Avec l’exercice de Mutual Evaluation de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG) prévu pour 2027, l’heure de vérité va bientôt sonner, et la pression monte sur plusieurs juridictions, incluant Maurice, sommées de démontrer l’efficacité de leurs dispositifs contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Spécialisé dans la conformité financière, l’Abler Group a organisé une Masterclass sur la question, réunissant experts et régulateurs, en vue de préparer le terrain.
La perspective de l’évaluation ESAAMLG 2027 n’est pas un simple jalon administratif. Elle représente un test de crédibilité pour les juridictions financières de la région dans un contexte où le Groupe d’action financière (GAFI) et ses organismes régionaux exigent désormais des preuves concrètes d’Effectiveness, et non plus seulement des lois bien rédigées. C’est ce qu’a expliqué Shahannah Abdoolakhan, CEO de l’Abler Group : « The world is watching Mauritius. Not in 2027, but today. And the question is: will we lead, or will we follow? » Pour elle, la conformité ne doit plus être perçue comme un fardeau. « Compliance is no longer seen as a burden. It is recognised as a driver of trust, growth, and opportunity », dit-elle.
Le principal intervenant de cette Masterclass, John Cusack, Senior Advisor chez Oliver Wyman et ancien président de la Global Coalition to Fight Financial Crime, n’a pas mâché ses mots. Fort de plus de 30 ans à la tête de dispositifs de conformité chez UBS et Standard Chartered, il a mis en garde contre une approche générique : « Yes, Mauritius must be compliant with FATF recommendations, but it needs a specific Mauritius plan. »
Selon lui, l’un des grands risques identifiés par le National Risk Assessment (NRA) 2025 (le trafic de drogues) doit être traité comme une priorité absolue. « Drug trafficking generates substantial illicit proceeds and remains a primary source of ML cases. Mauritius needs to understand the nature of these flows and respond with a very specific strategy », dit-il. Le NRA souligne que l’usage de drogues touche environ 0,7% de la population et que les produits saisis incluent héroïne, cocaïne, méthamphétamine et drogues de synthèse. Pour John Cusack, l’évolution des flux criminels, amplifiée par la mondialisation et la technologie, appelle une riposte ciblée.
Nouvelles priorités
L’expert a également détaillé les nouvelles orientations du GAFI en vue du 5e cycle d’évaluations. La qualité des NRA sera ainsi un critère décisif, avec une insistance sur l’évaluation de la corruption comme menace systémique. Les approches de supervision devront s’appuyer sur le risque, et non plus uniquement sur des règles strictes. L’usage de la technologie et le renforcement des partenariats public-privé seront déterminants pour détecter les nouvelles menaces, notamment fraudes et arnaques numériques.
Enfin, l’Effectiveness sera mesurée sur des résultats tangibles : enquêtes, condamnations, confiscations d’avoirs et cas de blanchiment professionnel. John Cusack précise : « Navigating global tensions in the system and finding the right balance will be the challenge and the opportunity that now presents itself. Whatever decisions are made, they should be clearly explained and justified. »
L’expert a noté que la Lettonie a été le premier pays évalué sous les nouveaux standards : « The reports are very positive on Latvia, though the report will only be publicly available in December 2025. » Une manière de souligner que l’exigence de résultats concrets est désormais incontournable.
Maurice s’est fixée une vision 2030 ambitieuse pour renforcer son centre financier international. Mais la crédibilité passe par un dispositif robuste et démontrable. « Mauritius has a unique opportunity to cement its standing as a trusted and competitive international financial centre. This masterclass is about more than preparing for the 2027 ESAAMLG evaluation. It’s about building long-term resilience. »
Il a insisté sur le fait que la lutte contre la corruption, amorcée par le nouveau gouvernement, sera jugée positivement si elle reste impartiale. « It should be noted that the increased focus by the new government on corruption and crime is a positive development and should be seen as such, unless it is politically motivated. »
Mahen Kundasamy, CEO de l’Economic Development Board (EDB), a défendu la stratégie nationale. « Mauritius is an active and committed player in the fight against financial crime. We have a long history of upholding our commitments with organizations like the OECD, the EU, and the FATF », a-t-il expliqué. Avant de rappeler que le pays est parmi les rares juridictions au monde à avoir mis en œuvre les 40 recommandations du GAFI.
La loi Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism and Proliferation Act 2024 ainsi que la nouvelle Stratégie nationale AML/CFT s’inscrivent dans ce cadre. Et le rapport NRA 2025, avec ses huit priorités, guide ce plan d’action, renforcé par une Roadmap annoncée dans le budget 2025-2026. Celle-ci inclut des programmes de formation spécialisés pour renforcer les compétences des professionnels.
Le compte à rebours est lancé
Ce qui est ressorti, c’est aussi la nécessité d’un partenariat étroit entre secteurs public et privé. Shahannah Abdoolakhan insiste : « Effectiveness is not measured on paper. It is proven in practice — through regulators, government, and industry working side by side. » Selon elle, Maurice doit s’inspirer de modèles où administration et entreprises travaillent de concert. « In the UAE, I have seen how effectiveness happens when public and private sectors sit at the same table, asking tough questions and solving problems together. Mauritius can – and must – embrace the same model. »
« Some may say: 2027 is still two years away. Why begin now? But in compliance, two years is tomorrow. Effectiveness cannot be built overnight. It takes time. It takes preparation. It takes practice », poursuit-elle. John Cusack abonde dans le même sens : pour être crédible, Maurice doit démontrer dès à présent des résultats concrets en matière de détection, d’investigation et de condamnations. L’évaluation ESAAMLG sera donc un test sévère, mais aussi une opportunité de renforcer la résilience et de consolider la réputation du centre financier.
Les intervenants ont souligné que l’échéance ESAAMLG 2027 est aussi l’occasion pour Maurice de se positionner comme un modèle régional en matière de conformité. « This is about more than 2027. It’s about ensuring Mauritius is ready not just for the evaluation, but for the decade ahead. »
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Mais qui est John Cusack ?
Juriste anglais, John Cusack cumule plus de 30 ans d’expérience dans la lutte contre la criminalité financière. Ex-directeur mondial de la conformité chez UBS et Standard Chartered, il a présidé deux fois le Wolfsberg Group, qui fixe les standards mondiaux AML/CFT.
Jusqu’en 2025, il a dirigé la Global Coalition to Fight Financial Crime. Aujourd’hui, il conseille banques, régulateurs et entreprises via Oliver Wyman et Global Screening Services, et enseigne au Wealth Management Institute de Singapour.