Khalil Elahee : « Embarquer tout le monde sur ce grand chantier du développement durable »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien, Khalil Elahee, président de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), souligne la nécessité d’embarquer tout le monde sur le grand chantier qu’est le développement durable qui a accusé un retard de dix ans. Il annonce la publication prochaine d’un plan stratégique sur l’énergie renouvelable. Et déplore la disparition du projet Maurice île durable. Il souhaite la relance de ce projet sous une forme ou une autre. Concernant l’arrivée prochaine du Power Ship, il considère que « c’est un médicament amer », mais qui doit motiver pour aller vers l’énergie renouvelable.

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Maurice traverse actuellement une crise énergétique. Les objectifs fixés pour l’utilisation de l’énergie durable ne sont pas atteints : nous ne sommes qu’à 18,24% du mix énergétique, alors que la cible est de 35%.

Au chapitre l’électricité, l’intention était bonne et la vision juste. Elle s’est traduite par des engagements clairs, notamment à travers l’accord de Paris. Elle a été soutenue sur les plans international et local par les dirigeants, la population, les jeunes, le secteur privé, les syndicats et autres forces vives. Personne ne rejette les énergies renouvelables. Au contraire, tout le monde veut aller de l’avant.

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Cependant, malgré la volonté affichée, Maurice est toujours à 18,24% pour la production d’électricité. L’objectif est d’atteindre 60% d’ici à 2030.  » Malheureusement, nous ne nous sommes pas donné les moyens – que ce soit au niveau technologique, réglementaire, humain ou institutionnel. Par exemple, la MARENA existe depuis une dizaine d’années. L’intention derrière ce projet était bonne, mais la MARENA a eu quelques difficultés au début. Elle n’a pas eu le soutien nécessaire pour transformer les ambitions en projets concrets, surtout ces cinq dernières années où il fallait agir en termes de projets, de programmes, d’innovation et de résultats par rapport à l’électricité. Nous demeure toujours dépendants à 100% des énergies fossiles et polluantes pour un gros secteur comme le transport.

Même concernant l’utilisation de la bagasse, sommes-nous en dessous de nos attentes ?

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Ce n’est pas une surprise et je pense que les décideurs aussi bien du secteur public que du secteur privé voyaient cela venir à vue d’œil. Les terres sont abandonnées. Et à cela s’ajoutent tous les problèmes qu’on connaît par rapport au secteur sucrier. Malheureusement, nous connaissons des solutions intéressantes, plausibles et qui sont visibles, mais qui n’ont pas été mises en œuvre.

Depuis une vingtaine d’années, nous évoquons l’idée de transformer l’industrie sucrière en une vraie industrie cannière, qui produirait non seulement l’électricité, mais aussi d’autres sous-produits dont le bioéthanol. Encore une fois, nus n’avons pas agi, mais aussi, il faut aussi savoir savoir comment agir. Souvent, nous agissons à l’emporte-pièce. Nous oublions que le secteur sucrier, cannier, le secteur énergétique, l’aménagement du territoire, la sécurité alimentaire, l’électricité sans oublier l’éducation, l’environnement sont liés. C’est ce que nous appellons une vision holistique.

Un autre exemple frappant est le transport public. Le transport dont le métro concerne aussi l’énergie, la qualité de l’air, la pollution, l’aménagement du territoire. L’intégration de ces secteurs, l’approche interdisciplinaire sont extrêmement importantes mais sont absentes également. Nous avons tendance à agir en silo non seulement dans les ministères mais à l’intérieur des ministères. Il faudrait donc avoir une coordination, une synergie et un bon leadership éclairé. Je pense et j’espère, comme nous disons, si Dieu le veut, que nous l’aurons. On doit l’avoir, on n’a pas le choix.

Quel est le rôle de la MARENA dont vous êtes le président ?

La MARENA s’apprête à venir avec un plan stratégique pour les énergies renouvelables à Maurice. Le travail est presque terminé. Le ministre de l’Énergie, Patrick Assirvaden, en a fait mention dans le cadre de son discours sur le budget. Ce plan doit être validé par toutes les parties prenantes, à savoir le Central Electricity Board (CEB),  les ministères concernés, secteur privé, etc., durant ce mois de juillet. Une fois cette étape terminée, le plan sera présenté au cabinet par le ministre de l’Énergie. Ensuite, il sera rendu public.

Qui a préparé ce plan ?

C’est MARENA. La loi exige qu’elle produise tous les cinq ans un plan stratégique. Ce plan sera très complet et précisera qui fera quoi et quand. Pour moi, personnellement, l’efficacité énergétique, l’économie de l’énergie et la maîtrise de l’environnement sont ainsi importantes que les énergies renouvelables. Le ministère de l’Énergie a le devoir d’intégrer ce plan sur les énergies renouvelables dans celui relatif à la demande. Aujourd’hui, nous utilisons des termes comme sobriété énergétique. Il s’agira de savoir comment maîtriser la demande.

D’un côté, il s’agit de la maîtrise de l’énergie renouvelable et de l’autre comment gérer la demande.  Un autre rapport qui est également très important est le Biomass Framework concernant l’agriculture auquel s’ajoute la Nationally Determined Contribution (NDC 3.0) par rapport au CO2 publié par le ministère de l’Environnement. Il faudra ajouter à cela un plan sur le transport. Tous ces plans sont étroitement associés à l’aménagement du territoire.

Avec tous ces éléments en main, le ministère du Plan dispose de suffisamment d’éléments pour réaliser une vision 2050. Tout cela me renvoie de manière nostalgique à Maurice île durable. À l’époque, tout était là avec un plan stratégique couvrant tous ces secteurs. Nous avons commis une erreur fondamentale en laissant pourrir le projet MID.

Êtes-vous en faveur de la relance de Maurice île durable ?

Aussi longtemps que nous n’avons pas une approche intégrée, nous continuerons à faire des projets Piece Meal. C’est aussi simple que cela en terle d’approche et de planification dans n’importe quel domaine. Vous avez parlé de crise énergétique, mais il n’y pas que cela. Il y a également la crise au niveau de l’environnement, de la formation et la crise par rapport à l’hydraulique qui a dominé l’actualité au début de l’année. Donc, il est temps d’appuyer sur le bouton Reset afin de relancer Maurice île durable.

Ce projet avait le soutien de l’Agence française de la coopération…

Pas uniquement. Plusieurs autres pays ainsi que des agences internationales sont disposés à nous aider. La force de Maurice île durable était la dimension internationale du projet d’une part, et l’intérêt des jeunes, du secteur privé des forces vives et du gouvernement, d’autre part. Tout le monde était partie prenante du projet. Il y a aujourd’hui une nécessité absolue d’embarquer tout le monde sur ce grand chantier qu’est le développement durable.

Vous étiez à l’époque très proche de Joël de Rosnay…

J’ai une pensée pour Joël de Rosnay, mais également  pour tous ceux qui ont tant donné pour le projet MID à l’époque. Une des raisons pour laquelle nous avons reculé est que nous avons tué ce projet.

À votre avis, quels sont les projets prioritaires dans le domaine du développement durable ?

En ce moment, au moins 100 mégawatts de projets  sont bloqués. Il est essentiel de lancer ce qui peut être débloqué par rapport aux énergies renouvelables. Mais pas tout. Ceux qui ont des projets, même s’ils ne disposaient pas de terre, ceux qui ne sont pas dans le respect de l’environnement, ceux dont les projets ne sont pas Bankables et ceux dont les projets vont contre la sécurité alimentaire ne peuvent s’attendre à les voir débloqués. Les projets écartés doivent être remplacés en toute transparence par d’autres projets crédibles. Nous sommes un des rares pays au monde qui n’a rien installé en dix ans en matière d’éolienne.

Une des priorités consistera donc à étendre le parc éolien. Aujourd’hui, nous devons être en mesure de décrocher de meilleurs deals. Une autre priorité consiste à revoir l’industrie cannière par rapport à la production d’électricité. Il y a des projets en attente concernant notamment les Wood Chips tout en s’assurant que ce ne soit pas au détriment de la biomasse locale et des Stakeholders locaux. Il faudrait revaloriser le bioéthanol qui est utilisé actuellement à l’île de La-Réunion.

Depuis le mois dernier, 100% de l’électricité sont produits à partir des énergies renouvelables. Ils ont même importé récemment le bioéthanol mauricien. Une approche intégrée permettra de lier l’avenir de l’industrie sucrière, la sécurité alimentaire, l’avenir énergétique et l’aménagement du territoire. Tout cela doit être effectué de manière équitable.

Quid de l’installation des panneaux solaires sur les bâtiments des entreprises mauriciennes qui pendant longtemps était le souhait de la MEXA par exemple ?

Le solaire est très important. Il y a un projet connu comme CNIS (Carbon Neutral Industry Scheme) qui marche très bien. Ce projet ne s’étend malheureusement pas aux hôtels qui nous ont aidés énormément durant l’été dernier parce qu’ils ont généré de l’électricité à partir de leurs propres générateurs à base de diesel ou d’huile lourde. L’excès de production a été mis sur le réseau. Ce qui a beaucoup aidé aux heures de pointe.

Par ailleurs, tout le monde devrait pouvoir installer sur leur toit des panneaux photovoltaïques. D’ailleurs, le CEB compte présenter un plan afin d’encourager des Producers Consumers individuels domestiques avec des tarifs préférentiels aux heures de pointe. Ce projet a été annoncé par le ministre.

Tous les gros consommateurs commerciaux et industriels d’énergie au nombre de 10 000 disposent de compteurs intelligents mis à leur disposition par le CEB. Ceux-là peuvent aller vers le solaire. S’ils vont de l’avant, nous pourrons produire suffisamment d’énergie solaire et vendre l’excès de production au CEB.

Si vous allez sur Internet en ce moment, vous verrez qu’il y a un engouement pour le solaire, il y a des gens qui proposent des projets à des conditions favorables. Cela témoigne de l’intérêt de la population pour le solaire. Il faut toutefois faire très attention aux escrocs. Il y a des installateurs patentés qui installent une technologie reconnue. C’est vers ceux-là qu’il faut se tourner. D’ailleurs, un des objectifs de la MARENA est de développer un cadre pour enregistrer les installateurs homologués et d’agir comme une One-Stop Shop pour les gens qui ont été abusés ou dont les projets sont bloqués.

Avez-vous les ressources humaines nécessaires pour cela ?

Actuellement, nous avons trois personnes qualifiées à la MARENA. Nous comptons recruter deux autres. Les postulants au poste de CEO seront interviewés cette semaine. Le Board n’a pas été totalement constitué également. Il nous faudra renforcer nos capacités. Des techniciens sont actuellement en formation en Chine.  Il faut que les fonctionnaires jouent le jeu.

Vous avez parlé d’éoliennes sur terre, certains pays disposent également d’éoliennes sur mer. Qu’en pensez-vous ?

Une étude préfaisabilité à ce sujet a déjà été réalisée. Au niveau de la MARENA, nous recommandons une étude de faisabilité. Ce qui aidera énormément. L’éolienne offshore marche ailleurs, notamment en Grande-Bretagne. Il faudra voir comment le développer sans toucher les zones protégées. Il faudrait s’assurer que c’est en harmonie avec l’environnement et n’affecte pas certaines régions touristiques. Il y a beaucoup d’options et il faudra à un certain moment qu’on prenne une décision. D’où l’importance du plan stratégique.

On annonce actuellement l’arrivée d’un Power Ship pour la production d’électricité ?

Je suis président de MARENA, mais je suis également professeur à l’université de Maurice avec une indépendance académique. Concernant le Power Ship alimenté par l’huile lourde, ma position est que la maîtrise de la demande énergétique et les énergies renouvelables sont liées. Le gouvernement a décidé d’aller de l’avant avec le Power Barge. C’est leur responsabilité. Ceux qui se sont engagés dans ce projet ont un défi énorme. C’est un projet initié dans des circonstances difficiles. Je leur souhaite bonne chance. Ce qui me rassure, c’est que c’est un projet temporaire d’un minimum de quatre ans. Je souhaite que ce sera un projet transparent.

Je prends comme exemple l’État de South Australia. En 2017, ils ont eu un réel Black Out. Nous ne l’avons jamais eu à Maurice. À l’époque, ils avaient 1% des énergies renouvelables. Le Black Out a été un blessing in disguise. Les autorités se sont tournées vers les énergies renouvelables, dont le solaire. Aujourd’hui, le renouvelable représente 74% de leur mix énergétique. Dans deux ans, cet État australien disposera de 100% d’énergie renouvelable. En une vingtaine d’années, ils sont passés de zéro à 100%. Le Power Ship provoquera une réflexion. C’est un médicament amer, mais qui doit nous motiver pour aller vers l’énergie renouvelable.

Ce projet donne déjà lieu à des polémiques et des protestations…

La polémique nous éloigne de l’urgence absolue d’une transition énergétique. Il faut recentrer le débat sur comment rattraper dix ans de retard après la mise à mort de MID. La barge, si elle se réalise, nous rappellera en permanence que nous devons agir sur le plan des énergies renouvelables et de la maîtrise de la demande sans tarder. Le plan B du CEB avec des Mobile Generators est aussi temporaire et a l’avantage d’être modulaire. Ces unités peuvent opérer facilement et utiliser des biocarburants tout en compensant la variabilité des autres sources comme le solaire. Les générateurs décentralisés verts avec aussi un potentiel de stockage sont aussi une opportunité pour démocratiser le secteur énergétique.

Que pensez-vous du gaz naturel liquéfié ?

Je suis contre. Vers 2008 ou 2009, nous avions dit que LNG doit être un carburant de transition. Nous sommes en 2025, ce n’est pas maintenant que nous commencera avec le LNG. Avec la situation instable au Moyen-Orient, nous risquons de nous fragiliser en termes de sécurité. C’est une idée qui avait sa place en 2009. Aujourd’hui, c’est clair que ce n’est pas opportun. Je ne vois pas CEB investir de l’argent dans un tel projet.

Je souhaite que MID revienne sous une forme ou une autre. L’énergie n’est pas uniquement les électrons, les atomes et les carburants, c’est l’économie, l’emploi, l’environnement,  la gouvernance. Cela concerne tout le monde. Comment apporter cette approche intégrée systémique ? Cela relève de la gouvernance. Il faut avoir une vision large et interdisciplinaire.

Le mot de la fin…

Il est dommage que la pension de vieillesse ait dominé les débats sur le budget. Je respecte les opinions de tout en chacun. Il y a tant de priorités. Il y a de la recherche à faire avec le Mauritius Research Centre dont la création a été annoncée. Dieu nous donne le soleil, le vent.  C’est vers cela qu’il faudra se tourner.

« Il n’y a pas que la crise énergétique. Il y a également la crise au niveau de l’environnement, de la formation et par rapport à l’hydraulique qui a dominé l’actualité au début de l’année »

« La force de Maurice île durable était la dimension internationale du projet d’une part et l’intérêt des jeunes, du secteur privé des forces vives et du gouvernement, d’autre part . Tout le monde était partie prenante du projet. Il y a aujourd’hui une nécessité absolue d’embarquer tout le monde sur ce grand chantier qu’est le développement durable »

« La polémique autour du “power ship” nous éloigne de l’urgence absolue d’une transition énergétique. Il faut recentrer le débat sur comment rattraper dix ans de retard après la mis à mort de MID. La barge, si elle se réalise, nous rappellera en permanence que nous devons agir sur le plan des énergies renouvelables et de la maîtrise de la demande sans tarder ».

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