Donner voix, donner place : les femmes au cœur des industries culturelles et créatives

M. Edgard RAZAFINDRAVAHY,
Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien
Mme Laëtitia HABCHI, directrice de l’Agence française de développement pour Maurice et les Seychelles

M. Edgard RAZAFINDRAVAHY,
Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien
et
Mme Laëtitia HABCHI, directrice de l’Agence française de développement pour Maurice et les Seychelles

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À l’occasion de la rencontre-action pour des industries culturelles et créatives (ICC) sûres et inclusives, la Commission de l’océan Indien (COI) et l’Agence française de développement (AFD) réaffirment leur engagement commun: faire des ICC un espace d’émancipation et d’épanouissement, de lutte contre les stéréotypes et les violences basées sur le genre. En bref, un espace d’égalité de genre.

Le Projet régional de développement des ICC en Indianocéanie, financé à hauteur de 5,1M€ par l’AFD et mis en œuvre par la COI pour les États membres et le Mozambique, vise à stimuler un développement socioéconomique inclusif à l’échelle locale et régionale à travers la culture et la créativité. La réduction des inégalités de genre constitue l’objectif principal de ce projet. Et pour cause : les inégalités de genre constituent des freins structurels au développement durable et à l’inclusion sociale. Nous avons fait le choix de centrer notre projet de développement des ICC sur le genre et l’autonomisation des femmes et des filles, conformément à l’engagement de « ne laisser personne de côté » de l’Agenda mondial pour le développement durable à l’horizon 2030, et l’objectif de développement durable n°5.

Ce parti pris s’appuie sur un diagnostic genre auquel ont participé plus de 150 artistes et opératrices et opérateurs culturels dans les États membres de la COI et au Mozambique. Il révèle des inégalités systémiques: harcèlement, accès restreint à la formation, mobilité limitée pour les femmes, en dépit de leur rôle central dans la transmission du patrimoine et leur contribution économique croissante.

L’étude identifie trois axes prioritaires:

• Inclusion et représentation :  assurer une participation équilibrée des femmes, notamment dans les appels à projets, bourses de mobilité, programmation d’événements.

• Autonomisation économique : améliorer l’accès des femmes aux formations, financements et opportunités professionnelles.

• Lutte contre les violences basées sur le genre : promouvoir des environnements culturels sains, sensibiliser les artistes et les acteurs concernés par cette problématique dans ces secteurs de l’industrie culturelle mais aussi universitaire et « Tourisme Hôtellerie Restauration » et mettre en place des mécanismes de prévention, signalement des faits de violence, protection des victimes et de sanction des auteurs.

L’AFD, agence féministe, est engagée en faveur de l’égalité de genre et droits des femmes et des filles, qui sont au cœur de son plan d’orientation stratégique. Ainsi plus de 50% de ses engagements ont un objectif principal ou significatif de réduction des inégalités de genre. Ce partenariat avec la COI incarne et amplifie ce choix stratégique: faire des ICC un moteur de cohésion sociale, de résilience et de lien régional.

La COI, quant à elle, s’inscrit dans une dynamique ambitieuse portée par son Plan de développement stratégique qui sera complété, entre autres, d’une politique régionale genre renforcée, intégrant les ICC comme un vecteur de dépassement des modèles normatifs et de promotion de la diversité.

Depuis son lancement en janvier 2023 à Port-Louis, le projet ICC a permis de mettre en œuvre :

• Des bourses de mobilité AléVini pour lesquels plus de 40% des bénéficiaires sont des femmes.

• Des appels à projets et subventions pour des événements culturels, en mettant l’accent sur l’égalité de genre, et recevant entre 40 et 50% de candidatures féminines.

• Des formations spécialisées (management culturel, patrimoine, muséographie…), en veillant à un accès équitable aux femmes.

• Des appuis à la co-création régionale, incluant des conditions contractuelles strictes sur l’égalité de genre dans les partenariats.

Ces actions se doublent d’initiatives de sensibilisation publique: podcasts, expositions, tables rondes, outils pédagogiques sur l’égalité de genre, et, bien entendu, cette rencontre-action régionale des 24 et 25 juin 2025 à Maurice.

Les ICC représentent plus qu’un moteur économique régional. En effet, l’économie culturelle constitue un levier essentiel de transformation durable. Dans un monde en mutation, marqué par l’imbrication des transitions démographiques, écologiques et numériques, les ICC offrent un terrain fertile pour l’innovation, la créativité et la résilience. Elles sont à la fois un vivier d’emplois qualifiés, un moteur d’attractivité pour les territoires, et un puissant vecteur d’émancipation individuelle et de lien social. Elles méritent à ce titre un accompagnement stratégique, pérenne et à la hauteur de leurs enjeux.

C’est tout l’objet du projet ICC et de son objectif principal d’égalité de genre pour stimuler la cohésion autour d’une culture partagée et égalitaire, pour déconstruire les stéréotypes, prévenir les violences et élargir l’horizon des possibles, pour toutes et tous.

Chacune et chacun a un rôle à jouer. La responsabilité est partagée, collective.

Trop souvent, les femmes artistes, techniciennes ou entrepreneures y exercent sans statut, sans protection et sans reconnaissance. Pourtant, leur contribution est indéniable. Elles sont à l’origine de dynamiques transformatrices majeures : elles inventent de nouveaux récits, repensent les modèles de production et portent des formes de leadership ancrées dans les réalités locales. Garantir un environnement de travail sûr et équitable n’est pas seulement une obligation éthique : c’est une condition de durabilité économique pour tout le secteur.

Nous lançons donc un appel à toutes les parties prenantes, opératrices et opérateurs culturels, institutions publiques, partenaires privés, société civile, médias, monde académique :

• Adoptons une posture «zéro tolérance» contre le harcèlement et les violences, en instituant des chartes éthiques, des procédures de signalement et formations obligatoires.

• Garantissons un accès équitable aux formations, financements et réseaux, en scrutant les indicateurs genre et en fixant des quotas quand nécessaire.

• Intégrons des perspectives de genre dans les contenus culturels: thématiques, scénographies, choix artistiques doivent questionner et déconstruire les biais sexistes.

• Encourageons la co-création inter-îles, favorisant les projets portés par ou pour les femmes et l’égalité.

• Relions la culture à la sensibilisation en associant des partenaires sociaux et éducatifs pour renforcer la portée.

Les jeunes ont également un rôle moteur à jouer pour faire bouger les lignes. En cela, nous savons pouvoir compter sur l’engagement, le dynamisme et la créativité des membres du Parlement des jeunes de l’Indianocéanie lancé en marge du 39e Conseil des ministres de la COI en avril dernier aux Seychelles avec le soutien de l’AFD.

Agir pour plus d’inclusion dans la culture, c’est aussi agir pour une société plus résiliente, plus démocratique et plus prospère. C’est reconnaître que l’égalité de genre ne relève pas d’une question sectorielle, mais d’un fondement indispensable à toute transformation durable. C’est faire le choix du dialogue, de la diversité et de la solidarité.

L’égalité de genre dans les ICC ne doit pas être un slogan ; mais une réalité vécue qui infuse nos sociétés.


La valeur économique des ICC

Au niveau mondial, l’économie créative contribue à 3% du PIB mondial générant plus de 2 250 milliards de dollars annuellement et donnant de l’emploi à plus de 30 millions de personnes. Dans la région Indopacifique, les industries culturelles et créatives (ICC) représentent 1,69 milliard de dollars de revenus, soit 2,16 % du PIB. Elles emploient 610 000 personnes, dont 47 % sont des femmes. Elles génèrent 3,22 millions de dollars d’exportations de biens et services culturels, dont une grande partie via le secteur informel, qui concentre 83 % des emplois. À Maurice, les ICC génèrent jusqu’à 500 millions USD pour 19 000 emplois contribuant ainsi à 2,7% du PIB national. À Madagascar, 270 millions USD sont générés par les ICC pour plus de 400 000 emplois, largement dans le secteur informel. C’est un secteur porteur, mais vulnérable.

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