Incendie | Le Mauricien/Week-End : L’ineffaçable douleur du 8 janvier 1978…

Témoignage du photojournaliste George Michel,  qui en a toujours le cœur meurtri

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Le dimanche 8 janvier 1978, à la mi-journée, les locaux du quotidien Le Mauricien et de l’hebdomadaire Week-End furent la proie des flammes

Ce que l’on ne peut éteindre en son sein, on finit bien souvent par le relater aux autres, toujours avides d’en savoir davantage. L’incendie du ‘Mauricien Ltée’, il y a quarante ans de cela, a fait couler beaucoup d’encre, non sans l’avoir, au préalable, asséchée durant presque deux semaines, chômage technique oblige. Les locaux du groupe de presse de la capitale s’enlisèrent dans un véritable brasier; et pourtant, au matin du 8 janvier 1978, rien ne laissait transparaître qu’à la mi-journée le feu déclaré, vorace, allait jusqu’à consumer une grande part de son patrimoine matériel, sa vive mémoire photographique et ses belles lettres journalistiques.

George Michel, responsable du département de la photographie, a pu récupérer parmi les morceaux de bois calcinés, un margeur pour agrandisseur et le Rolleiflex, appareil photo de moyen format à bi-objectif. La veille de l’incendie, il l’avait mis à contribution pour un reportage

Jacques Rivet en a fait le récit lors d’une conversation/interview, publiée le 11 décembre 2017, dans nos colonnes. Bien que le directeur général du ‘Mauricien Ltée’ fût en mesure en 1978 de sauver les principaux équipements d’imprimerie tout juste imbriqués dans les structures du rez-de-chaussée du 8, rue St-Georges, les salles de rédaction et celles dédiées au quotidien administratif ainsi que le département des archives et de la photographie furent réduits en cendres. Le drame de cet embrasement, il n’était pas le seul à l’avoir vécu. Des rédacteurs en chef, des journalistes, des typographes, des photographes, des pressiers, des ouvriers, des messengers, des vendeurs de journaux ainsi que des lecteurs du ‘Mauricien’, entre autres, furent tout aussi bien les précieux témoins de cet inattendu et dramatique concours de circonstances.

Lindsay Harris, le responsable de la clicherie à la fin des années 60

George Michel, responsable du département de la photographie du ‘Mauricien Ltée’ en 1978, n’était pas dans la capitale le jour même de l’incendie. Un bulletin d’information radiophonique, au soir, allait lui glacer le sang. Cependant, le feu sacré qui anime l’œuvre du photojournaliste – ce que l’on ne peut éteindre, l’inextinguible – allait se confronter, dès le lendemain, à cet autre feu rougeoyant, ravageur celui-là, mangeur de bois et de papier journal. Il nous livre ses errances dans les décombres du Mauricien et nous raconte comment cet incendie lui a arraché ce qui lui tenait le plus à cœur au plan professionnel, les archives de presse et sa multitude de pellicules et de tirages… au funeste destin.          « Quand je suis arrivé au 8, rue St-Georges, le lendemain de l’incendie, le lundi 9 janvier 1978, je me suis tenu en face du bâtiment, qui n’en était plus un. J’étais bouleversé, ne pouvant y accéder, vu que des policiers se tenaient à l’entrée. Ils avaient même disposé des fils barbelés devant ce qu’il restait de l’entrée principale. J’ai dû attendre l’arrivée de Jacques Rivet. Une porte du Mauricien donnait sur la rue Brown Sequard. J’ai pu enfin y accéder », se remémore George Michel.

Ce qui reste d’une Monotype, machine de composition mécanique à clavier

À la vue des locaux défigurés par les flammes, l’intention première du responsable du département de la photographie fut, à ce moment-là, de se rendre sur le toit pour récupérer ce qui pouvait l’être encore. Il voyait bien que tout le plancher de la charpente – où il s’attelait à l’ouvrage – s’était effondré, et gisait au rez-de-chaussée, mais le plus mince espoir pouvait encore conférer du sens à l’inexplicable, l’inconsolable. Pourquoi? Parce qu’une grande armoire blanche, datant des années 40 et appartenant à Raoul Rivet, renfermait ses précieux outils photographiques. D’entre les morceaux de bois calcinés du meuble, le photojournaliste n’a pu que mettre au jour un margeur pour agrandisseur et un Rolleiflex, l’appareil photo à bi-objectif de format 120, de douze poses par pellicule; le boîtier en métal a certes résisté au feu… tel ne fut malheureusement pas le cas pour l’objectif. Inutilisable donc.

Hedley Moutou aux commandes dans l’atelier de photogravure, appareil détruit par le feu

« J’ai aussi perdu à jamais un boîtier à objectif interchangeable, le Minolta SRT 101 de format 35 MM, doté d’un objectif de 50 MM, à ouverture 1.4; un Widelux à fonction panoramique, de format 35 MM; et un précieux flash électronique, comme support lumière, de la marque Mecablitz (série 502). »

Qui plus est, celui qui aime « écrire avec la lumière», comme pour se rapprocher sans cesse du sens premier du mot « photographie », aura le souffle coupé quand il se rendit compte, de visu, de l’étendue du désastre. George Michel nous traduit sa désarçonnante tristesse : « Quand j’ai commencé à travailler au ‘Mauricien’, Jacques Rivet prenait déjà des photos de presse, et la plupart de ses négatifs étaient stockés au bureau. Nos archives photographiques existent depuis 1958. 20 ans de réalisations photos, dont les négatifs, les tirages et les photogravures, se sont volatilisés… Je perdais ainsi dix ans de mon travail pour le compte du ‘Mauricien’ et de ‘Week-End’ ainsi que mes archives personnelles de la fin des années 60. Je songe aussi à mon prédécesseur, Lindsay Harris, qui a beaucoup contribué aux archives photographiques du groupe ».

Du toit et de ses huit lucarnes en bois, seuls leurs encadrements résistèrent aux flammes

Le sinistre a aussi dévoré le laboratoire de la chambre noire, qui comptait un agrandisseur de la marque Lucky au format 6 X 6 centimètres, ce qui permettait à George Michel ou encore à ses collègues, Ismaël Bhugaloo, Paul Michel et Vishnu Soobrayen, de réaliser des tirages à partir des négatifs de 120 MM et 35 MM. Il compte, parmi les pertes du ‘Mauricien Ltée’, des cuves, qui servent à développer les pellicules, des bacs en plusieurs formats pour les tirages, et le stock entier des produits chimiques pour la production photographique en noir et blanc.

Cette liste ne cessera de s’allonger au gré de son regard balayant la désolante scène en ce Janvier-78 : de quoi évoquer, ici, le sort du digne serviteur des titres de presse du ‘Mauricien Ltée’ durant deux décennies, ce précieux appareil de photogravure en bois qui disparaissait en moins de deux heures d’incendie. Celui-ci comportait deux extrémités (un porte-objectif et un porte-châssis pour négatifs) reliées par un soufflet en cuir (en forme d’accordéon). Une grande feuille de pellicule est placée au dos de l’appareil, dans le porte-châssis, qui s’aligne sur le porte-objectif. Et l’ensemble se déplace en avant et en arrière sur des rails pour la mise au point de l’image des documents à photographier selon la taille exacte des clichés destinés à la mise sous presse.

Des employés du Mauricien Ltée, Jacques Isnard, Mario Mercier, Georgie Wong, Daniel Bizela, Krisna Marimootoo, ‘Ton Pierre’, Jacques Etiennette et Kisnasamy Ramsamy

Le responsable du département de la photogravure, Hedley Moutou, et son adjoint, Gaëtan Vadamootoo, furent désemparés. Ceux-là mêmes qui manipulaient la manivelle de la machine pouvaient, en une vingtaine de minutes à peine, préparer une photo à des fins de publication. Eux aussi, tout comme George Michel, cherchaient, au lendemain de la catastrophe, à récupérer à tout prix le plus menu des équipements fonctionnels qui soit. En vain.

« L’information visuelle est mon dada », tient à mettre en exergue George Michel. « Ces archives étaient tout pour moi. Jusqu’à présent, je regrette tout ce que j’ai perdu. Je reviens souvent sur mon passé. Sans le passé, je ne peux travailler. Il constitue, pour moi, un repère. À l’heure où je vous parle, j’en ressens encore le besoin. Mon passé est mon guide pour avancer, comme un phare dans la nuit. Ce que j’ai perdu est irremplaçable. »

La table de montage, la presse à rouleau à épreuves et les caractères d’imprimerie de différentes tailles en plomb dans leurs cases respectives entièrement détruits

Irremplaçable, à n’en point douter. Car comment oublier les photos de plusieurs chefs d’États africains présents à l’ouverture de la conférence de l’Organisation commune africaine et mauricienne (l’OCAM) du 26 avril au 5 mai 1973 au Théâtre de Port-Louis ? Comment faire l’impasse sur les clichés – signés George Michel – de Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal et président de l’OCAM; de Jean Bedel Bokassa, président de la République centrafricaine et « Empereur » par la suite; James Mancham, le Premier ministre des Seychelles…? Et cette grande manifestation du MMM en 1969 à St-Jean contre la venue de la princesse Alexandra et de son époux, Angus Ogilvy, à Maurice, George Michel l’aura également mitraillée tout son soûl. Les photos d’un autre attrait de Gaëtan Duval, SSR, Jules Koenig, Satcam Boolell, Kher Jagatsingh, Maurice Lesage, Guy Ollivry, Anerood Jugnauth, Razack Mohamed, les frères Bissoondoyal dans les années 70, la grève des dockers en 1971, l’arrivée de la Reine Elizabeth II en mars 1972, et la même année, en février, le meurtrier naufrage du bateau Tayeb à Port-Louis…

Les photos, certaines publiées, et d’autres, qui auraient pu se targuer d’être « inédites » à un moment ou un autre d’une actualité ou d’un rappel historique, portent en elles du vécu. Comme ce dont témoigne George Michel durant son séjour à Rodrigues ainsi que l’anecdote de son voyage même: « En 1972, j’étais à Rodrigues en compagnie de Pierre Benoit à bord du premier bateau Le Mauritius que le gouvernement avait dépêché là-bas dans le sillage du cyclone Fabienne, qui avait ravagé l’île en mars de cette année. 431 maisons furent détruites.

Abel Ducasse et Paya Vadiavaloo, ne peuvent que constater les dégâts

J’ai voyagé quelque 35 heures dans la cale du bateau; il n’y avait plus de place dans la cabine. Je tenais compagnie aux boucs et cabris ainsi qu’à leurs propriétaires. Ces derniers souhaitaient reconstituer le cheptel à Rodrigues dans le sillage du cyclone. Je n’avais que 21 ans. Toutes les photos que j’ai prises sur le bateau ont cramé.

J’avais même apporté tout un attirail pour développer des pellicules sur place. Une fois dans l’île, je pris les premières photos du lieu du futur emplacement de l’aéroport de Plaine Corail, annoncé plus tôt dans ‘Le Mauricien’. Certes, quelques photos ont été publiées mais les autres je ne les retrouverai plus. Plus jamais ! »

Gaëtan Vadamootoo, à la recherche de ses outils

La sourde douleur d’avoir été amputé d’une partie du patrimoine du ‘Mauricien Ltée’, George Michel n’a pu la transcender. La mince consolation qu’il recherchait au lendemain de l’incendie, il finira par la trouver au fin fond de son sac à bandoulière: « Mon premier appareil photo, que j’ai reçu de mon père en 1968. Un Zorki semi-professionnel, une copie de l’appareil allemand Leica, qu’il avait acheté à Rs 40 d’un ami, dont le fils travaillait dans la marine marchande. J’ai pu le sauver par défaut vu qu’il était la plupart du temps dans mon sac que je ne quittais pas. Je l’ai utilisé pour réaliser plusieurs photos destinées au ‘Mauricien’ et à ‘Week-End’. Je le conserve précieusement à ce jour. »

JANVIER 1968-JANVIER 2018

George Michel, un demi-siècle dédié à l’information visuelle

George Michel aime à préciser qu’il ne détient que la « sixième ». Cependant, si l’on a l’outrecuidance de l’interroger davantage en faisant fi de sa posture d’humilité, on apprendra qu’il obtint quatre ‘A’ (ce qui valait son pesant d’or) en fin de cycle primaire (1963) – étant élève de la section primaire du Collège Bhujoharry et par la suite du lycée Raphaël L’Aiguille. Le photojournaliste naquit à quelques pas du Mauricien, dans le Ward IV port-louisien, rue du Pont, un 28 janvier 1951. Mais dès l’âge de douze ans, la maladie entrava la poursuite de sa scolarité. Et comme tout féru de lecture, il n’avait pas à se fabriquer de toutes pièces quelque structure de réflexion. Ces livres et magazines illustrés de chevet nourrissaient déjà sa pensée. Son tout premier contact avec la sphère professionnelle, il le fit en tant que relieur. De janvier 1968 à fin 1969, le photographe freelance tenta de vendre ses photos à plusieurs journaux, dont ‘Le Mauricien’, qui lui opposa des refus au vu du retard accusé dans le développement de ses clichés. Mais son sort n’était pas scellé pour autant car en décembre 1969, il intégra l’équipe rédactionnelle du ‘Mauricien Ltée’ pour y demeurer 48 ans, carrière entrecoupée d’une escapade d’un an et demi.

L’on s’accorde à dire que George Michel veille aujourd’hui, tel un gardien, sur les archives photographiques du ‘Mauricien Ltée’ qui, lui, finit par renaître de ses cendres, quelques jours seulement après l’incendie de janvier 1978… loin d’être comme si de rien n’était.

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