– « La NADC n’a pas les pouvoirs d’agir; notre mandat est de faire un état des lieux et des recommandations au mini-cabinet qui, lui, au Parlement notamment, décidera »
Nommé Chairman de la National Agency for Drug Control (NADC), Kunal Naik, psychologue et addictologue, succède à Sam Lauthan, ancien ministre, assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. Sam Lauthan a en effet remis sa lettre de démission de la présidence de la NADC le 15 décembre dans un climat baigné de controverses et de polémiques, surtout autour de la question de la légalisation et/ou de la dépénalisation du gandia. Kunal Naik a soutenu, bien avant la mise en place de la NADC, des prises de positions franches, directes et stratégiques sur toutes les questions relatives.
Au lendemain de sa nomination à la tête de la NADC, Kunal Naik a accepté de se prêter au jeu de quelques rapides questions-réponses pour Le-Mauricien, malgré un agenda très chargé, car il a démarré en trombe sa mission dès samedi par une longue rencontre avec le Chief Executive Officer (CEO) de la NADC, le Dr Fayzal Sulliman. Kunal Naik livre ainsi dans les lignes qui suivent ses premières impressions et donne des pistes sur ses prochaines actions.
Vous venez d’être nommé à la tête de la NADC. Comment accueillez-vous cette nouvelle ?
Je suis pleinement conscient de l’énorme responsabilité qui m’attend. La situation de la drogue dans le pays urge, et ça, tout le monde à Maurice est au courant et en est conscient. Quand j’ai appris que le gouvernement m’avait nommé pour occuper le siège de Chairperson de la NADC, je me suis senti extrêmement honoré. Que le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et le DPM Paul Bérenger m’aient tous deux choisi pour cette mission est pour moi une preuve extrêmement importante de confiance. Bien entendu, fort de ce capital, je me ferais le devoir de faire de mon mieux pour deliver the goods.
La première responsabilité du Chairman de la NADC concerne la stratégie. Je m’y suis déjà attelé bien entendu. D’ailleurs, j’ai été nommé vendredi et, dès le lendemain, le 20, j’ai eu une rencontre One On One avec le CEO de la NADC. Nous avons passé en revue ce qui a été fait jusqu’à présent par les différents unités et départements qui composent la NADC. J’ai ainsi compris que des équipes ont démarré le travail sur le terrain.
La NADC est une grande équipe composée de plusieurs divisions. Et toutes ces personnes sont à l’œuvre. Nous devons comprendre que c’est tout ce beau monde, et d’autres qui rejoindront l’organisme, qui fera avancer les choses. Mon rôle consiste en l’élaboration de stratégies pour faciliter le travail de toutes ces unités.
Quelle est votre lecture de la situation de la drogue dans le pays ?
Nous avons – je cite un rapport publié en 2021 – un énorme problème de consommation de drogues. Pour une aussi petite île, et toujours selon cette étude, 55 000 à 111 500 Mauriciens consomment des substances autres que l’héroïne dérivée, soit communément appelée Brown Sugar. Pas moins de 8 000 Mauriciens se shootent au Brown Sugar chaque jour. De plus, 8 700 patients suivent un traitement à base de méthadone.
Mais l’énorme priorité pour nous, et donc le gouvernement, ce sont les nouvelles drogues de synthèse, que l’on appelle simik, les drogues synthétiques. Ces produits sont d’une grande violence car ses composantes varient constamment ! Et c’est là l’énorme danger, car comment traiter un mal quand on ne sait pas ce que contiennent ces drogues ? Le temps d’isoler leurs composants sur une nouvelle catégorie saisie, et les trafiquants ont basculé sur d’autres produits.
Donc, il est clair que la situation est très très grave, et que nous sommes contraints de address the issue le plus vite possible. Et cela, bien entendu, de manière concertée avec tous les partenaires stratégiques. Et puis, il n’y a pas que la NADC, il y a aussi des ONG, des associations, des formations, des groupes, et la société civile en général, qui sont parties prenantes de toutes les actions que nous devons mettre en place et en application.
Quels seront vos priorités et les axes d’intervention immédiate, surtout concernant les drogues synthétiques ?
Dans le cadre de la réunion que j’ai eue avec le CEO, nous avons dressé un état des lieux complet de ce qui a été mis en place et ce qui lag behind. Je réalise qu’il y a des blocages, inévitablement, surtout au niveau logistique. Puis le recrutement, qui tarde. Quelques recrutements ont déjà été effectués, mais il faudra donner un coup d’accélérateur et faire avancer ce dossier au plus vite.
Il faudra aussi – et c’est très important, stratégiquement – valider et commencer la mise en application du National Drug Control Master Plan, et dans la foulée, le Strategic Plan for HIV. Et ce, avec l’appui et le soutien total du ministère de la Santé. Voilà pour les grands axes. Un certain travail a déjà démarré sur le terrain, mais en janvier, nous appuierons sur l’accélérateur.
Vos points de vue sur la légalisation et/ou la dépénalisation du gandia, qui fait débat…
Ma position sur la légalisation et la dépénalisation concernant le problème de consommation de drogues synthétiques et le trafic de drogues encore plus dangereuses reste la même. Les Mauriciens peuvent facilement comprendre les véritables dangers qui nous guettent, ce que me pousse, professionnellement et personnellement, à maintenir ma position.
Cela dit, en tant que Chairman de la NADC, mon devoir est d’être neutre, et je compte être très exigeant envers moi-même afin d’être à l’écoute de tout un chacun. Donc, je resterai neutre, tout en apportant cependant mes connaissances personnelles aux discussions. Ce n’est qu’en étant à l’écoute de tous que je parviendrais, avec mes collaborateurs et techniciens, à dégager une Roadmap, que nous soumettrons ensuite au mini-cabinet sous lequel nous existons.
Les Mauriciens doivent comprendre que la NADC n’a pas de pouvoirs d’action. Notre mandat est de développer des stratégies que nous soumettons au High Level Committee qui, lui, porte à la connaissance du gouvernement. Les discussions auront lieu parmi les ministres et les élus au Parlement, bien entendu, afin de dégager des consensus et des lignes directrices. En résumé, nous faisons des propositions puis laissons les experts jauger et chercher des informations supplémentaires, car les final decisions–policywise seront prises par ces personnes.
Qui est Kunal Naik ?
Kunal Naik est un psychologue et addictologue de formation spécialisé dans les politiques de réduction des risques et de contrôle des drogues. Il cumule plus de dix années d’expérience dans les domaines de la santé publique, du VIH, des politiques en matière de drogues et des droits humains, à Maurice comme à l’étranger.
Il a occupé plusieurs fonctions de direction stratégique, notamment en tant que Chairperson du Mauritius Country Coordinating Mechanism, organe multisectoriel chargé de la gestion des financements du Fonds mondial pour le VIH.
Il a également siégé au Members Advisory Council de l’International Drug Policy Consortium, où il a représenté l’Afrique subsaharienne de 2020 à 2023. Fort de son expérience en tant que collaborateur à Médecins du Monde, les Nations Unies et Harm Reduction International, Kunal Naik a aussi été membre de la division Droits humains de la National Human Rights Commission of Mauritius entre 2023 et 2025.
Sa nomination à la présidence de la NADC s’inscrit dans la volonté de renforcer une approche nationale fondée sur des données probantes, la coordination institutionnelle et une réponse structurée, équilibrée et durable aux problématiques liées aux drogues.
Première réunion fructueuse avec le Dr Fayzal Sulliman
Kunal Naik et le Chief Executive Officer de la NADC, le Dr Fayzal Sulliman, ont tenu, samedi, une première réunion de travail. À cette occasion, Kunal Naik a pris connaissance des principaux obstacles freinant la progression de l’institution, notamment sur les plans administratif, des infrastructures, des ressources humaines, ainsi que dans l’interprétation du mandat de la NADC.
« Cet état des lieux a été un véritable Eye Opener. Certaines avancées, comme le recrutement du personnel, sont déjà en phase de concrétisation. Des résultats tangibles seront visibles à partir de janvier. Je tiens à préciser qu’une partie de ce travail est le fruit des efforts du Dr Sulliman et de mon prédécesseur, Sam Lauthan », explique-t-il en ajoutant que « nous travaillons dès à présent à la finalisation du National Drug Control Masterplan 2025–2029, en collaboration avec les ministères concernés et nos partenaires. »
Il explique que ce plan sera soumis à la National Drug Control Commission « dans les délais requis ». Avant de conclure : « Comme cela n’a pas été suffisamment souligné jusqu’ici, ce document constitue notre plan directeur; il définira l’orientation nationale, les stratégies de Law Enforcement, jusqu’aux enjeux liés au VIH. »

