K. Gujadhur Président de l’Air Mauritius Retirees Association (AMRA)
Une décision brutale en 2021 : la clause d’indexation suspendue
Fin 2021, dans le cadre de la mise sous administration volontaire (DOCA) d’Air Mauritius, une décision d’une extrême gravité a été prise : suspendre l’application de la clause statutaire d’indexation automatique des pensions, qui garantissait depuis 1981 une revalorisation annuelle de 3 % à 5 % en fonction de l’inflation. Cette suspension, approuvée par le Board of Trustees et justifiée par les administrateurs au nom de la Schedule 4 de l’Insolvency Act de 2009, a plongé des centaines de retraités dans une précarité grandissante, en violation des textes de loi et du simple bon sens humain.
Par une perte de pouvoir d’achat insupportable
Entre 2021 et 2024, l’inflation cumulée dépasse 30 %. Pendant ce temps, les pensions sont restées figées. Cela représente une perte réelle et directe du pouvoir d’achat des retraités. Un retraité touchant Rs 20 000 en 2021 aurait dû percevoir Rs 26 000 pour conserver son pouvoir d’achat. Or, la revalorisation réelle a été quasi nulle. Avec un ajustement fictif de 0,25 %, la hausse mensuelle atteint Rs 50, une somme dérisoire. La majorité des retraités touchent ainsi moins de Rs 50 d’ajustement mensuel. Leur niveau de vie s’effondre.
Des protections juridiques ignorées
Contrairement à l’interprétation donnée par les administrateurs, nos analyses juridiques convergent clairement : les retraités d’un régime à prestations définies ne peuvent être assimilés à de simples créanciers. Selon la Private Pension Schemes Act de 2012, les actifs du fonds de pension sont distincts de ceux de la compagnie. Les retraités sont bénéficiaires, non créanciers. Cela signifie que les actifs du fonds ne peuvent être utilisés pour régler d’autres dettes commerciales. En droit fiduciaire, ces actifs doivent uniquement servir au paiement des pensions.
Violations du devoir fiduciaire
En 2019, le déficit du fonds de pension était estimé à Rs 1,6 milliard. En deux ans, ce déficit a grimpé à Rs 5,05 milliards, notamment à cause du départ contraint de 142 employés. Le Board of Trustees n’a pas agi pour prévenir cette aggravation. Ce manquement à leur devoir fiduciaire constitue une faute grave. Dans ces conditions, il est inacceptable de reclasser les retraités comme simples créanciers non garantis.
Une responsabilité multiple et un combat national
Le gouvernement au pouvoir depuis 2014, les organes régulateurs, la direction précédente de MK et le Board of Trustees ont tous une part de responsabilité. Il est temps d’agir. Des solutions existent : restauration progressive des droits d’indexation, création d’un fonds de secours public pour les régimes défaillants, recours à des mécanismes d’innovation financière pour soutenir durablement les caisses de retraite.
Un changement positif : transparence et dialogue
Sous la direction actuelle de M. Dass Thomas, la direction d’Air Mauritius a enfin entamé un dialogue sincère avec l’AMRA. Un protocole d’accord est à l’étude, visant une solution équilibrée qui respecte les contraintes économiques tout en protégeant les droits des retraités.
Scénarios de redressement équilibrés proposés
L’AMRA a déjà soumis plusieurs propositions réalistes à la direction d’Air Mauritius pour un réajustement progressif et viable des pensions, notamment :
- Indexation partielle selon disponibilité : introduction d’un taux d’ajustement annuel modulé en fonction des excédents du fonds, plafonné à 3 %.
- Rétroactivité partielle : un réajustement rétroactif sur la base d’un taux moyen pondéré depuis 2021, à répartir sur 3 à 5 ans.
- Traitement différencié selon les tranches : priorité aux pensionnés percevant moins de Rs 25 000, avec des taux d’ajustement plus élevés pour les plus vulnérables.
- Mobilisation d’un fonds de secours public : création d’un mécanisme étatique d’appui ponctuel pour couvrir les déficits les plus aigus.
- Arbitrage indépendant : recours à un médiateur indépendant pour garantir la transparence des décisions du Board of Trustees.
Ces mesures ne visent pas à alourdir les charges structurelles d’Air Mauritius mais à restaurer progressivement la confiance, la dignité et la justice.
Une problématique nationale :
et les corps parapublics ?
Le cas d’Air Mauritius reflète une crise plus large. Plus de 70 corps parapublics font face à un déséquilibre croissant de leurs régimes à prestations définies. Sans réforme du système, des milliers de retraités vivront la même précarité. Une stratégie nationale de réforme des pensions est urgente.
Cadre juridique mauricien bafoué
Plusieurs textes de loi mauriciens sont directement enfreints par la décision de suspendre la clause d’indexation des pensions chez Air Mauritius :
- Code Civil mauricien :
Le contrat fait la loi des parties. La clause d’indexation est un engagement contractuel entre le fonds et les bénéficiaires. Sa suspension unilatérale constitue une violation contractuelle.
- Private Pension Schemes Act (PPSA) 2012 :
Cette loi impose la séparation stricte entre les actifs de la société et ceux du fonds de pension. Les pensions doivent être gérées en fiducie dans l’intérêt exclusif des bénéficiaires, non des créanciers.
- Workers’ Rights Act:
Cette législation protège les droits acquis des travailleurs et des retraités, y compris les prestations de retraite prévues par contrat ou convention collective.
- Constitution de la République de Maurice :
L’article 9 interdit tout traitement inhumain ou dégradant. Priver des retraités âgés de revenus essentiels constitue une atteinte à leur dignité humaine.
- Jurisprudence de la Cour suprême :
– Tyack v/s Air Mauritius (Juge Domah) : « Il n’y a pas de pire inhumanité que d’ôter à un vieil homme la certitude d’un revenu qu’il a patiemment acquis au cours d’une vie de labeur. »
– Lesage v/s MCB : confirmé que les droits à pension ne peuvent être arbitrairement modifiés.
Mungroo et autres v/s État : la Cour suprême a réaffirmé la protection constitutionnelle des engagements contractuels en matière de retraite.
– Jugement Meea v/s State Trading Corporation: le non-respect des droits des retraités peut ouvrir la voie à des dommages constitutionnels.
Ces violations appellent non seulement à une réparation immédiate, mais aussi à une réforme urgente du cadre de gouvernance des fonds de pension à Maurice.
Conclusion : redonnons leur dignité à ceux qui ont bâti notre pays
Les retraités d’Air Mauritius ont servi avec loyauté. Ils ont contribué à l’essor économique, au rayonnement du drapeau national et à la formation des générations suivantes. Ils ne demandent ni privilège ni faveur, mais le respect des engagements contractuels pris à leur égard. C’est une question de justice, d’éthique, et de morale publique.
Témoignages de retraités : la réalité derrière les chiffres
Marie-Claire R., ancienne hôtesse de l’air :
« J’ai servi Air Mauritius pendant 32 ans avec passion. Ma pension me permettait de vivre décemment. Aujourd’hui, avec la flambée des prix, je dois choisir entre mes médicaments et mon alimentation. Ce n’est pas la retraite que j’avais imaginée. »
Ashok B., ex-mécanicien avion :
« Je vis avec Rs 18 000 par mois. En 2021, cela suffisait. Aujourd’hui, c’est une lutte permanente. L’électricité, les médicaments, la nourriture – tout a augmenté sauf ma pension. On nous traite comme des chiffres, pas comme des êtres humains. »
Jean-Marc D., ex-cadre au sol :
« L’indexation de la pension n’était pas un luxe, c’était une promesse. J’ai accepté de cotiser sur cette base toute ma carrière. Quand cette clause a été suspendue sans consultation, j’ai eu le sentiment d’être trahi. »
Aisha M., retraitée depuis 2010 :
« Nous avons donné nos meilleures années à construire la compagnie nationale. Aujourd’hui, nous sommes abandonnés, marginalisés. C’est une grande injustice. »