En marge des Assises du Travail et de l’Emploi qui se tiendront vers la fin du mois, les syndicats sont appelés à soumettre leurs propositions pour repenser le monde du travail. Dans ce contexte, la National Trade Union Confederation (NTUC), conjointement avec la Confédération syndicale de gauche (CSG) Solidarité et le Joint Negotiating Panel dans le secteur sucre, ont déjà soumis leur mémoire au ministère du Travail à ce propos.
Dans l’interview qui suit, le président de la NTUC, Narendranath Gopee, élabore sur les points saillants de ce mémoire tout en invitant le gouvernement à mettre sur pied un National Disciplinary Committee pour mettre fin aux comités disciplinaires bidon qui existent actuellement dans la forme actuelle. Le syndicaliste profite de l’occasion pour revenir sur la suspension du président de la Banque of Mauritius Employees Union, Chidanand Rughoobar, qu’il qualifie d’injuste car ce dernier n’a pas encore été condamné par une cour de justice.
Les Assises du Travail et de l’Emploi se tiendront très bientôt. Quelles sont les propositions de la NTUC ?
Au fait, la NTUC, conjointement avec la Confédération syndicale de gauche-CSG Solidarité et le Joint Negotiating Panel dans le secteur sucre, ont déjà préparé un mémoire que nous avons déjà soumis au ministre du Travail, Reza Uteem, pour qu’il ait un aperçu de nos demandes et dans quelle direction cette confédération compte intervenir lors de ces Assises du Travail et de l’Emploi. Nos propositions se tiennent en plusieurs points. Il y a la nécessité de renforcer la Workers Rights Act (WRA). Il y a aussi des dispositions des articles 34 (2) de la Labour Act de 1975 qu’il faut revoir et 43 de la Labour Amendment Act de 1996 ou définir le nombre d’heures ou de jours de travail d’un travailleur à temps partiel. Cet élément n’est pas couvert par la Workers Rights Act.
Donc, nous demandons au ministre de revoir la définition d’un Part-Time Worker en termes d’heures et de jours de travail par jour de semaine. En l’absence d’une définition exacte de ces deux éléments, les employeurs sont en mesure de demander aux travailleurs à temps partiel de travailler plus que nécessaire. En d’autres termes, c’est une forme d’exploitation de la part des employeurs.
Au sein de la NTUC, nous croyons en un lieu de travail qui est centré sur l’humanisme. Le critère de Black Code qui était fondé sur l’exploitation des travailleurs n’a plus sa raison d’être de nos jours.
Est-ce que la Workers Rights Act ne contient pas de mesures en faveur des travailleurs ?
Effectivement, la Workers Rights Act fait la part belle à plusieurs dispositions en faveur des travailleurs, mais il y a aussi des manquements que nous allons soulever lors de ces assises pour protéger surtout les droits des travailleurs. La Workers Rights Act, par exemple, est allée de l’avant avec le concept de Compressed Hours. C’est une bonne chose en soi pour le Piece Work et le Task Work. Donc, si l’employeur demande à un travailleur d’accomplir un travail pendant une durée de huit heures, ce dernier, s’il le souhaite, peut l’accomplir en cinq heures et cela équivaudrait à huit heures de travail.
Est-ce que vous allez également vous attaquer aux problèmes entourant la reprise du travail après un cataclysme naturel ?
Je dois dire que la Workers Rights Act ne couvre malheureusement pas les conditions dans lesquelles un travailleur peut reprendre le travail après un désastre naturel, comme de grosses averses, les Flashfloods ou encore les cyclones. Nous n’avons pas cessé d’enregistrer des plaintes de la part des travailleurs du secteur privé dans ce sens. Ils jugent cette situation discriminatoire par rapport à leurs collègues de la fonction publique et autres départements où le gouvernement a des intérêts. Nous maintenons que tous les travailleurs sont des travailleurs, qu’importe le secteur où ils se trouvent. Le gouvernement devrait donc venir avec une disposition dans la Workers Rights Act qui va définir les conditions dans lesquelles les travailleurs peuvent reprendre le travail après un désastre naturel.
Il faut que ces dispositions soient très claires. Il faut aussi faire la part belle aux procédures d’évacuation des travailleurs afin de garantir leur sécurité durant des désastres naturels. Il faudra aussi définir les compensations obligatoires qui seront octroyées aux employés qui doivent travailler durant une calamité naturelle.
Les congés parentaux font-ils aussi partie de vos revendications ?
Effectivement, nous avons réclamé un congé parental de deux jours, un congé menstruel d’un à deux jours par mois et nous réclamons aussi un Paternity Leave pour que les époux puissent assister leurs épouses qui ont fait une césarienne. Nous savons qu’après une opération de ce genre, la femme ne peut pas faire beaucoup d’efforts. C’est pourquoi nous réclamons ce Paternity Leave pour que les maris s’occupent de leurs femmes et de leurs enfants.
Quelle est au fait votre principale demande dans ce mémoire ?
Notre principale demande tourne autour de ce que nous réclamons depuis 2019. Maintenant, je constate que certains syndicalistes réclament la même chose que nous, comme si c’était leur combat. Il s’agit en fait du National Disciplinary Committee (NDC). Le NDC mettra un frein à l’abus de pouvoir de la part des employeurs. Il y a eu plusieurs cas, même des syndicalistes sont passés à la trappe avec le système de comité disciplinaire bidon dans sa forme actuelle. Il y a eu des cas dans les services postaux, à la Mauritius Revenue Authority, à l’Irrigation Authority, à l’Airport of Mauritius Ltd et maintenant il y a une menace à la Banque de Maurice pour mettre fin au contrat de Chidanand Rughoobar, président de la Bank of Mauritius Employees Union.
Ce sont aussi des démarches intentionnelles des employeurs, voire un signal envoyé aux travailleurs en décapitant la présidence de leur syndicat. Ce genre de situation crée définitivement une psychose dans l’esprit des travailleurs. À ce jour, même le président d’un syndicat ne se sent pas en sécurité car la loi ne le protège pas. C’est un moment, un signal fort envoyé par l’employeur qu’il y aura des conséquences s’il n’est pas satisfait du comportement d’un syndicaliste.
Pour accorder des protections nécessaires aux travailleurs et aux présidents des syndicats, nous disons qu’il faut mettre sur pied ce NDC du ministère du Travail. Ce sera un organisme totalement indépendant. Ainsi, si un employeur décide de porter plainte à l’encontre d’un salarié, il aura l’occasion d’envoyer le dossier à charge au ministère du Travail. L’affaire passera ainsi devant un comité en présence des représentants du ministère du Travail, du représentant de l’employeur et du représentant des travailleurs. Ce comité examinera le dossier. Au cas où le comité serait satisfait des explications des travailleurs, il demandera alors le point de vue du travailleur incriminé. Le tout sera alors soumis au NDC, qui sera présidé par un ex-magistrat ou un ex-juge de la Cour suprême. La présidence du NDC fonctionnera avec deux assesseurs, soit un représentant des travailleurs et un représentant de l’employeur. L’employeur et l’employé pourront se faire représenter par leurs hommes de loi durant les auditions. Le NDC ne sera donc pas Biased. Il sera habilité à étudier tous les cas d’indiscipline.
Si le NDC était en opération à ce jour, le cas de Rughoobar n’aurait pas pris une tournure disproportionnée. Je cite ce cas car il n’a pas été licencié, on l’a suspendu sur la base d’allégations frivoles, soit de Rogue and Vagabond. C’est une charge qui existe depuis l’époque coloniale où de simples citoyens n’avaient pas le droit d’élever la voix à la police. Il fallait écouter ce que dit la police tranquillement. Mais de nos jours, avec l’évolution des citoyens qui ont pu rappeler à l’ordre certains policiers, il demeure un fait que la police n’a pas toujours raison. Le cas de Rughoobur est un exemple. La charge de Rogue and Vagabond n’a pas encore été prouvée par une Cour de justice et la police n’a pas encore terminé son enquête.
Maintenant, j’apprends que le syndicaliste a également porté plainte à la police pour brutalité policière. En l’absence d’une suite de toute cette affaire, que ce soit en Cour de justice et auprès de la police, la Banque de Maurice a pris la décision de suspendre Chidanand Rughoobar et, en sus de cela, on lui a fait savoir qu’à la fin de cette affaire, on va le convoquer devant un comité disciplinaire en vue de le licencier.
Pour moi, ce licenciement est déjà prémédité. Il y a d’abord un comité disciplinaire mis en place par l’employeur. La Banque de Maurice aura à payer une importante somme d’argent à ses hommes de loi et en même temps le même le management a déjà décidé qu’importe les décisions prises par le comité disciplinaire, il sera licencié. Nous ne voulons pas que ce genre de situation se répète, d’où l’importance du NDC.
Nous avons eu une réunion présidée par le ministre du Travail, Reza Uteem. D’ailleurs, le ministre leur a fait comprendre que leur décision est totalement illégale, on ne peut le suspendre avant la fin de l’enquête policière. Le ministre a demandé à la Banque Centrale de revoir sa position mais ce dernier n’a accédé à la requête du ministre et a décidé de maintenir sa position. Je pense qu’il y a définitivement un abus de pouvoir quelque part. Il faut définitivement ce NDC, même si nous savons que Business Mauritius sera contre ce projet car ce sera un pouvoir qui sera enlevé dans la main d’un employeur. Nous avons toutes les raisons de faire capoter cet abus de pouvoir de la part d’un employeur. La Workers Rights Act et même l’Employment Relations Act doivent venir avec des dispositions très claires et précises sur la protection des syndicalistes.
Nous avons aussi remarqué que l’Employment Relations Act fait référence aux Trade Union Activities, mais sa définition est très restreinte. La loi doit accorder une protection à un syndicaliste pour qu’on ne puisse pas le révoquer ou le suspendre facilement, à moins qu’il ait commis un outrage ou que la réputation de l’institution ou de l’entreprise ait été attaquée au dernier degré. Ce n’est pas parce qu’un syndicaliste tient une conférence de presse pour protester que l’on procède à son licenciement. Le droit d’expression est inscrit dans la Constitution, cela est aussi reconnu par l’Organisation internationale du Travail, plus particulièrement par le comité ayant trait à la Freedom of Association qui indique qu’un syndicaliste dispose de la liberté d’expression et qu’il n’est pas nécessaire de demander la permission avant de s’exprimer sans toutefois faire de diffamation. Le patron d’une entreprise ne peut donc pas utiliser les activités syndicales pour imposer des sanctions à son encontre. La loi ne doit pas faire également de discrimination entre le secteur privé et le secteur public.
Les négociations collectives existent-elles dans la fonction publique ?
Nous avons observé que les négociations collectives sont pratiquées uniquement dans le secteur privé. Cette situation ne devrait pas rester ainsi, d’autant plus que le gouvernement a ratifié les conventions 97 et 98 sur les négociations collectives. Ces deux conventions ne s’appliquent pas à la fonction publique parce qu’il existe le Pay Research Bureau (PRB) qui détermine toutes les conditions de services, y compris les salaires et les bénéfices. Les syndicats consultent seulement le Pay Research Bureau (PRB) sans pourtant négocier avec l’employeur sur leurs conditions de service. Donc au final, c’est le PRB qui détermine tout. Cela constitue une entrave aux droits des travailleurs. La Commission for Conciliation and Mediation accorde la même considération aux employés des secteurs public et privé. L’Employment Relations Tribunal fait la même chose. Comment se fait-il donc qu’il y ait pas de négociations collectives dans la fonction publique ?
On va soulever la question lors des assises du travail pour faire amender la loi. Nous avons aussi remarqué que certains Awards de l’Employment Relations Tribunal sont souvent contestés en Cour suprême, et dans certains cas elles sont cassées. Je prends par exemple le cas du syndicaliste Luximon Badal. Il y avait des failles légales dans un Award à son encontre et nous avons référé ce cas à la Cour suprême pour une Judicial Review et la Cour suprême nous a donné gain de cause et a dit à l’Employment Relations Tribunal qu’elle a pris en considération seulement un aspect de la loi, c’est-à-dire est-ce que le licenciement de Luximon Badal était justifié ou non.
La loi prévoit aussi de s’occuper également de la possibilité d’une réintégration. La Cour suprême a renvoyé cet Award. C’est un manquement légal très sérieux. Nous avons dépensé beaucoup d’argent dans cette affaire. D’où ainsi l’urgence de mettre sur pied un Appeal Tribunal qui sera habilité à étudier les Awards de l’Employment Relations Tribunal. Très souvent, le tribunal prend en considération ce que dit l’employeur qui est représenté par un avocat. C’est un manquement. C’est pour cette raison que la mise en place d’un Employment Appeals Tribunal est nécessaire comme c’est le cas en Angleterre.
Quel est votre regard finalement sur la suspension de Chidanand Rughoobur à la Banque de Maurice ?
Je pense que c’est un conflit grave au niveau de la Banque de Maurice. C’est un conflit qui n’aurait pas dû exister et en même temps c’est un cas flagrant d’abus de pouvoir de l’employeur. Le ministre Reza Uteem a eu l’occasion de leur faire savoir que leur décision est totalement illégale et donc, la suspension est illégale car l’enquête policière n’est pas encore terminée et que la Cour ne l’a même pas condamné. L’employeur l’a jugé coupable et on l’a suspendu.
Ce n’est pas à partir de maintenant qu’on cherche la tête de ce syndicaliste. Tout a commencé en 2021, lorsque Chidanand Rughoobur et la Federation of Civil Service and Other Unions, qui représente les intérêts des travailleurs de la BoM, avait fait une demande pour ouvrir les négociations collectives sur les conditions de service de ses employés. Le management n’était pas d’accord et il a commencé à utiliser des tactiques dilatoires.
Le management a commencé à nous dire que le syndicat n’est pas reconnu et pourtant ce syndicat a été créé en 1976 et à plusieurs reprises, a entamé des négociations au niveau du management de la Banque de Maurice. Nous avons déposé une plainte auprès de l’Employment Relations Tribunal. Le tribunal nous a demandés de présenter une lettre pour dire que le syndicat est reconnu par le Management. Nous n’étions pas en mesure de produire cette lettre car le dossier syndical est passé par plusieurs mains entre 1976 et 2021. Nous avons soumis des preuves que le Management reconnaît le syndicat, mais le Management rejette notre reconnaissance. Le syndicat a finalement écrit au Management pour réclamer sa reconnaissance. Il a soumis tous les documents au management selon les dispositions de la loi. Voilà où nous en sommes. Pour mettre un terme à tout cela, le Management a choisi de décapiter le président du syndicat.
Le Management se défend maintenant pour dire qu’une action a été prise à son encontre non pas en tant que président d’un syndicat, mais en tant qu’employé. Le Management a choisi d’envoyer un signal fort aux employés pour dire : « Voilà le sort qui vous est réservé si vous persistez avec des activités syndicales. » Ce n’est pas normal qu’un syndicaliste ne dispose pas de protection sous la loi alors que la loi permet à l’employeur de faire la pluie et le beau temps. La Banque de Maurice dispose des services de deux Legal Advisers in House. Que font-ils à la BOM ? J’attends le retour du Premier ministre, Navin Ramgoolam, pour lui demander d’intervenir personnellement dans ce cas. Entre-temps, je vais écrire au Bureau international du Travail et à l’ITUC pour réclamer leur intervention dans ce cas précis.
Que pensez-vous du dernier développement autour de l’archipel des Chagos ?
Le dossier retourne maintenant à la House of Commons. Définitivement, l’opposition proteste, elle demande comment peut-on payer la location d’un archipel qui appartient à l’Angleterre. Les Anglais doivent démêler l’écheveau avec les Américains parce que c’est l’Angleterre qui a loué à bail cet archipel aux Américains. Je pense que ce sont les Américains qui doivent payer et non pas les Anglais, car ce sont les Américains qui utilisent cette base.
Je pense que l’archipel des Chagos est la terre des Chagossiens. Ces derniers doivent être en mesure de retourner sur place car c’est un droit légitime. Je ne pense pas que les Anglais vont être réticents car il existe déjà un accord dans ce sens. Et maintenant, Starmer doit Stand on his Feet pour que Maurice et l’Angleterre signent l’accord final.
Propos recueillis par Jean-Denis PERMAL

