« Vingt-cinq ans après sa mort, on ne sait toujours pas dans quelle circonstance Kaya est décédé ni qui sont ceux qui ont utilisé des lance-flammes sur des maisons à Goodlands », a affirmé lundi l’ex-président de la République, Cassam Uteem, qui participait à un forum sur le thème « Émeutes 99: 25 après…Ki Sime? » organisé par l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM). Parmi les autres intervenants figuraient Jacques Achille, Lindsey Collen, Lindsay Morvan, Satish Boolell et Shenaz Patel sous la présidence de Daniella Bastien.
Cassam Uteem, qui était président de la République au moment des émeutes qui sont produites à Maurice en février 1999, s’est souvenu des circonstances dans lesquelles il avait pris connaissance de la détérioration de la situation à la suite de l’annonce de la mort en prison de Kaya.
« J’ai appris qu’il y avait une mobilisation dans certaines régions de Maurice contre la police. Il fallait savoir comment réagir. La situation a empiré, voire s’est généralisée dans la région de l’Ouest. Les gens ont commencé à avoir peur d’autant plus que le transport public avait cessé ses opérations. Il était évident que c’était un début d’émeute », raconte-t-il. « Le Premier ministre sur les conseils de son Security Adviser – dont je ne suis pas sûr qu’il connaissait suffisamment la société – n’avait pas eu les réactions qu’il fallait à ce moment précis », ajoute-t-il. L’ancien président se souvient que le père Philippe Fanchette l’avait appelé pour lui faire part de la situation dramatique à Roche-Bois.
Cassam Uteem a mis en avant : « devant cette situation j’ai pris la décision d’aller parler aux gens. J’ai dû le faire car je ne pouvais rester au Château du Réduit alors que le pays s’enflammait. Je me suis souvenu de 1968, qui avait donné lieu à des dizaines de victimes. Il fallait faire quelque chose pour désamorcer la bombe. Mes services de sécurité m’ont dit non. Je ne pouvais pas sortir parce que la situation était grave… Je dis aux membres du service de sécurité que j’irai à condition que les officiers soient en civil et qu’il n’y ait pas d’escortes ».
De plus, il se souvient du rassemblement organisé par le Père Fanchette. « Je leur ai parlé sans préparation mais avec mon cœur pour leur dire : Rann sa pei-la enn servis. Ne continuez pas sur cette voie, je vous promets une enquête pour savoir dans quelle circonstance Kaya a trouvé le mort », avait-il plaidé.
Il a raconté comment il s’est rendu à Cité-Kennedy, à Quatre-Bornes, où des magasins ont été brulés. « J’ai vu des gens masqués avec des sabres et bâtons et qui étaient prêts à une confrontation. Malgré que je ressentais une certaine frayeur, je leur ai parlé et je leur ai dit ce que j’ai dit à Roche-Bois ». Il s’est souvenu qu’au même moment une rumeur circulait à l’effet que le temple des Brama Kumaris avait été vandalisé, ce qui était faux – et qu’un camion arrivait avec des gens venant de la région de l’Est.
« La révolte vis-à-vis de l’autorité policière a pris la dimension d’une confrontation entre les communautés. Des rumeurs les plus folles circulaient. Heureusement que le camion en question s’est arrêté au niveau de la police de Quatre-Bornes. Le commandant Servansingh, alors à la tête de la SMF, a joué un rôle déterminant pour empêcher une détérioration de la situation et faire comprendre aux occupants du camion ce qui s’était produit. Le calme n’était pas retourné. Des pillages étaient relevés dans le pays. C’était le début d’une insurrection. Dans cette situation, j’ai été à la télévision. J’ai téléphoné au Premier ministre Navin Ramgoolam et au leader de l’opposition, Paul Bérenger – qui ont fait un appel et graduellement la situation est revenue sous contrôle », poursuit-il.
Ailleurs, il a eu des attaques, notamment à Goodlands, en raison de rumeurs et provocations délibérées de certaines personnes. Une douzaine de maisons brulaient à la Cité-Ste Claire. « Le père Souchon, Mgr Jean Margéot et moi-même nous nous sommes rendus là-bas. On leur a parlé. Tout cela a permis de calmer la situation. La State House a organisé la journée de l’amitié à travers le pays et les gens se sont dirigés à Réduit dans le jardin pour le concert sur l’unité de la nation mauricienne. Le 21 mars est devenu un jour de commémoration. Un monument dans l’unité dans les jardins du Réduit. »
« À la State House on avait commandé une étude sur l’exclusion à laquelle ont participé des sociologues, des pédagogues. On avait vu comment l’exclusion existait même à l’école. Certains enfants sont humiliés et exclus. Si nous laissons les choses continuer comme c’est le cas actuellement aujourd’hui au moment où je vous parle, je n’exclus pas qu’un autre Kaya beaucoup plus grave pourrait se produire », conclut-il.
L’ancien président de la République estime que le problème du combat contre la pauvreté et l’exclusion est essentiel. « L’événement Kaya nous a mis dans une situation difficile. Le rapport Matadeen a pris quatre ans avant d’être publié. Certaines recommandations ont été mises en pratique. Mais la question centrale reste posée : comment notre chanteur national est mort. Il n’y a pas eu d’enquête. On a donné une compensation à la famille Kaya. De la même manière on ne sait pas qui a utilisé des lance-flammes sur les maisons à la Cité Ste-Claire à Goodlands. Beaucoup doit être fait pour tirer les gens de la situation de pauvreté et d’exclusion », a-t-il dit.
Jacques Achille a mis l’accent sur comment la culture et la religion rastafari sont arrivées à Maurice ainsi que les prémisses du seggae et son évolution. Il a parlé de Kaya, des circonstances de son arrestation et des témoignages et rapports d’autopsie divers et contradictoires quant à ce qui s’est produit dans la nuit du 20 au 21 février 1999, en cellule policière.
Pour sa part, Lindsay Morvan a raconté comment Berger Agathe est tombé sous les balles de la police. Mis à l’abri, il souligne que d’une part, faute d’accès au quartier, l’ambulance n’a pu venir le prendre pour le transporter à l’hôpital et d’autre part, certains de ses proches et lui-même ne le souhaitaient pas non plus craignant qu’il soit arrêté dès qu’il se rendra à l’hôpital.
Lindsay Morvan devait aussi indiquer qu’à aucun moment il n’a imaginé que le chanteur pouvait rendre l’âme, ayant toujours cru qu’il s’en sortira dès qu’il aura des soins.
Pour sa part, Shenaz Patel s’est appesanti sur ce qu’elle a vu en se rendant à Roche-Bois et a parlé de ce qui se passait à la Cité Sainte-Claire, à Goodlands, en insistant et en interpellant sur le cas de « cette petite fille qui a vu son enseignant mettre le feu à sa demeure et qui devait retourner en classe, et le revoir ». « Sa zanfan-la zordi ena 35 ans et mo kestion se : Comment est-ce qu’on se construit avec cela ? Kot sa ale, sa santima laper, lakoler, la fristrasion ek santima inzistis ? ».