Ajit Kumar Gujadhur
La présentation du dernier budget s’inscrit dans un contexte économique complexe, marqué par un endettement public élevé, des déséquilibres structurels persistants et des défis démographiques majeurs. Dans ce cadre, le discours budgétaire adopté reflète une approche sobre et réfléchie, empreinte d’un souci réel pour la stabilité financière future du pays. L’intention clairement exprimée de réduire la dette publique en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) et de contenir les déficits budgétaires est à la fois louable et impérative.
Dette publique : une priorité de redressement
Le niveau actuel de la dette publique dépasse largement les seuils habituellement considérés comme soutenables pour une économie de la taille de Maurice. Le ratio dette/PIB reste préoccupant, même si certaines justifications ponctuelles peuvent être avancées, notamment les dépenses exceptionnelles liées à la pandémie. Ce ratio constitue un indicateur critique de la solvabilité de l’État, et il est de bon sens économique de chercher à le ramener à un niveau plus conforme aux normes de viabilité.
Dans cette perspective, la trajectoire annoncée de réduction de la dette mérite d’être soutenue. Toutefois, elle appelle également à une discipline budgétaire renforcée, à une meilleure efficacité de la dépense publique, et à une croissance économique plus inclusive.
Poids croissant des pensions dans les finances publiques
Une part très importante du budget est consacrée aux dépenses de pension. Ce phénomène s’explique par le vieillissement démographique, l’élargissement du champ des prestations sociales, mais aussi par une série de mécanismes inefficients accumulés au fil des années.
L’un des paradoxes les plus marquants du système actuel réside dans le fait que la pension universelle de vieillesse est versée dès l’âge de 60 ans, alors même que l’âge officiel de la retraite, dans la majorité des régimes, est fixé à 65 ans. Cela signifie qu’un individu peut légalement continuer à exercer une activité rémunérée tout en percevant sa pension pendant cinq années supplémentaires. Cette situation crée une pression inutile sur les finances publiques, tout en posant un problème d’équité entre les générations. Il faut saluer le courage politique nécessaire pour s’attaquer à cette anomalie structurelle. La récente décision de restreindre cette possibilité est une étape importante vers une meilleure cohérence du système.
3. Le CSG : un modèle à clarifier
L’un des aspects les plus controversés des finances sociales demeure la Contribution sociale généralisée (CSG), introduite pour remplacer le système antérieur de pension basé sur la contribution tripartite. La CSG est fondée sur une philosophie différente – plus proche d’un impôt que d’un régime contributif à droits différés. Elle rompt ainsi avec le principe fondamental de la réciprocité entre cotisations versées et prestations reçues.
Ce système hybride a introduit de nombreuses contradictions : les cotisants n’ont pas de droits acquis clairement définis, les règles d’éligibilité sont floues, et la gouvernance manque de transparence. Pour autant, le démantèlement immédiat du système n’est ni réaliste ni souhaitable. Une transition prudente s’impose, fondée sur un dialogue national et la recherche d’un consensus sur le modèle de retraite le plus adapté à nos réalités économiques, sociales et démographiques.
Dans l’intervalle, il serait opportun de renforcer les mécanismes de gouvernance de la CSG, d’en clarifier les règles de fonctionnement, et d’introduire des garde-fous pour garantir la viabilité à long terme du système.
Le grand oublié du débat budgétaire :
les déficits des fonds de pension des organismes parapublics
Un angle mort particulièrement préoccupant du budget est l’absence de toute référence aux déficits massifs des fonds de pension dans les organismes parapublics. Ces entités, bien qu’autonomes en théorie, reposent dans la pratique sur des subventions ou des garanties implicites de l’État. Or, les engagements non provisionnés en matière de pensions représentent une bombe à retardement pour les finances publiques.
La situation est d’autant plus grave que certains de ces fonds fonctionnent selon des régimes à prestations définies, sans évaluation actuarielle rigoureuse ni gouvernance adaptée. Cette opacité compromet non seulement la transparence budgétaire, mais aussi la confiance des retraités et des actifs dans le système.
Il est urgent que le gouvernement engage un audit exhaustif de ces fonds et définisse une stratégie nationale de mise à niveau progressive, tout en clarifiant la responsabilité de l’État vis-à-vis de ces engagements.
Vers une réforme d’ensemble : l’urgence d’un Livre Blanc
La pluralité des régimes de pension en vigueur à Maurice – incluant les régimes publics, privés, obligatoires et volontaires – engendre de nombreuses incohérences et inégalités. Le moment est venu d’initier une réflexion globale et inclusive sur l’avenir de notre système de retraite.
La publication d’un Livre Blanc sur les pensions permettrait d’établir un diagnostic partagé, de simuler différents scénarios de réforme, et de structurer un débat national éclairé. Ce document devrait traiter notamment :
– des principes directeurs d’un système équitable et durable ;
– du rôle respectif des régimes publics, parapublics et privés ;
– de la coordination entre la CSG, les fonds de pension traditionnels et les régimes complémentaires ;
– du statut des retraités actuels et futurs ;
– de la gouvernance, de la transparence et de la reddition de comptes.
Un tel exercice de clarification est indispensable pour restaurer la confiance du public et garantir la sécurité des retraites à long terme.
Politique énergétique et transport : vers un changement de paradigme
Un autre élément digne d’attention est la volonté affichée de limiter les dépenses excessives en matière de véhicules, qui ont trop longtemps constitué une source de gaspillage et de pression sur notre balance des paiements. Cela dit, au-delà des mesures budgétaires ponctuelles, c’est une politique énergétique nationale cohérente et prospective qu’il convient de mettre en place.
L’objectif stratégique devrait être la réduction progressive – mais irréversible – du parc de véhicules thermiques, au profit d’une électrification massive des transports et du développement des transports en commun. Cela suppose plusieurs leviers complémentaires :
– une fiscalité verte renforcée, pénalisant les véhicules polluants ;
– des incitations financières significatives pour les véhicules électriques (EV) ;
– une stratégie d’investissement dans les infrastructures de recharge ;
– la réorganisation du transport collectif pour le rendre attractif, fiable et accessible.
Le budget doit devenir un instrument au service de cette transition. Il ne peut se limiter à des allocations annuelles : il doit s’inscrire dans un cadre pluriannuel, piloté par une vision énergétique à long terme.
Conclusion
Ce budget, dans ses grandes orientations, traduit une volonté de reprendre le contrôle des finances publiques et de s’attaquer à certaines contradictions majeures du modèle économique et social mauricien. Si certaines mesures sont courageuses et bienvenues – notamment en matière de pensions et de discipline budgétaire – d’autres défis de fond restent à traiter. Parmi eux, la question des déficits des fonds de pension parapublics, la clarification du rôle de la CSG, et la nécessité d’une stratégie de transition énergétique.
Le gouvernement gagnerait à inscrire ces réformes dans une perspective cohérente, structurée, et participative, en s’appuyant sur des documents de cadrage comme un Livre Blanc sur les pensions ou une Stratégie nationale de transition verte. C’est à ce prix que pourra s’ouvrir une nouvelle ère de développement équilibré, juste et soutenable pour Maurice.