Inspiration : L’universalité du Tiroukkoural (*)

Notre patrimoine est constitué de grands penseurs, parfois tombés dans l’oubli. La rubrique forum du journal « Le Mauricien » nous offre le privilège et le bonheur de (re)découvrir la richesse multiculturelle de nos racines entrelacées. Chez nous, on peut à la fois écrire une grammaire et des poèmes en créole, commenter un romancier français dans un anglais impeccable, faire le rapprochement entre le Mexique et l’île Maurice, réaliser une biographie de Gide, évoquer Rousseau en parlant de l’indépendance de notre île et aussi rappeler le rôle capital de nos langues ancestrales dans la construction de notre  mauricianité. Récemment, Satyendra Peerthum a mis en évidence l’engagement du Pandit Basdeo Bissoondoyal pour notre pays. A la lumière du concept de « revitalisation », souligné par Jimmy Harmon, quelques maximes du « Tiroukkoural » mériteraient le détour aujourd’hui, en ces temps incertains… 

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Tirouvallouvar, grand poète tamoul, est né au début de notre ère. Originaire d’une famille de tisserands de Mylapore, village situé près de Chennai, il est connu pour le Tiroukkoural ou le « Saint Koural », précieuse contribution à la littérature tamoule. A travers 1330 maximes, il livre sa vision de l’art de vivre des Tamouls au début du siècle en s’appuyant sur trois objectifs majeurs de la vie : la sagesse (ou l’épanouissement spirituel), la fortune (ou la réussite matérielle) et l’amour. L’ouvrage (1), reconnu pour sa portée universelle, a été traduit en plus de 60 langues dont le latin par Père Constantius Beschi et l’anglais par Révérend G.U. Pope au XVIIe et XIXe siècles.

Aujourd’hui, Tirouvallouvar est vénéré comme un maître au Tamil Nadu, état du sud de l’Inde. Tous les ans, une grande fête a lieu en son honneur à Mylapore. Le 1er janvier 2000, K. Karunanidhi, ministre du Tamil Nadu, a dévoilé une imposante statue de 133 pieds (44 mètres) représentant Tirouvallouvar à Kanyakumari : la hauteur de la statue représente les 133 chapitres du Tiroukkoural. A cette occasion, des artistes ont présenté des tableaux inspirés de l’œuvre de Tirouvallouvar. Le Saint Koural, ainsi célébré, est transmis de génération en génération. L’enthousiasme et l’intérêt que suscite une œuvre datant de plus de 2000 ans s’expliquent par l’universalité et l’actualité de certains sujets traités. Bien que l’ouvrage représente une époque très ancienne, il décrit avec beaucoup de réalisme des situations de la vie quotidienne. 

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L’enseignement du Saint Koural : un bref aperçu 

Le Saint Koural est un recueil de réflexion philosophique de 133 chapitres comprenant 10 versets (koural) chacun et regroupés en trois parties : l’Arathuppal, la vertu (chap. 1-38), le Portutpal, la fortune (chap. 39-108) et le Kamathuppal, l’amour (chap.109-133). Tirouvallouvar livre des conseils pour avoir une vie harmonieuse. Il s’adresse au genre humain sans distinction de castes ni de classes sociales et propose des recommandations pour une bonne conduite morale à travers des maximes sur la connaissance de soi, la spiritualité, la prospérité et bien-être, la politique, l’économie, l’amour et les relations humaines. Il situe chaque chose à sa place, selon un « ordre logique ». 

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Arathuppal, la première partie consacrée à la vertu, débute par des louanges à Dieu et le rôle de la recherche spirituelle pour atteindre la libération ultime. L’auteur évoque la grandeur des sages et décrit la vertu comme la voie indispensable pour s’unir à Dieu (verset 32). Il poursuit avec la vie domestique, les obligations familiales, les relations sociales et la communication. Dans le chapitre 11 sur « La gratitude », il s’exprime ainsi : 

« Un service rendu à temps, si petit soit-il, est plus grand que l’univers. » (verset 102)

Dans cette partie, résonnent des paroles universelles sur la conduite morale au chapitre 19 intitulé « La médisance ». Pour appréhender la connaissance de soi et son développement personnel, il faut passer par l’indulgence et le pardon. Dans le verset 190, par exemple, le poète précise que la prise de conscience de ses propres défauts favorise de meilleures relations avec autrui. Vaincre l’éphémère devient aussi synonyme du bonheur dans la vie quotidienne : au chapitre 36 sur « la perception du vrai », le poète affirme que la suppression de trois défauts majeurs (le désir, la colère et l’illusion) entraîne la disparition de tous les maux  (verset 360). 

Portutpal, « le livre sur la fortune » vante la sagesse, la bienveillance, la volonté et d’autres qualités nécessaires à celui qui doit gouverner son pays en faveur de la justice sociale. Dans une fine analyse de la vision socio-économique de Tirouvallouvar, Félix Raj, professeur d’économie au collège St Xavier de Calcutta, montre à quel point les maximes du Saint Koural sont transposables encore aujourd’hui dans notre vie quotidienne. On reconnaît par exemple, au chapitre  51 (versets 509-510), l’importance des valeurs comme la confiance et la responsabilité dans le choix d’un ministre (ou d’un chef d’entreprise). Au chapitre 68 sur « la manière d’agir », Tirouvallouvar souligne avec beaucoup de justesse la prévoyance et la motivation, deux éléments capitaux pour la réalisation d’un projet ou la bonne gestion des ressources dans la société.

« Agis après avoir mûrement réfléchi sur ces cinq points : l’argent, les moyens, le moment, l’action et le lieu.

Ne te lance dans une entreprise qu’après avoir bien considéré le but, les difficultés qu’elle comporte et ce que, achevée, elle peut rapporter de profit » (versets 675 et 676)

Il rappelle également toutes les actions fatales pour un  gouvernement. Selon lui, la puissance et l’harmonie d’un pays découlent de la relation de confiance entre le chef du gouvernement et son peuple.

Pour compléter la description de l’art de vivre des Tamouls au début du siècle, Tirouvallouvar présente les relations du couple dans la troisième partie du TiroukkouralKamathuppal, divisé en deux sous-parties, « kalavu », union secrète ou pré-maritale et « karpu », vie conjugale, dévoile bien l’évolution de la relation amoureuse. Dans une mise en scène quasi-théâtrale, l’auteur présente un hymne à l’amour – un amour qui nourrit le couple au fil des jours lors des situations qui suscitent des émotions aussi diverses que la jalousie, le désir, la bouderie, l’angoisse, la colère et le plaisir. On y retrouve aussi une interprétation symbolique du paysage intérieur des amants. Sur le plan formel, les chapitres du Kamathuppal  comprend une succession de « chants » imagés. Les chants de la montagne et du désert traduisent tantôt les sentiments que suscitent la séduction et l’union, tantôt les affres de la séparation. Ensuite, les chants de la forêt  et du littoral évoquent la contemplation et le souvenir dans l’attente, puis, les tourments de l’absence et la solitude. Et, pour finir, les chants des plaines cultivées louent avec réalisme la volupté des disputes et de la réconciliation comme au chapitre 131 sur « La bouderie »,

« Sans une querelle (d’amour un peu) prolongée, l’amour serait comme un fruit trop mûr, sans une querelle brève, il serait comme un fruit vert ». (Verset 1306)

Plusieurs artistes ont chanté le Saint Koural : Vishwanatha Shastri, grand compositeur du début du XXe siècle, a  interprété 41 chansons inspirées de l’Arathuppal, « livre de la vertu » regroupées dans le Tirukkural Madhura Kirthanai grâce au soutien du Sangita Natak Academy de Delhi. Manickam Yogeswaram, plus proche de nous, a chanté le Tiroukkoural en 133 ragas différents. Un disque conçu en 1998 par la Fondation Internationale de la Langue Tamoule aux Etats-Unis, le Tirukkural Isai Malar, Kaamathupal  met en scène le « livre de l’amour » à travers 25 chansons lyriques basées sur la musique carnatique et interprétées par deux grandes voix  de l’Inde du Sud, S.P. Balasupramanian et Chitra. 

Tirouvallouvar donne une vision pratique de la vie sous forme d’aphorismes. Si le lecteur contemporain oublie l’époque révolue des rois et des fortifications, franchit plus de 2000 ans d’histoire et essaie de tendre l’oreille aux vérités éternelles du Tiroukkoural, il découvrira une œuvre poétique d’une grande valeur morale. A bon entendeur…

 

(*) Une première mouture de cet article signée de notre pseudonyme  (Anjali B.) sur le site Inde-en-ligne.com a été publiée en 2005.

(1) Traduit également par Mootoocomaren Sangeelee, le « Tiroukkoural de Tirouvallouvar », a été publié aux Editions de l’Océan indien en 1988.

 

ACCROCHE

« Le Saint Koural est un recueil de réflexion philosophique de 133 chapitres comprenant 10 versets (koural) chacun et regroupés en trois parties : l’Arathuppal, la vertu (chap. 1-38), le Portutpal, la fortune (chap. 39-108) et le Kamathuppal, l’amour (chap.109-133). »

 

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