- – Anna Patten, Monique Athaw, Teresa David, Jean Renat Anamah et Tony Joseph présentent des créations inspirées de ces deux incontournables
Ce 14 avril, cinq grands noms de la danse locale présenteront, le temps d’un spectacle de 90 minutes, des créations originales et inédites inspirées de deux étoiles mauriciennes parties trop tôt, à savoir Sanedhip Bhimjee et Patrick Athaw. Anna Patten, gourou et partenaire de Sanedhip Bhimjee, Monique Athaw, danseuse et épouse de Patrick Athaw, Teresa David, Jean Renat Anamah et Tony Joseph planchent depuis plusieurs mois sur un spectacle minutieusement concocté « dans le but de rendre un hommage poignant et à la hauteur de l’immense talent de ces deux grands noms disparus », indique Kamini Bubooa, , présentant ce spectacle au Caudan Arts Centre (CAC).
Nostalgia, Free as a bird et Instantanés sont les trois tableaux que présenteront Teresa David et la David Academy of Dancing pour l’occasion. « Le premier tableau recrée un moment de réminiscence, tandis que le second traduit l’envol vers la liberté, tout en légèreté et en hauteur. Le dernier est une reprise d’une des premières créations de Patrick Athaw, inspiré de la technique moderne », élabore Teresa David.
Cette grande dame de la danse, et artiste de renom a un souvenir très personnel, qu’elle a partagé : « Je me souviendrais toujours de Sanedhip… Je venais de terminer une classe, ce jour-là, et Sanedhip suivait mes cours quand j’ai reçu un appel de la sécurité. Ils m’alertaient au sujet de mes parents, qui vivent juste derrière mon studio. Ma maman avait fait un malaise cardiaque, et nous devions l’emmener d’urgence à la clinique. Sanedhip, dont je venais de faire la connaissance à l’époque, a spontanément pris l’initiative. Il a couru vers ma maison, a pris ma mère dans ses bras et a pris le volant pour nous emmener à la clinique. Et Sanedhip venait d’avoir son permis de conduire… Je n’oublierais jamais cet élan spontané qu’il a eu. Il a une place très spéciale dans mon coeur. »
Anna Patten, entourée des membres de l’Art Academy, que cette autre grande dame de la danse avait mis sur pied avec la complicité de Sanedhip Bhimjee en 1996, présentera pour sa part Dhaaa. Elle dit à ce propos : « c’est une syllabe que nous répétons et que nous entendons continuellement lors de toute prestation de danse : dhaaa, dhaaa, dhaaa…. C’est, dirait-on, l’essence même de la danse; une illustration de toute la pluralité qui peut s’exprimer. » Et Dhaaa est aussi « une ode à la puissance de l’amour, qui constitue la nature et la force même de l’humanité ».
Anna Patten précise aussi que Dhaaa mettra en exergue des techniques intrinsèques du Kathak, et sublime la fusion. De son élève exceptionnel qui nourrissait un amour fou autant pour elle que son art, son talent et celui que lui-même avait, Anna Patten confie que Sanedhip était un être unique ». Selon elle, « il était la passion et la puissance qui se dégageaient quand il était sur scène ».
Cette grande figure de la scène locale a rapidement fait l’ébauche du parcours et du talent de Sanedhip Bhimjee, mettant l’accent sur son originalité et sa persévérance. « Il a créé d’ailleurs le Kathak mauricien, et nous a persuadés de présenter Kathazz en Inde, au coeur même de l’existence du Kathak. J’avais une peur bleue de me produire devant ces grands maîtres du Kathak, mais Sanedhip, lui, n’avait aucune crainte ! Il était tellement confiant de ce qu’il allait montrer… Au final, Kathazz fut un succès immense. Nous avions, en Sanedhip, un génie sans pareil. »
De Patrick Athaw, Anna Patten partagera qu’il l’appelait « alerte » ! Ajoutant : « Nous avions une grande complicité et un grand respect pour chacun. » D’ailleurs, pour sa création, Anna Patten prévoit « un item dédié à l’amour, avec ses petites gestuelles, ses expressions très coquines pour traduire la joie, la jalousie, la passion… » Pour ces créations scéniques, Anna Patten et ses danseurs seront accompagnés par le musicien Shakti Shane Ramchurn, de son nom de scène El Tabla, et de la chanteuse Sangeeta Deerpaul.
Jean Renat Anamah, autre grand nom de la danse locale, a également côtoyé ces deux étoiles disparues. Avec sa troupe de danseurs, il propose Fresk-Ils pour le spectacle hommage. Il s’agit « d’un enchaînement de moments chorégraphiques en danse contemporaine ».
Jean Renat Anamah a évoqué avec beaucoup d’affection et d’admiration les deux étoiles locales disparues. Il n’a ainsi pas tari d’éloges envers les talents exceptionnels de ces deux artistes, qui ont marqué à tout jamais la scène artistique mauricienne, ayant fait rayonner leurs noms et leurs talents ici comme ailleurs.
Jean Renat Anamah, qui a lui aussi franchi les frontières pour présenter ses spectacles, a souligné à quel point « Sanedhip Bhimjee était un révolutionnaire, un aventurier, qui ne gardait jamais rien jalousement » pour lui. « Il était de ces artistes ingénieux, généreux qui se surpassait, et était toujours là pour aider les autres à monter, faire éclore des talents et les faire briller. »
Jean Renat Anamah n’a pas manqué de rappeler à quel point « Sanedhip Bhimjee a changé la donne en distillant la danse moderne au Kathak classique ». Précisant aussitôt : « C’était un avant-gardiste, un électron libre, comme on n’en rencontre qu’une fois dans une vie. »
De Patrick Athaw, qui a été une véritable inspiration, le danseur et chorégraphe rappelle, avec beaucoup d’émotion, qu’il a dansé plus d’une quinzaine de fois Instantanés (création que présentera Teresa David avec ses danseurs, dont certains élèves de Sanedhip Bhimjee).
« C’est une pièce des années 80’ qui respire la fraîcheur. Elle est pétillante et déborde d’énergie… Quand nous avons commencé les répétitions il y a peu, tout m’est revenu d’un seul coup. »
De Fresk-Ils, il dira que c’est « une ode à la nature, un avertissement avant l’heure, un sujet de brûlante actualité, avec les bouleversements qui affectent la nature ». Cette création est imprégnée de Fusion, un projet réalisé sous la férule de Selven Naidu, et qui a vu les collaborations d’Anna Patten et de Patrick Athaw.
Tony Joseph a tenu à saluer la mémoire de ses deux inspirations, « mes deux maîtres, avec beaucoup de respect ». Il a commencé la danse à un très jeune âge, sous la direction de Patrick Athaw : « C’est grâce à lui que j’ai eu l’occasion de participer à mon premier grand spectacle. C’était dans le cadre des Jeux des Îles. »
L’artiste rejoint par la suite l’Art Academy du duo Patten-Bhimjee. Traces, la création hommage qu’a préparée Anthony Joseph, « gravite autour des sons et des mouvements, un peu à la manière dont travaillait Patrick Athaw ». Il dira encore que « chacun y trouvera son interprétation ».
Ce spectacle, qui s’annonce d’ores et déjà riche et pluriel, est « un devoir de mémoire que nous devions aux artistes d’exception que sont Sanedhip Bhimjee et Patrick Athaw », explique Rama Poonoosamy, qui ajoutera que c’est un projet qui date de 2022 et qui a fini par prendre forme.
Les billets sont déjà disponibles au CAC à Port-Louis à Rs 700 (balcon) et Rs 900 (orchestra). Pour plus d’informations, appeler le 260-0594 ou visiter le site du CAC.
Un peu plus près des étoiles…
Sanedhip Bhimjee est décédé le 24 juin 2014. Emporté par un cancer, il avait 44 ans. Né à Tuléar, à Madagascar, dans une famille indienne originaire du Gujarat et installée dans la Grande Île, Sanedhip vient vivre avec ses parents à Maurice dans les années 80’.
Alors que son père, qui exerce le métier de bijoutier, voudrait que Sanedhip prenne la relève, ce dernier, lui, rêve d’une carrière artistique. Dans les années 90’, le jeune homme, qui exerçait comme mannequin, voit son univers chamboulé quand il découvre sur une cassette vidéo le Kathak… et Anna Patten. Le coup de coeur est immédiat et l’entraîne sur la voie d’un parcours professionnel et personnel qui lui permettra de tutoyer les sommets.
Artiste complet (il peignait également), Sanedhip Bhimjee n’avait de cesse d’explorer les avenues artistiques et de faire exploser les talents. De son vivant, l’artiste était respecté par ses pairs pour son flair avant-gardiste, sa passion sans bornes et sa grande générosité.
Patrick Athaw, lui, a été victime le 31 octobre 2022 d’une crise cardiaque massive. Il avait 68 ans. Lauréat de la Rose d’Or en 1991, cet artiste, également révolutionnaire et perfectionniste, est né en septembre 1954. Son déclic sera venu de sa formation technique au studio de Val Cheung Chak, pionnière de la danse jazz moderne, chez nous.
Après un recul pendant une certaine période, Patrick Athaw a renoué avec la scène en chorégraphiant plusieurs spectacles produits par le Conservatoire François Mitterrand, enclenchant l’aventure des comédies musicales en 2007 avec L’Enfant et les sortilèges, puis West Side Story en 2011, Phantom of the Opera en 2014, Beauty and the Beast en 2019 et, par la suite, au CAC, Medley of Musicals.
Ces deux monstres de la danse locale, dont le talent s’était exporté, étaient très proches de l’agence Immedia, qui a souhaité leur rendre un hommage particulier.