De l’indifférence à la complicité
Ils ont été nombreux cette année encore les migrants venant de l’Afrique subsaharienne à tenter l’aventure pour rejoindre l’Europe, bravant tous les obstacles et dangers auxquels ils s’exposent. Une aventure qui se transforme souvent en cauchemar non seulement en Méditerranée ou dans la Manche mais également en Libye, lieu de convergence des routes de ces migrants, car se situant à moins de 160 milles nautiques de Lampedusa, porte d’entrée vers « la terre promise européenne ». De sorte que même le pape François n’a pas mâché ses mots en comparant la Méditerranée à « un cimetière froid sans pierres tombales », lors d’un discours le 5 décembre dernier à Lesbos, île grecque emblématique de la crise migratoire. Faisant référence à un « naufrage de civilisation », il a exhorté la communauté internationale « à ne pas tourner le dos à la réalité » de cette crise – une réalité somme toute sinistre, tragique pour ne pas dire morbide.
En effet, selon l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), de janvier 2014 à décembre 2020, plus de 40,000 personnes sont mortes ou portées disparues au cours de leurs périples migratoires à travers le monde ; parmi eux, plus de la moitié ont péri noyés dans la Méditerranée, ce qui en fait la frontière migratoire la plus mortifère au monde. L’image du petit Syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé inerte le 2 septembre 2015 sur une plage de Turquie et qui avait fait le tour du monde restera, sans doute, le symbole de la tragédie migratoire méditerranéenne.
S’il existe plusieurs causes qui poussent les gens à l’exil – pauvreté, conflits, discrimination, persécution, entre autres –, tous n’ont cependant qu’un seul et unique objectif : la recherche d’un avenir meilleur pour eux et leurs proches. Mais pour la grande majorité des migrants, le motif demeure d’abord et surtout économique. Confrontés aux conditions de vie déplorables liées, entre autres, aux inégalités, à la précarité, au chômage et à l’exclusion, ils ne voient d’autres alternatives que de partir, à n’importe quel prix, au risque et péril de leur vie et celle de leurs enfants.
En effet, dans plusieurs régions du monde, depuis les années 80, vu que la concentration des richesses s’est accentuée de manière insolente – selon le World Inequality Report 2022 publié le 7 décembre dernier, les 10% des plus riches s’approprient 52% du revenu mondial, ne laissant que 8% seulement aux 50% des plus pauvres –, des millions de personnes ont connu une dégradation significative de leur qualité de vie. Une situation que la Covid-19 n’a fait qu’accentuer. En outre, dans un grand nombre de pays pauvres et en développement, les budgets consacrés à la santé et l’éducation per capita ont significativement régressé ces dernières décennies ce alors que, selon l’UNICEF, l’argent dépensé en 24 heures pendant la guerre du Golfe aurait permis de financer un programme d’immunisation infantile d’une durée de 5 ans et ainsi d’empêcher la mort d’un million d’enfants par an.
Mais tout n’est pas à mettre sur le dos des pays riches. Il y a également la corruption et le détournement de l’argent public dans les pays concernés qui freinent considérablement toute tentative d’intégration et de mobilité sociales. L’expérience a démontré d’ailleurs que les aides internationales n’atteignent que rarement leurs destinataires dans leur totalité ; une grande partie se volatilisant en cours de route. Si le Singapour, par exemple, est devenu ce qu’il est aujourd’hui en matière de développement et de progrès, c’est, dans une grande mesure, dû à la politique de bonne gouvernance impliquant, entre autres, une volonté intransigeante de combattre la corruption, le respect du principe du mérite, la prévalence de la paix et la sécurité publique.
Finalement, comment passer sous silence la situation actuelle en Afghanistan où, face à l’attitude amorphe de la communauté internationale, un véritable drame humain se profile à l’horizon. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime à un demi-million d’Afghans qui quitteraient leur pays d’ici la fin de l’année après la chute de ce pays aux mains des Talibans en août dernier. Aujourd’hui, un sursaut au niveau mondial est essentiel pour mettre un frein à une telle tragédie humaine ; l’indifférence, en revanche, étant toujours synonyme de complicité.