Il ne faut pas désespérer…

Sa nomination avait fait l’objet de très sévères critiques pour être intervenue quelques jours seulement après l’obtention de son diplôme. Mais aussi parce qu’elle est, surtout, la fille du député du PTr, Eshan Juman. Elle a, dans un premier temps, tenté de s’expliquer, de se justifier, et de mettre en avant ses qualifications. Sans grand succès.
Son père a, de son côté, plaidé l’ignorance tout en vantant ses mérites mais Nabihah Juman a finalement choisi la seule voie honorable et digne qui s’offrait à elle en annonçant renoncer à ce poste, vendredi dernier. Bravo, mademoiselle !
Elle n’était pourtant qu’une simple membre de la Competition Commission qui vient d’être reconstituée mais la jeune fille a, dans sa lettre, pleine de sagesse, de maturité et d’élégance, assuré qu’elle devait y siéger à titre bénévole mais que, devant la levée de boucliers que sa nomination a suscitée, elle a “estimé que mon intégrité, mon honneur et celui de ma famille doivent primer sur toute autre considération.”
Elle a ainsi parfaitement pu mesurer, en quelques jours seulement, à quel point de telles nominations embarrassent sa propre famille politique, si ce n’est celle avec qui elle partage des liens de sang. Il ne faut pas désespérer de la jeunesse ! Nabihah Juman a d’autant plus de mérite dans sa posture digne qu’elle est la fille de quelqu’un qui, dans le temps, avait commis le délit de soudoyer un policier en lui offrant Rs 200 pour ne pas être verbalisé.
Condamné pour “corruption”, Eshan Juman avait fini par obtenir que son certificat de caractère, entaché, soit “nettoyé”. C’est ce qui lui a permis de se jeter pleinement dans l’arène politique. C’est peut-être cet épisode qui a servi de leçon à sa fille. La rectitude morale est la mère de toutes les qualités, avant peut-être même celle du diplôme ou du mérite supposé ou avéré ! Et Nabihah ayant montré la voie, Frédéric Curé a, lui aussi, dû, hier, renoncer à la présidence de Airports Holdings Ltd.
Avant ces renoncements sous pression de l’opinion, une autre nomination controversée avait aussi connu le même dénouement. Celle de Vishwadev Gobin, le père de l’ancien ministre Maneesh Gobin, désormais connu pour la fameuse Stag Party. Le conseil des ministres avait, le 28 août 2020, décidé de nommer l’ancien enseignant, député travailliste et présentateur du bulletin en anglais de la MBC, à la présidence du Mahatma Gandhi Institute et du Rabindranath Tagore Institute.
Devant le tollé provoqué par cette annonce, le père de Maneesh Gobin dut battre en retraite et décliner le poste qui lui avait été offert, bien entendu, à l’insu du plein gré de son fils ministre. Dans ce registre, le père Bhadain n’avait, lui, pas trouvé anormal d’occuper les fonctions de président de la Banque de Développement, pendant que son fils siégeait au conseil des ministres. À chacun son sens des valeurs et son code de conduite.
Malgré les débats très vifs sur les récentes nominations de proches qui ont eu pour effet d’exposer la grande déception et l’immense désillusion des soutiens les plus actifs de l’Alliance du Changement, le gouvernement continue de persister dans ses choix controversés.
Pas plus tard que vendredi dernier, le conseil des ministres a décidé de nommer Mme Meela Devi Ramlochun Bunwaree à la présidence de l’Agricultural Marketing Board. Si le patronyme peut ne rien dire à la population en général, il sonne comme une nouvelle provocation pour ceux qui connaissent les connexions intimes des protagonistes de ce qui s’annonce comme une interminable saga.
La fraîchement nommée, qui avait été candidate sous la bannière de l’alliance nationale composée du PTr et du PMSD dans l’ancien fief d’Arvin Boolell au no 11, n’est autre que la belle-sœur du ministre de l’Agro-Industrie. Ce dernier a, rappelons-le, contracté un second mariage avec Emma Ramlochun en décembre 2020.
Le plus indécent dans cette toute dernière nomination est que Meela Devi Ramlochun-Bunwaree va travailler à la tête d’un organisme qui est placé sous la responsabilité directe de son propre beau-frère, le ministre Arvin Boolell.
Tout cela a de quoi exaspérer ceux qui ne sont pas à la recherche d’un “boute” et qui, comme une grande majorité de Mauriciens, s’attendaient à un changement radical et à une vraie rupture avec certaines pratiques scandaleuses. La méritocratie est un sujet très sensible et d’une grande importance pour les Mauriciens épris de justice et d’égalité des chances, et faire un peu plus ou un peu moins que le MSM n’est pas suffisant.
Ce n’est d’ailleurs pas pour cela que le peuple a massivement voté l’éviction sans appel et sans nuance du régime pourri qui était en place ces derniers 10 ans. Comment dire que l’on a parfaitement saisi le sens profond du vote du 11 novembre 2024 mais, en même temps, faire fi de ce qu’il exprimait en terme de désir de radicalité dans certaines décisions ?
Le débat sur les nominations n’est pas que le proche soit qualifié ou pas, mais qu’il n’ait pas été désigné sur la base d’une sélection fondée sur le mérite et qu’il l’ait été sur la base de sa proximité partisane ou familiale. Est-ce si difficile à comprendre ?
La population a bien appréhendé maintenant l’ampleur des défis économiques, le champ de ruines laissé par un pouvoir dont la seule préoccupation était de voir comment se retrouver aux affaires, pour mieux voler, piller et protéger les copains et la famille. Quitte à faire tourner la machine à billets et à fausser les chiffres pour distribuer des cadeaux à gauche et à droite.
La pension à 65 ans, mal expliquée au départ, a, avec les voix éclairées d’acteurs indépendants, fini de convaincre un bon nombre de Mauriciens de la justesse et de l’urgence de la décision, même s’ils ne sont toujours pas convaincus que ceux qui l’ont prise aient tout entrepris pour montrer qu’ils étaient engagés dans une réduction du train de vie de l’État.
On avance à petits pas, certes, mais le plus tôt le gouvernement règlera son problème de nominations qui empoisonne son début de mandat, pas exempt de bonnes décisions – comme celle d’instituer un fonds de stabilisation des prix de certaines commodités de première nécessité –, le mieux ce sera. Sinon, il risque de carrément le rater dans son entièreté.
JOSIE LEBRASSE

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