Arvin Boolell, ministre de l’Agro-industrie et de la Pêche : « Budget sérieux avec valeurs républicaines,  rigueur et responsabilité partagée »

Dans l’interview accordée à Le-Mauricien, le ministre de l’Agro-industrie, de la Pêche et de l’Économie bleue, Arvin Boolell, affirme que le budget présenté, jeudi dernier,  par le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, est sérieux avec des valeurs républicaines, la rigueur et la responsabilité partagée pour une meilleure république de Maurice. Il s’appesantit sur l’importance d’une plus grande synergie entre la communauté des planteurs, les compagnies sucrières et les syndicats de l’industrie sucrière.

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« Avec la hausse des coûts d’opération et le manque de main-d’œuvre la situation devient difficile. Le résultat est que nous assistons à une concentration des pouvoirs entre les mains des compagnies sucrières »

« Dans ce contexte de modernisation et d’adaptation, il faut valoriser la canne qui a une dimension multifonctionnelle. La canne absorbe l’excès de carbone et empêche que la boue soit érodée dans la mer. Il y a également beaucoup de sous-produits de la canne »

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« Vous pouvez être le président de la plus grande puissance économique. Si vous ne respectez pas les forces du marché et ne vivez pas avec les réalités sociales et politiques, vous en subirez les conséquences ».

Le coup d’envoi de la récolte sucrière a été donné dimanche par une prière à Amma Toukay. Comment se présente-t-elle, cette année ?

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La récolte sucrière se présente bien. Toutefois, le gros problème reste les terrains abandonnés. Il est malheureux que les planteurs les plus démunis, en particulier ceux ayant un champ autour de 10 arpents, soient les plus pénalisés. L’autre problème est la main-d’œuvre. Je constate qu’il y a une synergie entre les compagnies cannières et les planteurs ainsi qu’avec les sociétés coopératives et les communautés de planteurs.

Au regard de la hausse des coûts d’opération et du manque de main-d’œuvre, la situation devient difficile. Le résultat est que nous assistons à une concentration des pouvoirs entre les mains des compagnies sucrières. Nous avons identifié les manquements et nous voulons traiter le problème dans le fond. Il faut une synergie accrue entre la communauté des planteurs et les compagnies sucrières.

D’autre part, les discussions entre les autorités mauriciennes, dont le Premier ministre, et le haut-commissaire de l’Inde quant à l’importation des travailleurs de l’Inde sont bien avancées. Il faudrait toutefois avoir toute la logistique sur place afin de se conformer aux normes établies par le Bureau international de travail.

En ce qu’il s’agit des mesures d’accompagnement, la MCIA devra désormais pourvoir un service de proximité par le biais de ses institutions. Avec le changement climatique, il est essentiel de s’adapter. Un retour à la terre est nécessaire. Comme souligné par le Premier ministre suppléant, Paul Bérenger, dimanche, le King Sugar est toujours présent mais sous différentes formes prenant en compte son effet multiplicateur estimé d’un à six, c’est-à-dire que pour chaque Rs 1 000 de sucre produit, Rs 6 000 le sont par les autres activités autour de l’industrie cannière.

Quels sont les défis auxquels est confrontée l’industrie cannière ?

Comme vous le savez, pendant des années nous avons fait du lobbying afin que le Protocole Sucre liant Maurice à l’Union européenne reste en vigueur pour une période indéterminée. Nous avons eu à faire face à la réalité du marché et nous nous sommes rendu compte que dans la vie, rien n’existe pour une période indéterminée. Si nous ne nous adaptons pas et ne vivons pas avec les réalités, le pays et la population seront les grands perdants.

Dans ce contexte de modernisation et d’adaptation, il faut valoriser la canne – qui a une dimension multifonctionnelle. La canne absorbe l’excès de carbone et empêche que la boue soit érodée dans la mer. Il y a également beaucoup de sous-produits de la canne. Les vertus de la bagasse dans la production des énergies renouvelables ne doivent pas être sous-estimées. Nous voulons que les planteurs retournent à la terre, qui est notre mère nourricière. Nous voulons que la responsabilité soit partagée. Le gouvernement assume ses responsabilités et le secteur privé les siennes. Cette synergie entre le public, le privé et les syndicats des travailleurs.

n’existe pas dans plusieurs pays.

Il est important aujourd’hui de valoriser la canne dans ce contexte de modernisation et d’adaptation, en raison de cette dimension multifonctionnelle.

Comment avez-vous accueilli les mesures annoncées dans le budget en général et concernant le secteur de l’Agro-Industrie, dont le sucre ?

Je peux dire sans aucune hésitation : « Well done  PM ». C’est un budget sérieux avec des valeurs républicaines, la rigueur et la responsabilité partagée pour une meilleure République mauricienne. Le budget protège ceux qui sont au bas de l’échelle. Je suis convaincu que la relance est inévitable, surtout qu’une nouvelle vigueur est donnée à l’exportation et l’investissement – qui sont au centre de notre développement.

En matière de sécurité alimentaire, le budget prévoit la mise en place d’une banque foncière et d’un plan national de sécurité alimentaire. De plus, les opportunités se profilent pour les doigts verts de l’Agriculture. L’introduction de l’agriculture intelligente alimentée par l’intelligence artificielle est envisagée.

La préparation du sol pour les jardinières est prévue. Un montant de Rs 35 000 est prévu pour les planteurs produisant jusqu’à 60 tonnes de sucre. Le financement de l’augmentation du nombre de planteurs de canne à sucre proviendra d’un partenariat public-privé.

Le budget prévoit également l’importation de main-d’œuvre pour travailler dans le secteur agricole en  pleine conformité avec la convention de l’OIT.  En ce qui concerne l’économie bleue, des investissements massifs sont prévus dans le port afin d’améliorer l’indice de port de conteneur.  Nous savons que 35 000 navires de pêche sillonnent la route maritime à l’ouest de l’océan Indien. Il faudra étudier les possibilités d’attirer les navires pour les services de soutage.  Par ailleurs, les pêcheurs seront encouragés à pêcher en haute mer. Une formation leur sera donnée pour la gestion de navires semi-industriels.

Les pêcheurs qui veulent rendre leur permis de pêche recevront Rs 200 000. Afin d’encourager les pêcheurs à débarquer leurs prises à Agalega, qui se trouve à distance de nage de Saya de Malha et de notre plateau continental étendu que nous partageons avec les Seychelles, la construction d’une chambre froide pour stocker le poisson réfrigéré est envisagé. Le potentiel de pêche au concombre de mer est élevé dans cette région. Nous savons que les Seychelles sont de gros exportateurs de concombres de mer vers les marchés lucratifs de l’Extrême-Orient.  Avec l’exercice de la souveraineté mauricienne sur les Chagos, le potentiel de pêche dans les eaux territoriales mauriciennes connaîtra un nouvel essor, surtout en ce qui concerne les poissons migrateurs, le thon et poissons pélagiques.

Certaines mesures budgétaires ont provoqué des appréhensions de part et d’autre. Qu’en pensez-vous ?

Je me souviens de l’époque où nous faisions du lobbying afin que le Protocole Sucre reste en vigueur pour une période indéterminée. Nous nous sommes finalement rendus compte que dans la vie, rien n’existe pour une période indéterminée. Si nous ne nous adoptons pas et ne vivons pas avec les réalités, le pays et la population seront les grands perdants. Le seul facteur qui reste intact dans la vie, c’est le changement. Ce principe se reflète dans le discours du budget présenté par le Premier ministre et ministre des Finances.

Vous pouvez être le président de la plus grande puissance économique. Si vous ne respectez pas les forces du marché et ne vivez pas avec les réalités sociales et politiques, vous en subirez les conséquences. Nous n’avons qu’à voir comment les directeurs du secteur des entreprises ont réagi. Moody’s Credit Agency a non seulement donné un avertissement aux États-Unis, mais le pays a été Downgraded.

Certains grands économistes prévoient que l’argent peut quitter les États-Unis. Certains estiment même une récession aux États-Unis. Rien ne reste pour une période indéfinie, il faut pouvoir s’adapter. Lorsque le gouvernement prend des mesures, ceux qui sont au bas de l’échelle sont pris en compte. Si nous ne prenons pas les mesures comme celles annoncées dans le budget, l’État providence, l’éducation gratuite et la santé gratuite sont en danger parce que personne ne doit rien. C’est pourquoi il nous faut persévérer afin que nous produisions d’avance, pour que nos produits soient compétitifs et pour que nos enfants ne manquent de rien. Nous n’avons pas besoin de frapper au-dessus de notre poids. Nous devons avoir l’humilité, la sagesse et la dignité d’agir pour le bien-être de tout un chacun.

Près de 50% de l’électricité est produite par les IPPs. Que comptez-vous faire pour augmenter la part de la bagasse ?

Au-delà de la production du sucre, il y a toutes les valeurs ajoutées. Il y a la mélasse mais il y a surtout la bagasse. Nous avions l’engagement auprès des instances internationales en vue de produire 30% de l’électricité à partir de l’énergie renouvelable, en particulier la bagasse. Aujourd’hui, la bagasse compte moins de 15% dans la production de l’électricité. Toute notre politique de diversification et de production de l’énergie renouvelable a été un échec sous l’ancien gouvernement. Dans les budgets de l’ancien gouvernement, la nécessité d’importer de la biomasse a été évoquée.

Mon objectif en tant que ministre est de s’assurer que King Sugar Cane is back  en raison de sa dimension multifonctionnelle. L’Independent Power Producer (IPP) produit de l’électricité du charbon et de la bagasse. Nous voulons adopter une approche démocratique dans la production de l’électricité à partir de la bagasse qui ne peut pas être la seule responsabilité des IPPs.

Par ailleurs, je crois dans la création d’une Landbank et dans la diversification de la production agricole. Il nous faudra explorer toutes les possibilités qu’offre la multifonctionnalité de la canne à sucre. En parlant d’agriculture, je suis heureux qu’il y ait un retour vers le thé. Nous voulons également aller de l’avant avec la smart agriculture à grande échelle.  Nous consoliderons également la diplomatie agricole avec l’aide du gouvernement indien. La culture vivrière sera développée davantage. À ce propos, les demandes de conversion des terres pour la production agricole ne se feront pas au détriment de terre fertile pour la culture vivrière ou sucrière. Je compte sur le bon sens des propriétés sucrières pour respecter cette politique. Concernant le sucre, mon objectif est de produire jusqu’à 350 000 tonnes. Le budget a prévu une série de mesures incitatives dans ce sens.

Vous aviez à un certain moment invité l’industrie sucrière à soutenir les petits planteurs voulant reprendre la culture de la canne. Comment se présente la situation ?

Nous avons eu beaucoup de réunions avec l’industrie sucrière. Il faut adopter une approche très flexible en évitant d’avoir un esprit de rentier.  Il est dans l’intérêt de tous qu’il y ait un partenariat crédible et sincère.

Vous avez été très critique par rapport à la SIT ces derniers temps. Quel est le problème ?

L’objectif initial du Sugar Investment Trust (SIT) était la démocratisation de l’industrie sucrière. Tous les partis politiques étaient d’accord avec cette philosophie.

Sous le gouvernement travailliste, il y a eu une meilleure gestion de cette organisation et plus de redevabilité. Jyoti Jeetun et Sanjay Dabysing étaient des personnes de calibre qui ont permis le développement de cette organisation.  Mais par la suite, sous le gouvernement MSM, le SIT a diversifié ses activités, est entré dans l’immobilier et avait même envisagé de s’engager dans le secteur hôtelier avec d’autres opérateurs. De 2015 à ce jour, il y a eu un abus et une gestion opaque. Nous avons assisté à un gaspillage scandaleux.

Nous avons été obligés de fermer le Waterpark – qui était devenu un danger public en raison de sa mauvaise administration. Tous les employés ont été redéployés. Nous ne voulons pas nous ingérer dans les affaires de la SIT et nous nous attendons à ce qu’ils viennent avec un plan de restructuration et la réhabilitation de la gestion. Il faut savoir que le SIT dispose actuellement de 2100 arpents qui valaient Rs 3 milliards en 2020. Comme revenus, le Sugar Investment Trust reçoit Rs 30 millions de la canne et Rs 35 millions de la location des bâtiments. Par ailleurs, ses dettes sont estimées à Rs 1,6 milliard dont le remboursement coûte Rs 115 millions sans compter les intérêts. Il a été démontré aujourd’hui que des responsables du SIT ont présenté de faux comptes afin d’obtenir des prêts.  La question est actuellement devant la FCC.

Le pire : les prêts obtenus pour faire des rénovations et des constructions n’ont pas été utilisés à cette fin. Un prêt de Rs 360 millions destiné à la modernisation de Waterpark a été redirigé.  Un prêt de Rs 12,8 millions a été obtenu de la DBM pour la plantation de la canne. Il n’y a jamais eu de plantation.  J’ai d’ailleurs fait une déclaration au Parlement dans ce sens en mars dernier. Un Forensic Audit est en cours.  Entre temps, le ministère travaille sur la restructuration du SIT pour en faire une organisation efficiente. Il ne faut pas oublier que le SIT concerne 40 000 petits planteurs qui détiennent 90% des actions alors que le gouvernement détient 5 millions des actions.

Jean Marc Poché

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