La parlementaire du MMM Arianne Navarre Marie, que Le Mauricien a rencontrée cette semaine, considère que « la population est déprimée et angoissée » face à la hausse du coût de la vie, avec un taux d’inflation dépassant les 12%.
Elle évoque par la même occasion son attachement à la discipline au sein de son parti et annonce qu’elle sera candidate aux prochaines élections générales. Elle dément avec force les rumeurs selon lesquelles elle pourrait se joindre au gouvernement. « Je me ferai un devoir de le rappeler à ceux qui ne le respectent pas.
C’est peut-être une déformation de mon sens du militantisme, mais c’est comme cela. Et après cela, j’en ai terminé. Je ne garde pas de rancune. J’avance. Je suis et reste une militante convaincue », affirme-t-elle. Concernant les discussions en cours entre la Grande-Bretagne et Maurice au sujet des Chagos, Arianne Navarre-Marie insiste pour que les Chagossiens participent dans toute discussion les concernant. Elle évoque également la situation des enfants et des familles défavorisées dans la société.
Le comité des Droits de l’enfant des Nations Unies a examiné en début de semaine le rapport présenté par Maurice, représentée par une délégation dirigée par la ministre Kalpana Koonjoo-Shah, et s’est intéressé à l’application des nouvelles lois concernant les enfants. En tant que responsable de ce dossier au sein du MMM, quel est votre constat personnel ?
Il ne fait pas bon être un enfant pauvre dans ce pays. Nous connaissons le scandale des Shelters. Il y a eu un Fact-Finding Committee (FFC), dont les retombées restent secrètes. D’ailleurs, je ne m’attends pas à grand-chose de ce comité présidé par le Permanent Secretary (PS), qui pourrait être juge et partie, dont un conflit d’intérêts patent. Nous avions demandé que les travaux du Fact-Finding Committee soient présidés par un magistrat indépendant.
Il y a déjà le rapport de l’ancien Senior Magistrate de la Cour intermédiaire, Denis Vellien, sur la gestion des Shelters, avec d’excellentes recommandations. J’avais eu l’occasion de déposer devant ce comité. Ce rapport met beaucoup d’accent sur la nécessité pour les enfants d’évoluer dans un environnement familial. Or, le ministère ne semble pas avoir maîtrisé ce concept, bien que des enfants aient déjà été confiés à une centaine de familles. Pourtant, beaucoup d’autres familles sont prêtes à accueillir des enfants chez elles. Mais celles qui ont déjà accueilli des enfants sont soutenues et protégées davantage. Il y a par exemple des enfants qui ne sont pas déclarés. C’est un véritable parcours du combattant pour ces familles d’accueil, qui ont de grands projets pour ces enfants, et qui parfois éprouvent des difficultés face aux parents biologiques.
Sans acte de naissance, les enfants n’existent pas devant la loi. Ils ne peuvent donc pas bénéficier de tous les services. Ces enfants sont très souvent pénalisés. Les psychologues employés par la Child Development Unit (CDU) sont souvent inexpérimentés. Ils ne peuvent parfois pas faire la différence entre, d’une part, l’intérêt et le bien-être des enfants accueillis dans les familles, dans le sens le plus élargi du terme, avec attention, bienveillance et amour, et d’autre part, des parents biologiques qui se manifestent après trois, quatre et parfois dix ans après la prise en charge de l’enfant par la CDU ou les familles d’accueil (Foster Parents), surtout au moment où ces derniers entreprennent des démarches en vue de l’adoption dans le but d’assurer l’avenir de l’enfant.
Nous connaissons des cas où le ou la psychologue fait des reproches aux familles d’accueil qui ont élevé des enfants depuis qu’ils sont bébés, et cela, pendant plusieurs années, en leur demandant : « Pourquoi n’avez-vous pas dit à cet enfant (âgé de 4 ou 5 ans) que vous n’êtes pas ses parents biologiques ? ».
D’abord, cet enfant, qui n’a jamais vu ses parents biologiques, ne comprend rien à cette question, mais cette attitude déstabilise non seulement l’enfant, mais également les parents, qui considèrent qu’ils ne sont pas traités avec le respect qu’ils méritent. Un psychologue professionnel doit savoir qu’il doit attendre que l’enfant soit beaucoup plus grand pour parler de ces choses-là.
On annonce la présentation prochaine d’un Adoption Bill. Qu’en pensez-vous ?
La réglementation du processus d’adoption est un des moyens juridiques visant à la protection et l’épanouissement d’enfants abandonnés et accueillis dans des familles. Or, le ministère a annoncé la présentation prochaine de la nouvelle législation sur l’adoption, attendue depuis longtemps. Nous verrons si elle a vraiment la volonté de le faire. Par ailleurs, quid des enfants vivant avec un handicap ? Un dialogue avec les différents partenaires pour déboucher sur une politique globale pour ces enfants est primordial.
Beaucoup, au Parlement et ailleurs, considèrent que le ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille est décevant et en dessous de nos attentes. On ne peut pas diriger un ministère aussi important avec nonchalance. Avez-vous conscience du nombre de cas d’enfants abandonnés par leur mère à cause de la misère ? Cela devient de plus en plus récurrent.
Les mères n’abandonnent pas leurs enfants à la CDU, si pauvres soient-elles. Mais là, certaines n’en peuvent plus. Elles n’ont pas d’emploi, pas de support en termes de formation ou de crèches… Dans certaines couches sociales, la situation est désespérée. Ce n’est en aucune manière un cliché. Et la situation est la même à la ville qu’à la campagne. C’est une question qui devrait intéresser les ambassades et donateurs internationaux dans le cadre du soutien accordé aux Ong.
La mort de femmes victimes de violences domestiques a remis sur le tapis le féminicide à Maurice. Quel est votre avis sur la question ?
En ce qui concerne le féminicide, le nombre de victimes est alarmant. Un cas de plus est un cas de trop. Il y a certes des lois, mais il faut les appliquer dans toute leur rigueur et les accompagner de plusieurs autres mesures, comme une thérapie pour l’agresseur, la sécurité et l’accompagnement de la victime…
Il est nécessaire de coordonner et de partager les expériences en matière de meilleures pratiques. Ce rôle de coordination pourrait être attribué à un commissaire à la violence conjugale, comme c’est le cas au Royaume-Uni, où des pouvoirs statutaires sont conférés, et où les organismes du secteur public sont tenus de coopérer avec le commissaire et de répondre à toute recommandation qui leur est faite par ce dernier.
Ainsi, le commissaire aurait pour tâche de faire avancer le changement et de demander aux organismes locaux et au gouvernement de rendre compte de leur rôle dans la lutte contre la violence domestique. À moins qu’un programme soutenu et coordonné ne soit mis en place, ainsi qu’un changement dans la manière dont l’ensemble de la société, en particulier le gouvernement et ses fonctionnaires, et la police traitent les victimes, il n’y aura pas de prestation de services efficace en termes de protection des victimes de violences faite contre les femmes.
Un autre sujet qui a défrayé la chronique ces dernières semaines est l’intégrité territoriale et la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Vous qui êtes d’origine chagossienne, quel est votre sentiment ?
La question des Chagos est un sujet national sur lequel les Mauriciens doivent pouvoir parler un seul et même langage et d’une seule voix. Maintenant que les discussions entre la Grande-Bretagne et Maurice ont débuté, il importe que les Chagossiens aient voix au chapitre.
Au Parlement, à la moindre occasion, je me suis fait un devoir de réclamer la participation des Chagossiens dans toute discussion les concernant. Par ailleurs, le livre publié par l’avocat de l’État mauricien Philippe Sands constitue une contribution importante dans la lutte des Chagossiens et des Mauriciens afin de récupérer les Chagos.
Sur le plan politique, les discussions entre le Ptr, le MMM et le PMSD en vue d’une alliance électorale pour les prochaines élections ont commencé. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Nous l’avons dit et redit plusieurs fois : il est indispensable que les partis de l’opposition fassent cause commune pour se débarrasser de ce gouvernement. L’alliance entre le PTr et L’Entente de l’Espoir est acquise si les municipales ont lieu. Nous souhaitons que ces élections soient organisées au plus vite. Ces élections sont très Long Overdue. La population, que ce soient les citadins ou ceux vivant en régions rurales, se sent trahie. Le renvoi de ce scrutin est une entorse à la démocratie.
La démocratie est d’ailleurs en nette perte de vitesse et en déclin. V-Dem, Reporters Sans Frontières et IDEA en font état. Chaque semaine, nous en sommes témoins au Parlement. En 40 ans de carrière politique et après cinq mandats parlementaires, j’ai été expulsée du Parlement et “named” par le Speaker en juin dernier.
Un différend entre un autre dirigeant du MMM et vous a été évoqué dans la presse récemment. Quelle est la vérité ?
Je suis de nature discrète, mais cela ne veut pas dire que je suis soumise et un béni-oui-oui. Et quand il faut faire entendre ma voix, je la fais entendre, peu importe celui qui est concerné, au MMM et dans les instances appropriées, mais pas à travers la presse. Quand il s’agit de discipline du parti, je me fais un devoir de rappeler à l’ordre n’importe qui au sein du parti.
La discipline du parti est une des valeurs qui fait notre force. Je me ferai un devoir de le rappeler à ceux qui ne la respectent pas. Cela est peut-être une déformation de mon sens du militantisme, mais c’est comme cela. Et après cela, j’en ai terminé. Je ne garde pas de rancune. J’avance. Je suis et reste une militante convaincue.
Pourtant, votre nom a été mentionné dans la presse comme un de ceux intéressés à rejoindre le gouvernement. Qu’avez-vous à dire ?
Je le démens formellement. Je milite au sein du MMM depuis mon plus jeune âge, avant même l’âge de pouvoir voter. J’ai été candidate aux élections législatives de 1982, quand j’ai été élue pour la première fois.
Après les législatives de 1983, nous avons, ma famille et moi, entamé une longue traversée du désert. Mon mari et mes enfants en ont souffert énormément. On a voulu nous soudoyer avec de l’argent à plusieurs reprises. J’ai résisté. J’ai beaucoup donné à mon parti. J’ai donné toute ma vie au MMM, au détriment de la santé de mes proches. Ma famille a beaucoup souffert et elle en souffre encore.
J’ai aussi beaucoup appris du MMM également. J’ai eu la chance de représenter mon pays à l’étranger en tant que Junior Minister et ministre grâce au MMM. J’ai été conseillère municipale de la ville de Port-Louis. Maintenant que mes enfants sont adultes – et là, je dis un grand merci à mon époux, Yvon, qui m’a toujours soutenue –, il m’importe de ne pas entacher mon nom, et je ne souhaite pas être une transfuge et finir dans la honte.
Je suis au MMM et j’y reste.
J’insiste sur le fait qu’il serait souhaitable qu’il y ait une force de l’opposition pour se débarrasser de ce gouvernement. J’ai eu l’occasion de travailler dans un gouvernement de feu sir Anerood Jugnauth. Nous avons travaillé sans heurts ni anicroche. Il donnait toute la latitude à ses ministres afin de travailler dans la sérénité et de deliver. Nous avons également travaillé avec le Parti travailliste. Mais le MSM d’aujourd’hui n’est pas celui de SAJ, et nous avons des raisons de croire qu’une alliance avec le PTr, tout le monde voudra y mettre du sien pour que cela marche et dure.
Comment voyez-vous votre avenir politique ?
J’ai été députée de la circonscription No 1 de 1995 a décembre 2014, puis j’ai dû céder ma place à Mireille Martin, candidate du Ptr. À la demande de mon parti, j’ai dû migrer à contrecœur dans la circonscription No 4, au grand dam de mes mandants. Mais c’est la discipline du parti.
Le jour où la direction du parti annonçait au régional No 1 que je devais céder ma place, j’avais été obligée de me rendre au chevet de mon père mourant à l’étranger. D’ailleurs, il nous a quittés le jour même des dépôts de candidatures. Ce qui fait que je n’ai pas eu le temps d’expliquer à mes mandants la raison de ma migration vers le No 4.
Après ma défaite, j’ai exprimé le vœu de retourner dans la circonscription No 1. Même à ce jour, certains de la circonscription me reprochent de les avoir abandonnés en 2014. Je serai candidate du parti aux prochaines élections. Si la jeunesse savait, si la vieillesse pouvait. Fort de mon expérience, je crois que je peux encore faire ma part aux prochaines élections. Je n’ai pas encore atteint l’âge de la retraite (rires).
Avez-vous lu ce que disent les réseaux sociaux en ce qui vous concerne ?
Je ne fonctionne pas à travers les réseaux sociaux. De plus en plus de politiciens font usage des réseaux sociaux. Je ne les critique pas, mais on ne fait pas de politique à travers les réseaux sociaux. Je suis plus pour aller vers les gens et je me vois mal poster une photo de moi en visite à des familles vulnérables ou malades. Je trouve cela indécent.
Le coût de la vie continue de grimper. Comment joindre les deux bouts ?
La population souffre. Les gens peinent à survivre. Et quand on voit le gaspillage de l’argent public, les dépenses extravagantes en termes de voyages ministériels, les juteux contrats alloués aux proches, les passe-droits au haut niveau, les nominations à tout va… la population est déprimée, angoissée.
Les résultats des examens de la SC sont venus remettre en lumière la situation au niveau de l’éducation. Votre avis ?
J’ai toujours recommandé l’organisation d’Assises de l’éducation. C’est très important. Le système doit être pérenne, et non pas être sujet aux caprices d’un gouvernement. Il faut se rappeler que le système éducatif vise à former les citoyens de demain, mais également d’aujourd’hui.
S’il est vrai que l’éducation se doit de s’adapter aux enfants, il est également vrai que le système se devrait de former nos jeunes pour faire face aux différents défis du pays. Malgré le fait que l’éducation est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, est-ce qu’une étude démontre le nombre de personnes qui ne savent ni lire ni écrire après leur scolarité ? Or, notre système pèche par manque de vision et laisse sur la touche des milliers d’enfants. Cette situation engendre la pauvreté et l’insécurité. Nous sommes assis sur une poudrière.