Il était une fois une brebis, une brebis de gauche,
vous avez bien entendu, pas de droite, ni de travers, mais de gauche,
et on l’aimait cette brebis, on l’admirait,
elle voulait faire la révolution,
elle aidait les pauvres, les démunis,
elle était de tous les combats pour la justice
une brebis remarquable, vous en conviendrez
puis un jour elle rencontra un loup, oui, un loup,
le même qui s’était déguisé en grand-mère
et qui avait de grands yeux pour mieux voir Chaperon Rouge,
de grandes oreilles pour mieux entendre Chaperon Rouge,
et qui l’avait dévorée, la pauvre,
un loup, qui était loin d’être sympathique, vous en conviendrez,
le loup fit une proposition à la brebis,
« tu m’aides à devenir le roi du royaume des moutons,
des doux et gentils moutons,
et en contrepartie tu deviendras ministre »,
la brebis, séduite par cette proposition, en discuta
avec ses amis, parmi eux son meilleur ami, un papillon
ce dernier, qui était très sage, lui dit, je cite verbatim :
« la vie est éphémère, chère brebis, je suis bien placée pour en parler,
le pouvoir est une illusion, demeure fidèle à ton combat »
les paroles du papillon ébranlèrent la brebis,
elle se rongea les ongles, pardon les poils,
durant plusieurs jours
mais comment refuser l’offre alléchante du loup,
il n’est pas donné à tout le monde de devenir ministre,
surtout pas une brebis, elle se vit ministre,
à parader dans son ministère en compagnie d’une brebis ministre junior,
peut-on imaginer un plus grand bonheur
une plus grande gloire
qu’importe qu’on s’associe au grand capital, à la grande bourgeoisie
pour reprendre le lexique de la gauche,
qu’importe le néolibéralisme, la FMI et tout ce qui nous rend moody
qu’importe la destruction programmée de l’état providence
et ministre elle devint
mais elle comprit très vite que le loup, étant loup (Chaperon Rouge
en sait quelque chose), se comporterait comme un loup
et le loup se mit en campagne pour affamer les moutons,
la brebis se révolta dans un premier temps
mais le pouvoir étant ce qu’il est
elle mit au rancart sa révolte, elle fit quelques discours
de convenance sur la gauche mais tout était de travers
pauvre brebis, quelle tragique situation,
parfois, le papillon lui soupire dans ses rêves,
« tu ne m’as pas écouté, chère brebis, et il y a pire, les moutons
affamés et désespérés voteront éventuellement
pour un loup populiste, tu fais le lit du fascisme
et il y a pire que pire, chère brebis »
quoi donc, lui demanda la brebis
que peut-il y avoir de pire, dis-moi,
« prépare-toi, tu risques d’avoir un choc »
« quoi donc ?! »
« tu n’es pas une brebis, tu es un dindon…’
‘moi, dindon ?!’
‘oui, le dindon de la farce, une farce dont l’objet est d’asservir
les doux et gentils moutons,
quelle est donc, vous vous demandez, la morale de cette fable ?
laissons la parole au sage papillon :
‘toute brebis qui s’associe au loup se métamorphosera en dindon,
le dindon de la farce’
Umar Timol