 novembre 1943 à Quatre-Bornes d’Irène et de Henry Latham-Kœnig, notaire et homme politique. Aînée d’une famille de six enfants, elle a vécu la plus grande partie de son enfance dans le quartier le plus verdoyant de Rose-Hill, trouvant là sans doute les premiers trésors qui ont commencé à composer son jardin secret…

Jacquemine, nous n’oublierons jamais les petites fossettes qui apparaissent quand tu nous offres ton magnifique sourire, à la fois taquin et bienveillant.

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