Le président de la Federation of Parastal Bodies and Other Unions, Deepak Benydin, est d’avis que les résultats des élections municipales sont un signal fort envoyé au gouvernement par les citoyens. Dans l’interview qui suit, il donne les raisons qui ont incité à cette saute d’humeur pour ne pas accorder un 120-0 au gouvernement.
Parlant de la célébration de la fête du Travail, le président du Conseil des syndicats souhaite qu’un jour le 1er mai soit célébré par un regroupement de toutes les formations syndicales du pays. Il se dit également préoccupé par l’intelligence artificielle, craignant que celle-ci ne contribue à une déréglementation des lois du travail.
L’avènement de l’intelligence artificielle dans le monde du travail a été le thème central d’une conférence internationale organisée en Turquie. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
C’était en fait une conférence internationale organisée par la Memur-Sen Confederation, une formation syndicale qui regroupe plus d’un million d’employés répartis dans la fonction publique et dans les organismes parapublics. Le thème central de cette conférence était Labour Legislation and Social Justice. Des représentants de 36 pays ont participé à cette conférence.
Nous avons ainsi profité de l’occasion pour faire un tour d’horizon de cette menace que représente l’intelligence artificielle dans le monde du travail. Cette conférence arrive à un moment opportun, car il ne faut pas oublier qu’il existe actuellement un taux de chômage aigu en Afrique. Nous parlons même d’un taux de chômage de 25% à 30% dans certains pays africains. Puisque le taux de chômage est déjà fort en Afrique, nous considérons que l’avènement de l’intelligence artificielle sera une menace directe pour l’emploi en Afrique.
Dans certains pays, la robotisation a contribué à pas mal de pertes d’emploi. Les robots peuvent dans un certain nombre de cas remplacer les humains avec une facilité déconcertante, car ils sont en mesure de travailler au rythme de 24/7. Les robots n’ont pas de temps d’arrêt, de congé, de lunch time, bref la loi du travail ne s’applique pas à eux.
Il y a donc une déréglementation des lois du travail qui va certainement faire son bonhomme de chemin. Lors de mon intervention, j’ai souligné le fait qu’il existe des multinationales et que les institutions financières de Bretton Woods prônent la politique de l’ultralibéralisme au détriment du capital humain. C’est un danger auquel nous devons faire face.
Pour cela, il faudrait qu’il ait des filets de protection pour les acquis des travailleurs. D’ailleurs, l’Organisation internationale du travail (OIT) a attiré l’attention sur le fait que le danger de l’intelligence artificielle peut entraîner la pauvreté. Il ne faut pas qu’ici, à Maurice, on ait tendance à continuer à croire que cette menace concerne seulement les pays africains.
L’OIT dit clairement que lorsque la pauvreté frappe un pays, cela cause une déstabilisation dans le monde. Ainsi, la justice sociale occupera une grande place dans la prochaine conférence internationale de l’OIT. Les différents partenaires dans le monde du travail doivent ainsi se concerter pour rédiger des conventions pour la protection des travailleurs face à l’avènement de l’intelligence artificielle. Le temps de la cause des travailleurs d’un pays à l’autre est révolu.
Déjà, à Maurice, nous assistons actuellement à ce que nous appelons communément le Brain Drain. Les jeunes sont à la recherche d’un salaire décent pour mieux vivre et construire leur avenir. À mon avis, pour qu’il y ait une justice sociale, il faudra que les salariés dans le monde entier aient droit à une paye décente et raisonnable.
J’ai eu l’occasion de voyager dans plusieurs pays et mon constat est le suivant. Le prix de la nourriture est pratiquement le même lorsque l’on compare le salaire minimum qui est pratiqué d’un pays à un autre. C’est pourquoi il faudra instaurer un salaire minimum décent à Maurice pour empêcher cette hémorragie de la main-d’œuvre locale.
J’ai entendu l’autre jour le ministre du Travail, Reza Uteem, dire que le taux de chômage est inquiétant chez les jeunes et les femmes. En l’absence d’un salaire décent à Maurice, c’est clair qu’ils partiront à l’étranger où l’herbe est plus verte. En sus de cela, d’autres pays accordent des mesures incitatives aux femmes salariées pour ne pas payer d’impôt si elles sont mères de deux enfants.
Si nous ne donnons pas davantage de mesures incitatives aux salariés pour rester au pays, Maurice sera alors condamnée à avoir recours à la main-d’œuvre étrangère. Si nous continuons dans cette voie, beaucoup de nos devises iront ailleurs.
Comment faire face à cette situation ?
Le gouvernement doit prendre une position ferme à ce sujet. Pourquoi ne pas accorder une résidence permanente aux travailleurs étrangers pour qu’ils puissent investir leur argent à Maurice ? Cela se fait dans de grands pays comme la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Australie. Il y a même des Mauriciens qui ont pris avantage de ce système.
À l’inverse, tous les revenus accordés aux travailleurs étrangers iront ailleurs. En sus de cela, la politique ayant trait à la formation professionnelle à Maurice n’est pas efficace. Même le Youth Employment Program (YEP) n’a pas donné les résultats escomptés. C’est le malheureux de le dire, le YEP est devenu un programme fourre-tout.
Vous avez aussi profité de l’occasion pour participer à une manifestation en faveur du peuple palestinien en Turquie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai toujours condamné la violence à travers le monde, que ce soit à l’égard du peuple palestinien ou l’attaque terroriste au Cachemire. Je n’ai toujours pas compris pourquoi on se bagarre pour augmenter son territoire. Maurice doit servir d’exemple aux pays qui s’entre-déchirent.
Nous vivons sur une petite île en harmonie avec toutes les communautés. Des dirigeants syndicaux mauriciens ont participé à une manifestation devant le bureau des Nations unies à Ankara, en Turquie, contre les cruautés et les crimes contre la population et les enfants en Palestine.
Cette manifestation a vu la participation de la présidente de la Confederation of Independent Trade Unions, Rajshree Tylamah, et du secrétaire général du Mauritius Labour Congress, Bolanath Jeewuth. Les manifestants ont scandé « Stop killing children and innocent civilians » ou encore « From the river to the sea to free Palestine ».
Plus d’un millier de manifestants étaient présents ce jour-là. Ils ont manifesté pacifiquement en présence de forces armées. Aucun incident n’a été signalé. Ils ont déploré le génocide à Gaza. De nombreux enfants et personnes âgées innocents perdent la vie chaque jour. Les récents massacres ont aggravé la situation.
Lors de cette conférence à Ankara, les syndicalistes ont affirmé qu’ils étaient conscients que les travailleurs du monde entier sont confrontés à des menaces et à des opportunités. C’est pourquoi les travailleurs doivent être protégés partout. Un filet de protection doit être mis en place. Tous les syndicats, tous les employeurs et les gouvernements doivent œuvrer à une nouvelle protection sociale.
Quel regard portez-vous sur les résultats des dernières élections municipales ?
Il est vrai que durant cette dernière joute électorale, le gouvernement a dénoncé la façon de faire de l’ancien régime en ce qui concerne la tenue des élections municipales. Il y a également un ras-le-bol de la part du peuple mauricien, et c’est pourquoi il a voté avec rage lors des dernières élections générales.
Il ne faut pas non plus oublier que le gouvernement a fait une série de promesses tout en sachant que l’ancien régime a dilapidé les fonds publics. Ces promesses ont attiré l’électorat. Parmi eux, nous comptons la baisse du prix du carburant de façon conséquente ou encore la diminution de prix des denrées alimentaires.
L’attente est devenue trop longue. Le prix du carburant a baissé de Rs 5. Ce taux d’abstention montre en quelque sorte un découragement. Ce taux d’abstention est également un signe avant-coureur pour que le gouvernement rectifie le tir.
Que doit-il faire au juste ?
Le gouvernement doit passer à l’action, car il y a des mesures que nous pouvons mettre en œuvre sans avoir recours à davantage de financement. Les services de santé publique, par exemple, laissent à désirer. Même si on dispose de plusieurs bâtiments imposants, les services sont toujours critiqués par la population. La file d’attente dure toujours dans nos hôpitaux. Ce qui est parfois écœurant, c’est lorsqu’une personne tombe malade à Port-Louis et qu’on lui demande d’aller se faire soigner dans sa région.
J’ai toujours dit qu’il faut absolument venir avec un carnet de santé pour empêcher que l’État fasse des dépenses inutiles en termes d’analyses sur les patients. Il est également grand temps d’améliorer les espaces de parking dans l’enceinte des hôpitaux et de créer en même temps des jardins récréatifs munis de cantines.
Aussi, le problème d’eau n’est toujours pas résolu. Le problème de captage d’eau dure toujours. Même si le pays a été copieusement arrosé ces derniers temps, on constate que le programme de coupure d’eau est toujours en place. J’habite non loin du réservoir de Mare-aux-Vacoas, je peux vous dire qu’à 9h, le robinet est à sec chez moi.
L’attention du gouvernement a dû être attirée sur plusieurs choses dans le rapport The State of the Economy. Il n’y a pas de priorité, de strategic planning et les nominations laissent à désirer. Aussi, il ne faut pas oublier que la décision du gouvernement de ne pas accorder le bonus de 14e mois et la compensation salariale de Rs 610 aux salariés touchant plus de Rs 50 000 est restée en travers de la gorge des citoyens.
En sus de cela, seulement les pensionnés de la fonction publique et des corps paraétatiques ont eu droit au paiement du 14e mois. Des pensionnés des grosses pointures du gouvernement telles que la SICOM, la Mauritius Housing Corporation, Air Mauritius, les services postaux n’ont pas eu droit au paiement du 14e mois. Il y a aussi une frustration en ce qui concerne la date d’application du prochain rapport du Pay Research Bureau.
Le ministre du Commerce est venu dire que la taxe avait été assouplie sur les boîtes de conserve, mais le prix continue d’augmenter dans les boutiques. Nous attendons toujours le fonds de Rs 10 milliards pour baisser le prix des articles. Au fait, le gouvernement aurait pu limiter la TVA à 5 % sur les produits alimentaires de consommation courante. C’est une mesure qui aurait soulagé la population pendant cette période difficile.
Le gouvernement a encore du temps pour rectifier le tir à propos du 14e mois et de la nécessité d’augmenter le salaire minimum. Nous attendons maintenant ce que le gouvernement va faire dans son premier budget. Il ne faut pas que le gouvernement continue sur le pas de l’ancien régime en jetant le tort sur le précédent gouvernement.
L’heure est à l’action et nous pensons que les politiciens qui sont à la tête du pays ont suffisamment d’expérience pour faire bouger les choses. Il ne faut pas non plus continuer à nommer d’anciens fonctionnaires à des postes à responsabilité au détriment des jeunes fonctionnaires. Nous pouvons nommer d’anciens fonctionnaires comme des conseillers, mais pas à des postes à responsabilité, car les jeunes vont se sentir délaissés et quitteront le pays. Le sens du patriotisme doit primer au-delà de tout. Les mesures concrètes doivent être palpables pour que le peuple réitère son soutien au gouvernement.
Il faut que le gouvernement mette de l’ordre également dans les corps paraétatiques et il faut surveiller les carapates ki sanz lisien. Il faudrait aussi the right man in the right place. On ne peut pas, non plus, mettre de côté des personnes compétentes en raison de leur appartenance politique. La méritocratie doit être de mise.
Pensez-vous qu’il faudra revoir la composition des comités disciplinaires dans sa forme actuelle ?
C’est un long combat que je mène pour changer la façon de fonctionner des comités disciplinaires. J’ai commencé le combat lorsque des gens ont été licenciés à la Banque de Maurice, à Mauritius Telecom, à Air Mauritius, à la MBC. Aujourd’hui, des gens ont été mis à la porte également au Manufacturing Welfare Fund pour des raisons qui ne tiennent pas la route. Les comités disciplinaires sont juge et partie en même temps. Il faut cesser cette pratique qui veut que ce soit le conseil d’administration qui nomme un comité disciplinaire. Les comités disciplinaires doivent tomber sous la tutelle du ministère du Travail pour qu’ils soient plus indépendants.
Il y a aussi l’urgence de mettre sur pied une Parastatal Bodies Services Commission pour mettre un terme à l’embauche des petits copains et copines. Il faut mettre un terme aux nominations basées sur la couleur politique ou l’appartenance ethnique. Il faudra également revoir la loi pour l’embauche obligatoire des handicapés dans les entreprises. Nous savons que le Disability Bill a déjà été voté, mais dans la pratique les dispositions de cette loi ne sont pas appliquées.
Que proposez-vous pour diminuer le gaspillage dans la fonction publique ?
Le rapport de l’Audit fait état du gaspillage des fonds publics. Après une avalanche de commentaires, il n’y a plus rien après. Ce sera la même chose l’année prochaine. Je pense qu’il est grand temps que le gouvernement mette un terme à cette pratique en mettant sur pied un Administrative Court pour juger les coupables. Je pense que chaque ministère doit disposer d’un audit interne qui travaillera en étroite collaboration avec le bureau de l’Audit national.
Les bureaux de l’audit interne de chaque ministère doivent pouvoir démontrer leur capacité à gérer la situation à travers un rapport soumis au bureau de l’Audit national tous les trois mois. Beaucoup de corps paraétatiques ne font pas de Strategic Planning. Aussi, il faut changer la loi pour que les corps paraétatiques deviennent redevables au Parlement.
Encore une fois, les syndicats étaient en ordre dispersé pour la fête du Travail. Pensez-vous qu’un jour, tous les dirigeants syndicaux fêteront le 1er mai ensemble ?
J’ai toujours fait un appel en ce sens en tant que président du Conseil des syndicats. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas encore obtenu les moyens nécessaires pour organiser nos activités. Il y a des syndicalistes qui ont les yeux rivés sur la conférence annuelle de l’OIT, et donc ils ne veulent pas se rencontrer sur une plate-forme.
Je dois rappeler que le Conseil des syndicats a été mis sur pied à la requête de l’OIT. Tous les dirigeants syndicaux étaient d’accord dans le passé pour aller vers l’unité syndicale, car nous constatons que beaucoup de jeunes sont découragés à se joindre à un mouvement syndical. Je ne comprends pas pourquoi la Trade Union House est restée au stade de projet alors qu’un endroit avait été identifié dans le passé pour sa mise sur pied. Il est grand temps que les différentes formations syndicales unissent leurs forces pour la célébration de la fête du Travail prochainement.
Quel regard portez-vous sur la performance du gouvernement ?
Au risque de me répéter, je pense qu’il y a un besoin urgent d’améliorer nos services de santé. Je pense qu’il faudra venir avec un plan Marshall. Après six mois au pouvoir, nous attendons des résultats. Imaginez un peu le nombre de temps que chaque patient passe à l’hôpital pour se faire soigner. On perd beaucoup de temps pour retrouver les dossiers des patients. En sus de cela, l’attente pour obtenir un rendez-vous de suivi est trop longue. Si nous voulons un service de santé moderne, n’importe où dans le pays, un patient peut se faire soigner, sans prendre en considération son lieu d’habitation.
Nous apprécions aussi que le ministre de l’Éducation ait présenté les assises dans le secteur de l’éducation, et maintenant on veut des résultats. On ne peut pas continuer à faire comme l’ancien régime qui passait le plus clair de son temps à critiquer l’opposition sans rien faire. Le gouvernement doit commencer à travailler sérieusement pour apporter des résultats, et c’est à ce moment qu’on verra un changement des mentalités dans le pays. Et le sens du patriotisme refera alors surface.
Je déplore le fait que des parasites continuent à graviter autour des corps paraétatiques. Il ne faut pas en écarter des gens qualifiés en raison de leur couleur politique. Je suis en tout cas satisfait que le travailleur social Sam Lauthan soit à la tête d’une organisation pour le combat contre la drogue.
« Le gouvernement aurait pu limiter la TVA à 5 % sur les produits de consommation courante. C’est une mesure qui aurait soulagé la population pendant cette période difficile »
« J’ai toujours condamné la violence à travers le monde, notamment à l’égard du peuple palestinien ou l’attaque terroriste au Cachemire »
« Les différents partenaires dans le monde du travail doivent se concerter pour rédiger des conventions pour la protection de l’emploi face à l’avènement de l’intelligence artificielle »
« On ne peut pas continuer à faire comme l’ancien régime qui passait le plus clair de son temps à critiquer l’opposition sans rien faire »