Alors que les nouveaux tarifs douaniers imposés par l’administration américaine continuent de défrayer la chronique, Le-Mauricien a rencontré le directeur de Wensum Ltd, dont le quart (25%) de la production est exporté vers les États-Unis. Il considère que l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA), dont l’existence est menacée est une planche de salut pour les producteurs mauriciens. Il annonce l’ouverture d’une nouvelle succursale à Kigali, au Rwanda. Ce premier magasin dans un pays africain constitue, selon lui, un premier pas en Afrique. Il dit sa fierté de pouvoir habiller les membres de la Royal Navy et la Royal Air Force. Et ce, avant d’estimer que le gouvernement doit jouer un rôle crucial, que ce soit pour le renouvellement de l’AGOA, ou pour parvenir à un accord bilatéral entre Maurice et les États-Unis en vue d’un accès préférentiel pour les produits mauriciens exportés aux États-Unis et vice-versa.
« Si des tarifs douaniers de 10% sont imposés mondialement, nous risquons d’être mis hors-jeu en raison du coût élevé de notre main-d’œuvre et de notre faible productivité par rapport à d’autres pays comme le Vietnam et Madagascar »
« Pourquoi le CEB n’introduit-il pas un Exporter’s Rate à l’intention des entreprises locales tournées vers l’exportation ? Une telle mesure aurait encouragé d’autres entrepreneurs à se lancer dans le secteur d’exportation »
« Il faut donc pouvoir inciter beaucoup plus de personnes à entrer dans les entreprises tournées vers l’exportation. Pour le faire, il faut insister sur la fluidité de l’octroi des permis, un meilleur taux de devises et une révision du prix de l’électricité. Il faut que la base de production soit compétitive »
Les nouveaux tarifs douaniers annoncés par les États-Unis ont suscité beaucoup de réactions et d’inquiétudes parmi les producteurs mauriciens. Comment voyez-vous les choses à votre niveau ?
L’African Growth and Opportunity Act (AGOA) a été une planche de salut pour les producteurs mauriciens opérant surtout dans le secteur du textile et de l’habillement, leur permettant ainsi d’exporter vers les États-Unis à tarif zéro. Ce qui a contribué au développement de pays comme Maurice et de certaines régions d’Afrique en leur permettant de faire face à des compétiteurs solides comme le Vietnam, la Chine, voire l’Europe.
Les nouveaux tarifs annoncés par le président des États-Unis ont inévitablement suscité une inquiétude chez les exportateurs des pays concernés, dont Maurice. L’éventualité de l’imposition d’un tarif de 40% sur les produits mauriciens a provoqué un choc. Nos clients ont immédiatement commencé à nous appeler pour évaluer la situation.
L’annonce du moratoire de trois mois a été accueillie avec soulagement. Il faudra évidemment trouver une solution pour maintenir l’accès de nos produits sur le marché américain à un prix compétitif. Il faut savoir que des pays comme Maurice, le Lesotho et le Kenya dépendent fortement des États-Unis pour nos exportations. Nous avons des clients avec lesquels nous travaillons depuis une dizaine d’années qui commencent à s’interroger et à étudier la situation dans d’autres pays producteurs, comme l’Égypte, qui sera frappée d’un tarif douanier de 10%. Madagascar devrait être frappée par un tarif douanier de 40%.
Le gouvernement est appelé à jouer un rôle crucial, que ce soit pour le renouvellement de l’AGOA ou pour arriver à un accord bilatéral entre Maurice et les États-Unis en vue d’un accès préférentiel pour les produits mauriciens exportés aux États-Unis et vice-versa.
Le tarif douanier intérimaire de 10% imposé sur les exportations aux États-Unis vous embarrasse-t-il ?
Si des tarifs sont imposés mondialement, nous risquons d’être hors-jeu en raison du coût élevé de notre main-d’œuvre, de notre faible productivité par rapport d’autre pays comme le Vietnam et d’autres pays, dont Madagascar. À cela, il faut ajouter le fret. Le coût de production à Madagascar, par exemple, est quatre fois moins élevé qu’à Maurice. Le coût d’électricité ici est deux fois trop élevé, alors que le diesel coûte trop cher.
Comment faites-vous pour continuer d’opérer dans cet environnement difficile ?
Notre avantage est que nous sommes engagés dans les produits de luxe et disposons d’un marché niche. Nos compétiteurs sont surtout les pays comme l’Italie et le Portugal. Nous importons nos tissus d’Europe. Je dois rendre hommage à la qualité de nos artisans, qui figurent à mon avis parmi les meilleurs du monde.
Quelle est la part des États-Unis dans votre business ?
Nous sommes très présents sur le marché américain et nous exportons quelque 25% de notre production aux États-Unis.
Est-il possible de réduire les coûts de production à Maurice afin qu’ils soient plus compétitifs ?
La main-d’œuvre locale se fait rare. Il faut donc recruter davantage de travailleurs étrangers. Il faudrait également réduire les charges sociales des entreprises et, surtout, offrir un tarif raisonnable pour la consommation d’énergie électrique. Pourquoi le CEB n’introduit-il pas un Exporter’s Rate à l’intention des entreprises locales orientées vers l’exportation ? Une telle mesure aurait encouragé d’autres entrepreneurs à se lancer dans le secteur de l’exportation. Je me demande, si Donald Trump revient à la charge avec ses tarifs douaniers après la pause de 90 jours, s’il ne serait pas plus avantageux pour les compagnies locales qui se sont installées à l’étranger de revenir à Maurice pour produire à un meilleur prix au pays. Les autorités doivent prendre en compte le fait que ceux qui exportent permettent une rentrée conséquente de devises étrangères dans le pays.
Malheureusement, le gouvernement précédent avait choisi d’introduire une série de mesures sociales et salariales qui ont entraîné une augmentation conséquente des coûts, même si cela ne correspond pas à la productivité. Nous apprécions le fait que le taux des devises étrangères est actuellement plus stable qu’auparavant, où il n’y avait aucune prévisibilité. Les prix des devises étaient extrêmement volatils. Je suis satisfait que désormais nous avons plus facilement accès aux devises étrangères pour les importations de matières premières.
Avez-vous de nouveaux projets au niveau de Wensum Ltd ?
Certainement. Nous nous engageons dans le solaire avec pour objectif de devenir plus autonome en matière d’énergie. Nous ouvrons bientôt un magasin similaire à celui que nous disposons au Mon Choisy Mall, dans le Nord du pays, à Kigali, au Rwanda, où nous aurons également un petit entrepôt. Ce sera un pied-à-terre intéressant sur le continent qui nous permettra de voir comment évoluer sur le marché africain à l’avenir.
Pourquoi le Rwanda ?
Nous avons développé de bon contact dans ce pays, qui est connu pour sa stabilité. Nous comptons nous installer à l’Inzonu Mall, un centre commercial à Kigali, et dont la construction bénéficie du financement de la Société financière internationale et du Proparco. Ensuite, le Rwanda est à côté de l’Ouganda. Nous verrons ensuite comment prendre avantage des facilités offertes par le Comesa. Nous avons déjà travaillé sur ce projet en amont depuis quelque temps et avons fait une étude du marché. Comme vous le savez, le marché africain est en plein essor. Étant un des fabricants de luxe pour des exportations en Grande-Bretagne et aux États-Unis, ainsi qu’en Chine et en Inde, nous voulons également être présents dans les pays émergents d’Afrique.
Est-ce que sera un magasin de prêt-à-porter ou comptez-vous faire du sur-mesure ?
Nous aurons une partie de prêt-à-porter. Toutefois, notre force réside dans notre capacité de produire du sur-mesure. Nous produisons actuellement 10 000 complets sur-mesure chaque année pour des clients à travers le monde, dont les États-Unis, la Chine, l’Inde ou le Mexique. À Kigali, nous aurons une personne pour prendre des mesures sur les clients. Les données nous seront transmises à notre usine à Maurice, où les complets seront cousus avant d’être expédiés à Kigali.
Vous avez donc une expertise par rapport à la mode en Afrique ?
Nous avons déjà une expérience à ce sujet étant donné que nous exportons déjà au Kenya et en Afrique du Sud. Nous avons les tissus qu’il nous faut. Ce sera pour nous une aventure africaine.
Qui opérera le magasin au Rwanda ?
Pour l’instant, ce sont des Mauriciens qui dirigeront et contrôleront le magasin. Nous recruterons là-bas ensuite.
Revenons au projet de production énergétique. Pourquoi avoir choisi cette option ?
C’est un projet qui remonte à 2022, alors qu’Arif Currimjee était président de la MEXA. L’idée que le secteur manufacturier soit autonome en énergie électrique avait été évoquée dans le but d’atteindre la neutralité carbone en 2040. Il faut savoir que les opérateurs engagés vers l’exportation sont de gros consommateurs énergétiques. Les discussions ont débouché sur la création d’un Renewable Energy Investment Framework.
En ce qui nous concerne notre facture mensuelle en énergie, celle-ci s’élève à Rs 480 000. Il est vrai que les coûts ont augmenté sensiblement au fil des années. Pour ce qui nous concerne, qu’on produise une pièce ou 200 par jour, la facture d’électricité reste inchangée. Sur une année, le coût d’électricité atteint Rs 6 millions pour l’usine. Notre objectif donc est de réduire la facture tout en étant sustainable.
Nous avons investi Rs 20 millions pour faire installer 500 Kw sur nos toits en partenariat avec Rey Lenferna. Cela devrait nous permettre d’être également plus compétitif à long terme. Si nous avions l’espace, nous serions disposés à produire 500 Kw supplémentaires. Nous comptons approcher la municipalité de Curepipe concernant un terrain avoisinant à notre usine. Nous attendons un retour sur l’investissement dans cinq à six ans.
Combien d’employés travaillent à l’usine de Forest-Side ?
Nous employons quelque 375 personnes. La moitié de notre personnel est composée de travailleurs étrangers. Nous constatons que l’obtention des permis de travail est beaucoup plus fluide désormais. Je peux dire que la présence de travailleurs étrangers nous procure beaucoup d’avantages, notamment en termes de présence et de compétences.
Avez-vous recours à la technologie, comme l’intelligence artificielle ?
Nous utilisons l’intelligence artificielle pour la planification et le monitoring de la production. Elle est également utilisée pour la conception et le design.
Vous siégez déjà au conseil d’administration de la MEXA. Quel regard jetez-vous sur la production manufacturière orientée vers l’exportation en général dans le pays ?
Maurice devrait s’orienter vers le haut de gamme. Il y a un grand potentiel dans le secteur de la technologie, le médical et le rhum, entre autres. Toutefois, on ne peut pas monter une industrie pour manufacturer des produits bon marché. Il faut savoir dans quel segment nous voulons entrer. Il faut oublier la production des t-shirts. D’autres pays peuvent le faire en raison du coût de la main-d’œuvre. Il faut miser sur la réputation de Maurice, qui est reconnue comme un pays stable et sérieux.
Au niveau de Wensum Ltd, nous avons construit une réputation à l’international. Nos produits Made in Mauritius sont reconnus dans le monde entier et sont en compétition avec des marques internationales comme les Made in Italy. Si je délocalise à Madagascar, je ne pourrai pas faire la même chose en raison de la perception du child labour and cheap labour qui pourrait nuire à notre image de marque.
Nos tailleurs sont avec nous depuis 25 à 30 ans et font un travail mieux que l’intelligence artificielle ne pourrait accomplir. Vous serez surpris d’apprendre que 42 tailleurs sont âgés entre 66 et 80 ans. Ils prennent leur retraite à l’âge de la retraite et reviennent travailler sous contrat chez nous. Nous pratiquons une No Retirement Policy, ce qui veut dire que les employés peuvent travailler aussi longtemps qu’ils le souhaitent et opèrent selon leur propre horaire de travail. Ce qui leur permet de transmettre leurs connaissances et leurs méthodes de travail aux plus jeunes.
Quelle place accordez-vous à l’innovation dans une usine comme la vôtre ?
La recherche et l’innovation occupent une place importante. Actuellement, on travaille sur une petite unité de chemises pour nos clients. On a également réalisé une série de shorts masculins sur commande. Nous travaillons aussi sur les habits militaires pour le compte de la Royal Navy et la Royal Airforce. Je suis fier de ce que nous avons accompli alors qu’il y a quelques années, après le départ de nos partenaires chinois, l’usine avait été mise sous administration. Nous avons connu une progression rapide en termes de chiffres d’affaires et nous atteindrons bientôt les Rs 300 millions. Nous faisons beaucoup de social et nous valorisons le travail des membres du personnel.
Pour l’exportation en Europe, il nous semble que l’ESG Certificate est de plus en plus exigé…
Nous travaillons dessus. Mais déjà, les tissus qu’on utilise ont une traçabilité. Nous pouvons savoir d’où ils viennent. Et puis nous accordons une grande attention au bien-être de nos travailleurs. Par exemple, la production s’arrête tous les jours à 15h et les vendredis à midi. Et ce, dans le but de leur permettre de consacrer du temps à leur famille. Un certain nombre d’employés qui étaient partis pour avoir un meilleur salaire ailleurs sont revenus à cause de cette politique.
Concernant les travailleurs étrangers, le DPP accorde une attention spéciale à la traite humaine. Êtes-vous sensibles à cette démarche ?
Il a tout à fait raison. Ce n’est pas à cause de quelques brebis galeuses qui exploitent les gens qu’on va mettre notre réputation à risque. Ici, les expatriés – Indiens, Malgaches et Sri-Lankais, entre autres – restent pendant huit à dix ans à l’usine. Beaucoup rentrent ensuite dans leurs pays pour revenir ensuite reprendre de l’emploi chez nous.
Vous êtes également diplomate puisque vous êtes le consul de l’Eswatini à Maurice…
Je suis effectivement le consul de l’Eswatini (ex-Swaziland) depuis 22 ans et je tombe sous la responsabilité de l’ambassade de ce pays, à Pretoria. Je dois vous dire que toutes les fermetures éclair utilisées par l’usine sont importées d’Eswatini. C’est le cas également pour le concentré de coca utilisé pour la production du Coca-Cola à Maurice. Nous sommes aussi des pays assez similaires en termes de populations. L’Eswatini est un ami de Maurice et est membre de la SADC. Récemment, Maurice a accordé son soutien au candidat de ce pays pour le poste de commissaire à l’Agriculture de la Commission africaine. Il est temps que Maurice recrute quelqu’un comme consul de Maurice en Eswatini afin de s’occuper des travailleurs mauriciens qui se trouvent dans ce pays. À Maurice, il y a des étudiants de l’Eswatini qui sont à l’African Leadership College, dans le Nord, et certains qui travaillent dans la réassurance.
Pour terminer, quelles sont les mesures que vous auriez proposées pour le budget ?
We have to be fair. L’exportation demeure un des piliers de l’économie mauricienne et la manufacture doit être un élément majeur de ce pilier. Il faut donc pouvoir encourager beaucoup plus de personnes à entrer dans les entreprises orientées vers l’exportation. Pour ce faire, il faut insister sur la fluidité de l’octroi des permis, un meilleur taux de devises et une révision du prix de l’électricité. Il faut que la base de production soit compétitive. On ne peut pas être quatre fois plus cher en termes de main-d’œuvre et trois fois plus cher en coût énergétique.
Ensuite, il y a l’Ease of Doing Business. Le Rwanda est incroyablement plus efficient. Dans le cadre de nos démarches pour ouvrir un magasin à Kigali, le Rwanda Development Board a répondu avec célérité et efficacité à notre demande. Maurice a des leçons à apprendre dans ce domaine si nous voulons attirer davantage d’investisseurs.