La crédibilité de l’ICAC à l’épreuve

Xavier-Luc Duval a frappé en plein dans le mille, vendredi dernier, avec sa “Private Notice Question” consacrée à l’achat d’un million de comprimés Molnupiravir par le biais d’un “emergency procurement” à un prix de Rs 70 plus élevé que celui obtenu la veille pour l’achat du même produit. Les réponses à cette question, obtenues laborieusement dans une ambiance hostile, marquée par l’expulsion de Paul Bérenger – et un peu plus tard par celle de Shakeel Mohamed –, ont permis d’ouvrir une boîte de Pandore. On ne sait pas ce qui en sortira.
Elle a eu pour conséquence le transfert, la suspension et la mise à la retraite de plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de la Santé. Toute la machinerie de l’ICAC s’est mise en branle sans tarder, à la demande de Pravind Jugnauth, comme il l’a lui-même annoncé en début de semaine, non seulement pour interroger les principaux intéressés, mais également pour saisir un grand nombre de documents au ministère de la Santé, dans les locaux du fournisseur controversé des comprimés, CPN Distributors Ltd, ainsi qu’au niveau des services douaniers, entre autres.

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Mais jusqu’où ira l’ICAC dans sa démarche ? Pourra-t-elle interroger également des membres du “High Powered Committee”, présidé par le Premier ministre ? C’est la crédibilité de la commission anti-corruption qui est mise à l’épreuve dans cette affaire, non seulement sur le plan local, mais aussi auprès des institutions internationales.
Le rôle de l’ICAC à Maurice est décrié par l’ensemble de l’opposition, qui la considère comme un instrument politique entre les mains du gouvernement. Pas plus tard que samedi dernier, les dirigeants de l’Entente de l’Espoir ont refusé de porter cette question devant l’ICAC, considérant que cette institution n’est pas crédible et est, en vérité, une « white washing machine » en laquelle ils n’ont aucunement confiance. De plus, ils appréhendent que l’ICAC participe à une stratégie visant à étouffer l’affaire. Ce qui les conduit à réclamer un Select Committee, voire une commission d’enquête, pour faire la lumière sur l’utilisation de la procédure d’“emergency procurement” pour l’achat de médicaments pendant la crise sanitaire depuis mars de l’année dernière.
L’ICAC se voit donc offrir l’occasion de démontrer son indépendance, son intégrité et sa compétence. Ce sera l’occasion pour elle de faire preuve de sa capacité aux yeux d’institutions telles que la Financial Action Task Force, qui insistent sur la nécessité que les institutions, au lieu d’être des bouledogues sans dents ou des marionnettes entre les mains du pouvoir, soient en mesure de mettre en œuvre les législations existantes sans crainte aucune. Il leur revient de trouver la vérité à travers leurs enquêtes.

Quant à la demande de démission du ministre de la Santé, réclamée par l’opposition, tout dépendra de sa conscience personnelle et de sa conception de la responsabilité ministérielle.
Cette affaire aura le mérite de témoigner de l’importance des lanceurs d’alerte, grâce à qui le leader de l’opposition a pu soulever la question. Même le Premier ministre a reconnu que « ena bann zafer ki mo mem mo pa ti kone ». Une façon de donner raison à ceux, fonctionnaires ou pas, qui ont permis que cette transaction scandaleuse éclate au grand jour, n’en déplaise aux propagandistes qui veulent donner mauvaise conscience à ces “whistle blowers” en se gardant de dire à quels prix les comprimés génériques sont achetés aux frais des contribuables. Ce sont ces mêmes propagandistes qui avaient voulu faire croire que le classement de Maurice sur la liste rouge écarlate était la faute de la presse.

L’affaire Molnupiravir vient aussi donner raison à tous ceux qui réclament une réforme structurelle de la fonction publique, qui insistent sur la bonne gouvernance et sur la transparence. La pratique de l’opacité ainsi que toute tentative de museler la liberté d’expression au moyen de législations comme l’IBA Act entraînent des manifestations de rue, comme celles qu’on a vues à Port-Louis samedi dernier.

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